Bill avait toujours été le fils censé de la famille Weasley. La force tranquille, l’assurance, le calme, qualités qui inspiraient la confiance à son entourage. Il se pensait également courageux, sans être tête brûlée comme le reste de la fratrie – excepté, sans doute, Percy. Ses cheveux longs et sa boucle d’oreille laissaient deviner quelques accents rock dans cette personnalité bien mature. Un caractère que le briseur de sorts pensait connaître sur le bout des doigts, depuis les vingt-huit ans qu’il vivait avec.
Pour toutes ces raisons, William Arthur Weasley aurait pensé que l’entrée principale de Gringotts, banque pour sorciers ne pouvait plus l’intimider.
Les années passées à entrer par la petite porte, sans compter celles en Egypte où il n’avait pas mis les pieds au Chemin de Traverse, lui avaient fait oublier l’architecture démesurée, écrasante, devant laquelle l’humanité rentrait les épaules pour se faire minuscule. Tout se jouait dans les détails : ces marches sombres, ciselées et clinquantes, qui résonnaient sous les talons, rythmaient l’ascension jusqu’au porche comme un glas. Cette porte lourde, épaisse, qui s’ouvrait sans être poussée, exacerbait la toute-puissance des Gobelins sur la banque, et ce poème menaçant, apparaissant tout à coup quand on entrait dans le sas, ainsi que ces Gobelins en uniforme, décourageaient toute intrusion. Dans ce monde gargantuesque qu’il avait autrefois cru connaître, le regard perçant d’une Gobeline maîtresse des lieux suffisait à le mettre mal à l’aise. D’autant plus qu’elle lui avait accordé un congé pour panser les blessures de la guerre.
Son instinct lui intima, avec raison, de ne souffler aucune question au visage fermé qui l’attendait à l’entrée. Il dut suivre sa supérieure comme un débutant qui ignorait tout des allées tortueuses, jusqu’à son bureau qu’il avait déjà visité une bonne dizaine de fois.
Il s’assit sur une chaise matelassée tandis que Grisgel s’installait dans son fauteuil et croisait ses bras sur le lourd bureau de chêne.
– Vous n’êtes pas sans ignorer, monsieur Weasley, qu’un incident a fâcheusement endommagé la sécurité de la banque, et particulièrement d’un coffre-fort parmi les plus précieux, il y a quelques semaines ?
– Je croyais que vous aviez déjà interrogé Harry, Ron et Hermione à ce sujet, avança Bill sans trop savoir où cette conversation allait le mener.
– Certes, et le garçon a offert de payer lui-même les réparations. Votre Ministère a, du reste, engagé une procédure d’urgence qui le protège de toute plainte. Notre problème est plutôt que trois sorciers ont trouvé le moyen de s’introduire illégalement dans un coffre et d’y commettre un vol, puis de s’échapper. Que se passerait-il si d’autres essayaient ?
N’importe qui d’autre que Bill aurait invoqué la guerre pour justifier les actions du Trio. Même Shacklebolt, le nouveau Ministre de la Magie, l’avait tenté. Lui savait que les Gobelins se tenaient aussi loin que possible de la politique sorcière, aussi il argua :
– Harry Potter, Hermione Granger et Ron Weasley sont vus comme les sauveurs du monde sorcier. Des héros de guerre qui ont sauvé des centaines de vies. Le Ministère les protège car ce vol a permis de tuer Voldemort – qui assassinait aussi des Gobelins. Personne d’autre qu’eux ne se risquerait à entrer par effraction dans Gringotts, la tâche paraît juste trop inaccessible, extraordinaire, au moins de l’ampleur d’un enfant de deux ans qui défait le plus grand tyran de notre époque. Par ailleurs, ajouta-t-il après une courte pause, l’évènement a attiré tant d’attention sur la banque que vos collègues en ont profité pour plaider la permission du port de baguette devant le Magenmagot.
– Le but de cet entretien n’est pas politique, assura la directrice du service d’ordre, à l’écoute de la dernière phrase. Une équipe s’occupe d’autre part de rétablir la sécurité avec les informations que vos sauveurs du monde sorcier nous ont données. Mais, voyez-vous, maintenant que le dragon s’est échappé nous avons une arme de dissuasion en moins.
– Un… Un dragon ?
– Un dragon qui gardait nos coffres les plus anciens et qui leur a permis de s’échapper. Aujourd’hui, personne ne sait où il se trouve.
Ne sachant que répondre, Bill resta silencieux et attendit qu’elle continuât. Des rumeurs avaient bien soufflé que les trois amis s’étaient enfuis sur le dos d’une telle créature, mais il les avait toujours pensées exagérées. Comme tout ce qui concernait Harry.
– Vous avez bien un frère éleveur de dragons, il me semble ?
– Oui, en effet, Charlie. Il travaille dans une réserve en Roumanie. Mais… Si je peux me permettre, pourquoi ne faites-vous pas appel à une réserve écossaise ?
