Il l’avait laissé se refermer sur elle-même. Elle s’était caparaçonnée, s’était fermée. Il l’avait laissé se replier sur elle-même.
Il n’avait rien vu venir, alors qu’elle s’éloignait de lui petit à petit. Elle s’était coupée de tous, et de lui surtout.
Tandis qu’il étendait un plaid sur le petit bout de femme qui dormait recroquevillée sur le canapé il se demanda quand ils s’étaient éloigné ? Depuis quand se voilaient-ils la face ? Quand leurs chemins avaient-ils cessés d’être unique ?
Au final, peut-être que c’était ça le problème. Ils avaient crus toutes leur vie qu’ils marchaient ensembles, main dans la main, sur une route, unique, tracée pour eux. Au vu des événements il fallait bien croire qu’ils s’étaient leurrés.
Ils étaient uniques. Deux entités distinctes contrairement à ce qu’ils avaient toujours cru. Contrairement à ce qu’on leur avait fait croire. Ils étaient Teddy et puis Victoire et non Teddy et Victoire. La nuance tenait à un seul mot, un minuscule mot, un mot qui suffisait pour changer tout.
Fatiguée, lasse de ces disputes et différences qui ne faisaient que s’accumuler, Victoire avait pris les choses en main, sans qu’il ne s’en rende compte.
Elle avait brisé son rêve de gamine en un coup sec de talon. Et par la même occasion elle lui avait broyé le cœur. Elle avait mis fin à une utopie. Un rêve qu’ils avaient trop longtemps fait tenir alors qu’il se muait petit à petit en cauchemar.
Depuis quand gardait-elle tout ça pour elle ? Comment avait-elle supporté ce naufrage sans broncher ?
Victoire avait toujours été douée pour garder ses humeurs, ses doutes et ses angoisses pour elle. Mais avant elle les lui confiait toujours. Il était le seul auprès duquel elle laissait les illusions tomber. Le masque se fissurer.
Depuis quand s’était-elle enfermée dans sa forteresse de solitude ? Depuis quand ne l’avait-il plus vraiment regardé ? Cela faisait bien trop longtemps que son regard glissait sur elle sans s’y attarder.
Avant elle ne pouvait rien lui cacher. Mais maintenant tout était différent.
Depuis quand fuyait-il leur appartement et ses responsabilités ? Et, l’avait-il un jour su ?
Il se sentait étouffé dans un mariage arrivé bien trop vite. Ils étaient encore jeunes. Ils avaient leur vie devant eux. Alors pourquoi avaient-ils fait ça ? Avait-il fait ça ?
Peut-être pour Victoire, sans aucun doute pour leur entourage. Six ans de relation pour eux c’était assez de temps pour ne pas faire un mariage précipité. Et puis après tout, leurs parents s’étaient mariés vite et jeune pour leur plus grand bonheur à tous. Mais Victoire venait tout juste d’avoir vingt-ans et lui n’en avait que vingt-deux.
Cela faisait trois mois qu’ils étaient mariés. Trois mois qu’ils étaient devenus des inconnus l’un pour l’autre. Du moins, il osait espérer que ça ne faisait que trois mois qu’un fossé s’était dressé entre eux.
Fatigué, confus, il regardait Victoire dormir sur le canapé de leur appartement. C’était sur ce même canapé qu’elle avait attendu toute la soirée qu’il rentre pour lui asséner le coup fatal.
Les larmes avaient creusé son fond de teint, ses cheveux étaient emmenés tant elle les avait entortillés. Elle faisait toujours ça Vic, quand elle disait enfin ce qu’elle avait sur le cœur. Angoissée, elle tournait de grosses mèches autour de ses longs doigts graciles. A contrario, lorsqu’elle était enthousiaste elle passait une main fébrile dans son impressionnante masse blonde ce qui faisait qu’elle se retrouvait presque systématiquement avec les cheveux dans les yeux.
Elle était belle Victoire. On la disait presque aussi belle que sa mère. Pourtant, lui la trouvait encore plus belle.
Pour lui Victoire c’était une beauté charmeuse là où sa mère était glaçante de perfection. Il y avait toutes ces petites choses qui n’appartiennent pas à Fleur Delacour et qui faisait de Victoire une beauté si parfaitement imparfaite. Les taches de sons, si Weasley, qui mangeait un petit nez retroussé. D’immenses yeux gris que Victoire s’amusait à orner de faux-cils qui changeait de couleur au rythme de ces émotions, comme un rappel à ses cheveux à lui.
Et puis il y avait cet énorme trait d’eye-liner qui courait sur les paupières ou qui venait s’imprimer autour de ses yeux en un délicat motif floral. Fleur Delacour ne s’était jamais maquillée. Sûre de ses charmes, elle n’avait jamais cherché à contrefaire ce que la nature lui avait donné. Mais pour Victoire le maquillage c’était autre chose, c’était une passion. Elle avait toujours aimé trouver le meilleur enchantement, la potion la plus adaptée, afin de perfectionner son maquillage. Elle aimait jouer avec son visage, déformer ses traits avec les poudres et autres artifices non magiques. C’était toujours avec un petit sourire mi-moqueur, mi-victorieux qu’elle acceptait les regards surpris et interrogateur des gens qui fixaient son maquillage.
Il ne sait pas vraiment comment elle s’était mise à se maquiller. Dans sa famille les artifices n’étaient pas vraiment de mise. Peut-être qu’au départ c’était pour moins ressembler à sa mère, un peu plus pour ressembler aux autres Weasley ? Mais à la fin c’était surtout pour devenir elle-même qu’elle usait et abusait de fard à paupières scintillants, de cils aux couleurs chatoyantes et de rouge à lèvres aux reflets irisés comme les ailes des papillons.
Mais jamais elle n’avait touché à ses cheveux blonds, ses cheveux d’un blonds pâles, presque gris comme la lune.
Ces mêmes cheveux qu’il caressait doucement alors que Victoire dormait en chien de fusil sur le canapé du salon. Il arrivait souvent à Victoire de s’endormir contre lui alors qu’ils trainaient dans le canapé mais c’était la première fois qu’il la voyait dormir seule dans leur immense canapé en cuir bleu canard.
Ce canapé qui avait été le premier meuble qu’ils avaient acheté lors de leur emménagement ensembles.
Incapable d’esquisser un geste de plus en sa direction, désemparé de la voir aussi brisée, le coeur broyé dans un étau, il tourne les talons et parti se réfugier dans leur lit. Ce soir sera la première nuit qu’ils ne dormirons pas ensemble.
