Novembre 1997
– Tu vas rester planté là longtemps ?
La voix croassante de Sally-Anne le ramena à la réalité. Les mains dans les poches, il jeta un coup d’œil au pichet d’eau posé sur la table de chevet et s’en servit un verre, sous le regard amusé de la blonde.
– Ce n’est pas censé être pour moi ?
Théodore haussa les épaules.
– Tu m’as fait peur, avoua-t-il enfin.
Sally-Anne cilla et se mit à respirer plus lourdement. Elle se souvenait à peine de la veille… Elle se rappelait seulement de la douleur, du goût du sang dans sa bouche, de cette sensation de glisser et de tomber sans rien pouvoir y faire, malgré sa petite voix intérieure qui lui disait de lutter… Elle se rappelait des bras de Théodore autour de sa taille qui pressait son corps contre le sien, pour l’aider à marcher, à garder l’équilibre. Il l’avait emmené à l’infirmerie dès qu’ils avaient été sûrs de pouvoir sortir de leurs dortoirs sans risquer quoi que ce soit. Elle s’était évanouie en chemin et n’avait pas repris conscience de la journée.
– Tu vas rester planté là longtemps ? Lui redemanda Sally-Anne.
– Non. Je vais m’en aller.
Maintenant qu’il pouvait l’écouter parler, qu’il l’avait vue bouger, il pouvait s’en aller. Il avait sûrement une tonne de cours et de devoirs à rattraper.
– Depuis combien de temps je suis ici ? L’interrogea la Serpentard.
– Ce matin, huit heures.
– Et toi ?
– Ce matin, huit heures.
Personne n’était venu voir Sally-Anne. Tout le monde l’avait vue avec ses plaies, ses cicatrices, dégoulinantes de sang… Mais personne n’avait fait quoi que ce soit. Malefoy les avait regardé quitté le dortoir tôt ce matin. Il avait le teint pâle, les yeux enfoncés et n’avait pas soutenu le regard de Théodore. Il avait évité Sally-Anne et était parti juste avant eux.
Les parents de Sally-Anne n’étaient pas venus non plus. Le directeur de la maison Serpentard avait brillé par son absence. Personne. Personne ne semblait tenir à elle.
Théodore n’avait pas eu le cœur à la laisser seule, comme ça.
Il en riait presque, intérieurement.
C’était ridicule.
Sally-Anne Perks adorait être toute seule.
– Merci, souffla-t-elle.
Et pourtant, cette fille, qui aimait être seule, venait de le remercier d’être resté.
– C’est le moment où tu es censé répondre « mais de rien Sally-Anne, ça a été un pur plaisir de t’admirer dormir ».
– Pas vraiment.
Ses cheveux blonds étaient gras, son visage était déformé par les bosses, les hématomes… Elle n’était pas belle à voir.
Ça n’avait pas été un « pur plaisir de l’admirer dormir ».
– C’est si horrible que ça ?
– Non, admit Théodore. L’infirmière a fait des merveilles.
Dans la nuit, son visage avait repris son apparence normale, petit à petit.
– Qu’est-ce que tu cherches à prouver Sally-Anne ?
Avant qu’elle ne se mette à pleurer après qu’il lui ait hurlé dessus, il lui avait demandé pourquoi elle avait pris la défense de cet élève, pourquoi elle était intervenue…
– On ne peut pas laisser les Carrow s’en prendre à des enfants. On ne peut pas les laisser démolir un gamin de onze juste pour ce qu’il est.
– C’est la gloire que tu veux ?
– La gloire ? Hoqueta Sally-Anne.
– De la renommée. De l’honneur. De la reconnaissance liée à un quelconque mérite.
– Je sais ce qu’est la gloire, Théodore, siffla la septième année.
– Moi, je ne le sais plus, confia-t-il.
Plus depuis hier soir. Son père lui avait toujours dit qu’il ferait la gloire des Nott, qu’il porterait fièrement son nom et le ferait perdurer. Il lui avait déclaré que la gloire, l’honneur, la dignité, étaient plus importantes que tout le reste.
Mais on ne lui avait jamais expliqué ce qu’elles étaient.
– J’ai fait ce qui me semblait juste.
Elle avait foncé tête baissée pour aider Nathaniel. C’était peut-être ça, l’honneur.
– Je n’ai pas réfléchis !
Elle n’avait pas pleuré avant d’être certaine que plus personne ne pouvait la voir, à part Théodore. C’était peut-être ça, la dignité.
Théodore soupira. Il n’avait pas envie de la laisser seule. Lui, en fait, n’avait pas envie d’être seul et quand Sally-Anne et lui se regardaient, il ne l’était pas.
– Tu es courageuse.
– Tu me le dis comme s’il s’agissait d’un défaut, cracha amèrement Sally-Anne.
– Quand cela t’amène à l’infirmerie, je considère que c’en est un.
– Alors c’est parce que tu as peur, que tu n’as pas aidé ce gamin ? Ou simplement parce que tu penses qu’il méritait ce que les Carrow voulaient lui faire subir ?
Théodore ferma plusieurs les yeux, comme si la réponse allait lui sauter au visage. Il l’attendait. Il la souhaitait. Mais rien ne vint.
Il ne s’était jamais pensé très courageux. Pour autant, il savait qu’il n’était pas lâche.
– Je ne suis pas un Gryffondor.
– Et alors ?
Il ouvrit la bouche prêt à dire quelque chose, à lui répondre que ça n’avait pas d’importance, qu’ils ne devraient pas discuter de tout ça, qu’il était juste content de savoir, de constater qu’elle allait bien… Mais au lieu de ça, il garda le silence, incapable de soutenir ses yeux toujours maquillés de la veille.
S’il en avait eu l’audace, il l’aurait débarbouillée. Il aurait enlevé son fard à paupières noir et son rouge-à-lèvres sombre. Il aurait découvert la véritable longueur de ses cils.
Mais ça aussi, il n’avait pas pu.
La porte de l’infirmerie s’ouvrit et Nathaniel, ce petit gamin de onze ans que Sally-Anne avait défendu, apparu timidement devant elle. Nathaniel… Le premier et seul visiteur de Sally-Anne.
Le gamin se figea en apercevant Théodore. Ce-dernier s’écarta du lit de Sally-Anne et lui jeta un dernier regard, avant de traverser le couloir. Quand il passa devant Nathaniel, il le vit retenir son souffle. Il vit la peur, l’horreur monstre qu’il lui inspirait et Théodore en eut la nausée.
Le Serpentard ne referma pas complètement la porte derrière.
Il observa le gamin marcher jusqu’au lit de Sally-Anne, et la remercier en pleurant à chaudes larmes.
C’était peut-être ça la gloire.