– Nous préférons restreindre le cercle de nos collaborateurs, expliqua Grisgel, impassible. Ainsi nous divulguons le moins d’informations possible. Pourriez-vous amener votre frère sous peu ?
– Bien sûr. Mon congé est-il toujours valable ? s’enquit-il, peu désireux de retourner travailler alors que sa famille avait plus que jamais besoin d’être unie.
– Evidemment. Je vous présente toutes mes condoléances monsieur Weasley.
~
– Je ne vais pas retourner à Poudlard, disait Ron, allongé dans le jardin du Terrier. Après l’année qu’on vient de passer, j’ai plus envie d’écouter des cours et de rendre des devoirs.
– Qu’est-ce que tu voudrais faire ? lui demanda Hermione, la tête posée sur ses genoux. Il faut obtenir ses ASPIC’s pour être Auror.
Le roux jeta un coup d’œil à Georges, également assis dans l’herbe. Depuis la mort de Fred, les enfants Weasley passaient leur temps ensemble, car la présence physique des autres les rassurait. C’était un moyen de faire face au deuil d’une seule voix, de se soutenir – surtout pour Georges. La nuit, moment le plus douloureux car propice aux cauchemars, ils étalaient des matelas dans le salon et dormaient comme une portée de chiots. Leurs parents s’étaient joints à eux et Harry, Hermione et Fleur qui séjournaient au Terrier avaient suivi le mouvement, par soutien, de même que Luna, Neville et Angelina les quelques fois où ils étaient passés.
– Je pensais aider Georges à la boutique. Il est censé rouvrir en septembre. Angelina s’est déjà proposée pour la reprendre, mais… C’est pas la même chose.
– Ça lui fera du bien d’être en famille, acquiesça-t-elle en lui jetant un regard doux.
– Percy s’est aussi proposé. Il a dit qu’il pouvait tester les produits, comme ils aimaient le piéger, à Poudlard. Georges n’en revenait tellement pas qu’il a éclaté de rire.
– Percy ? Travailler dans une boutique d’oreilles à rallonge et de baguettes farceuses ?
– Il lui a répondu que ça n’arriverait que le jour où la Terre tournerait à l’envers. N’empêche que c’est la première fois qu’il rit depuis que… Je crois, se reprit-il après un instant de réflexion, que Percy se sent coupable et qu’il veut aider par tous les moyens.
Le bruit d’un Transplanage coupa leur discussion. Ron vit du coin de l’œil Bill qui était apparu près de Fleur et qui lui racontait quelque chose, sérieux. Charlie, qui discutait avec elle la minute précédente, écarquilla les yeux et partit en fou rire.
– Harry non plus ne va pas retourner à Poudlard, continua Ron. Il va passer le test d’aptitude des Auror. Mais il n’a pas besoin de passer ses ASPIC’s. Personne ne doute qu’il aurait eu un Optimal en Défense Contre les Forces du Mal. Au moins.
– Et Robards serait bien trop heureux de l’avoir dans son département.
Ron opina et jeta un coup d’œil à son meilleur ami. Le concerné s’était installé à quelques pas de lui et discutait avec Ginny : à voir leurs mines enflammées, il s’agissait de Quidditch. Les voir en couple lui procurait toujours une sensation étrange, mais il s’y faisait de mieux en mieux.
– Tu as décidé si tu y retournais, toi ?
– Pas encore. J’aimerais passer les ASPIC’s en août avec les autres Septième Année, puisqu’ils ont été décalés, mais je n’aurais pas le temps si je vais en Australie. Donc peut-être que je referais une année avec Ginny.
– Si… Quand tu iras en Australie, je pourrais t’accompagner ? demanda le jeune adulte, hésitant, sans la regarder.
Hermione se redressa et le contempla avec douceur.
– Tu veux rencontrer mes parents, Ronnie ?
Le concerné balbutia quelque chose entre « Tu connais bien les miens » et « Seulement si tu en as envie ». La tendresse dans les yeux de Hermione s’intensifia et elle lui donna un baiser sur la tempe, disant :
– Je te charrie. Bien sûr que tu pourras venir.
Après quoi ils restèrent silencieux, profitant seulement de la présence de l’autre. Ron, observant le petit groupe allongé dans l’herbe, remarqua que Bill et Charlie étaient en grande conversation avec Harry, sourcils froncés. Le brun leur lança un regard qui sonnait comme un appel à l’aide, aussi le couple se leva-t-il, à la rescousse de son meilleur ami.
Bill leur décrivit la situation en deux mots : Gringotts cherchait le dragon qui leur avait permis de s’échapper. Les oreilles de Ron virèrent écarlate et l’air gêné de Harry contamina leurs visages.
– Il faudrait sans doute qu’on raconte toute l’histoire, fit-il.
Les autres personnes présentes – Ginny, Arthur, Molly, Fleur, Georges et Angelina qui était arrivée entre-temps – intriguées, dressèrent l’oreille. Ron et Hermione se firent tous petits tandis que Harry reprenait l’histoire de leur cambriolage de la banque la plus sécurisée d’Europe.