T'es là. Allongé dans ton lit, tes bouquins et ta vie à côté de toi. Y a ta plume et l'encre, le parchemin et tes lunettes, posées en équilibre sur la table de chevet. Tout est silencieux, et rien ne bouge. T'as les yeux ouverts, et la lune a presque fini sa course. Tout est si calme. Ça t'étouffe. Le manque d'air. Le manque de réponses. Le manque de quoi ?
T'es allongé sur ton lit, le drap en travers. Seul témoin de l'ultime combat que tu t'obstines, jour après jour, à camoufler aux yeux des autres. T'as trop chaud, et ta nuque est mouillée. Ta peau moite de cette sueur qui te colle, et qui te rappelle à chaque instant que t'as personne pour prendre soin de toi. Ces putains de gouttelettes, qui s'échappent de toi à grande vitesse. Et là, t'en viens à penser qu'au fond, c'est peut-être elles qui te fuient. Et à cette pensée, tes poings se serrent et ton visage pâlit. Comment t'en est arrivé là ?
La chaleur te fait suffoquer, et tu as juste l'impression que t'es en train de mourir. Là. Dans ton lit, la nuque et les joues mouillées d'une eau qui ne t'appartient plus. Tu sens la vie qui s'échappe, et tu ne songes même pas à la retenir. A quoi ça sert de toute manière ?
Personne ne voit rien. Les jours passent, et la vie poursuit son cours. Indifférence, ignorance ? Ou simplement l'illusion que le sang et la mort ne nous rattraperont jamais...
Le ciel devint lumière, et la route s'éclaircit. Tu te lèves et cours dans la salle de bains. Tes jambes ne te portent plus, et tu tombes, le dos collé contre l'armoire. Mélange de douleur et d'épuisement. Ta main cherche à tâtons l'objet sur le rebord du lavabo. Ton bras redescend, lentement. Tes yeux fixent un peu trop les lames grises qui s'entrecroisent, et ton avant-bras s'approche un peu trop près des ciseaux.
Le coup part tout seul. Tu ne sais pas si tu cries, et des bruits se font entendre de l'autre côté de la porte. Verrouillée. La rage t'aveugle, et ta main s'acharne sur ton bras trop blanc. Les traces noires contre ta chair se multiplient, et tu sens tes joues qui se mouillent. Les coups redoublent, et tes sanglots, nourris de désespoir, se mêlent à cette douleur dont tu ne veux plus. Ton bras rougit sous les blessures des lames qui t'invitent à poursuivre, tandis que des poings tambourinent contre la porte. Quelqu'un hurle, et tu n'entends pas les "Ry !" désespérés de tes amis.
Tu t'arrêtes et relèves les yeux, collé au bois d'où proviennent les cris. La lueur rouge dans tes iris verts apparaît, et tu sens cette rage de désespoir et de tristesse te submerger, tandis que les lames s'abattent une nouvelle fois. Emportant avec elles ton dernier élan de lucidité. Et tes yeux se vident de tout, alors que ta voix se déchaîne dans l'aube du jour...