Hermione venait la voir tous les jeudi des semaines paires. Elle regardait sa mère, encore étourdie par ce sort qu’elle avait jeté bien des années auparavant. Parfois, c’était Jean qui la dévisageait. Il y avait quelque chose de doux dans cet oeil furtif, presque timide. Hermione ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’elle retrouve un jour la mémoire, comme par magie. Elle savait, pourtant, que certaines choses étaient destinées à rester brisées. Et comment s’en accommoder, comment se délester de cette culpabilité écrasante lorsqu’on était la briseuse de destinée ? La Parade du thé, comme l’appelait Ron, était une tournée de pénitence.
En leur jetant un sort d’oubli, Hermione avait détruit certaines liaisons du cerveau de ses parents. Elle n’avait pas été suffisamment délicate. Dix-sept ans de souvenirs ne s’effacent pas en une soirée sans dommage. Elle aurait dû le savoir. Ce n’était pas pour rien que le Ministère disposait d’une brigade dédiée a l’oubli. Mais la guerre avait tout emporté sur son passage et elle avait cru faire pour le mieux pour les protéger. Elle avait fait p pire.
Hermione savait que ses parents auraient refusé de partir sans ce petit coup de baguette magique. Elle n’était pas leur fille pour rien, après tout. Elle avait seulement mal calculé. Durant leur fuite, lorsqu’ils dormaient dans cette tente froide et mangeaient des racines et des champignons, Hermione aimait songer à ses parents. Elle se les figurait bronzés, heureux et épanouis. Cela l’aidait à tenir, de les savoir en sécurité. Quand elle s’ était aperçue de son erreur, il était déjà trop tard. Ses parents avaient développé ce que les médecins moldus appellent la maladie d’Alzheimer. Ils avaient été placés dans un hospice pour personnes démentes. C’était un dommage collatéral de la guerre, qu’aucune médaille ne rendrait plus supportable.
Son monde s’était effondré ce jour là.
Elle les avait ramené en Angleterre, consultant une vingtaine de spécialistes. Il avait fallu une intervention d’Harry et de Ron pour qu’elle cesse de s’entêter. Ils étaient tous formels : c’était incurable et un acharnement thérapeutique serait dangereux. Il fallait respecter leur fragile équilibre mental. Hermione voyait, sous leurs paupières irisées, la démence qui s’installait et prenait ses aises. Elle regrettait le regard franc et intelligent de sa mère. Celui qu’elle utilisait quand elle trouvait qu’elle passait trop de temps plongée dans les livres et décidait de l’embarquer pour une balade dans la campagne anglaise. Celui, plein d’amour qu’elle lui dédiait lorsqu’elles se séparaient sur le quai 9 3/4. Désormais, le bleu s’était dilué. Il ne restait qu’une certaine douceur qui se mêlait à l’apathie.
Oui, c’était un dommage de guerre, plus insupportable que cette hideuse cicatrice offerte par Bellatrix. Car Hermione savait que c’était de sa faute. C’était elle qui lui avait dérobé sa vitalité, sa mémoire et son intégrité mentale. Alors, chaque jeudi des semaine paires, elle prenait le thé avec sa mère qui ne la reconnaissait pas. Elle la regardait touiller son thé tout en sentant cette boule grossir et grossir dans sa gorge.
Le sort était jeté, il n’y avait plus qu’à attendre que le temps se dilue dans ce thé trop amer.