Elle pressentait avec acuité sa fin imminente. Elle n’aurait jamais assez de pouvoir pour l’arrêter, même elle devait le reconnaître. Son ennemi était bien trop puissant. Elle s’était battue jusqu’au bout, avec fierté, courage et bravoure, mais à présent elle était prise au piège. Il avait été rusé et la voilà prisonnière de sa propre demeure.
Pourtant, elle refusait de mourir en lâche. Elle tomberait avec grâce et dignité, la tête haute. Même dans la mort, elle serait majestueuse.
Lorsque ses défenses cédèrent, elle le sentit jusque dans ses os. Elle entendit le pont-levis tomber dans un craquement de fin du monde. Par la meurtrière, elle voyait la poussière envahir la cour du château.
Impassible, elle souleva la tapisserie dissimulant une ouverture dans l’épais mur de pierre et se glissa dans la pièce voisine. Une alcôve circulaire de petite taille où elle seule pouvait pénétrer, grâce à un sort complexe qu’elle avait inventé elle-même. S’y trouvait son atelier, ses potions, ses ingrédients et tous ses secrets.
Lentement, elle se dirigea vers son secrétaire de bois sculpté, où reposait son journal. Elle ne pouvait pas partir sans porte de sortie.
D’une écriture nette et déliée, elle inscrivit une incantation de son cru sur le parchemin jauni de la dernière page, qu’elle avait passé des années à peaufiner, à affiner, à perfectionner, jusqu’à s’en estimer pleinement satisfaite. Une fois ceci fait, elle la contempla de longues secondes avant de sortir sa baguette, déterminée à se battre malgré tout.
Elle tenta tant bien que mal d’ignorer la sensation désagréable provoquée par la venue de son ennemi au sein du château. Sa magie bienfaisante pervertissait l’âme de sa demeure. Concentrée, elle murmura une litanie de mots compréhensibles d’elle seule. Une lumière malsaine surgit au bout du bâton de bois et elle sentit l’habituelle puissance parcourir ses muscles, grisante.
Lorsqu’elle se tut, les mots qu’elle avait tracés s’illuminèrent brièvement, avant de redevenir simples lettres d’encre noire.
Un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres rouges lorsqu’elle referma soigneusement son journal. Tout se déroulait comme prévu. Elle le posa en évidence sur son secrétaire puis se leva, prête à faire face à son destin.
Elle sortit de son alcôve, dont elle scella la porte à tout jamais. Le battant de la salle des gardes vola alors en éclats. Elle serra les dents et ses yeux s’illuminèrent d’une lueur décidée. Elle était peut-être piégée, dans l’impossibilité de transplaner, mais elle ne partirait pas sans se battre. Avec toute la rage dont elle était capable.
Leur combat fut épique. Bien qu’il ne fût résumé par la suite qu’en quelques lignes dans les livres d’histoire, il fut spectaculaire. Les sorts fusaient, complexes, la pierre explosait, la poussière saturait l’air, les souffles se faisaient plus court, le désespoir de la victoire plus pressant.
Jusqu’à ce qu’un éclair vert passe sous le bras de la propriétaire du château, venant se loger au creux de sa poitrine et lui ôtant la vie.
Lorsqu’elle rendit son dernier souffle, le petit journal noir, bien à l’abri dans son alcôve secrète, disparut dans un bref scintillement, porteur de son sort funeste.
Le silence était enfin retombé sur la salle des gardes. Ne restait plus qu’un homme éreinté et tremblant de fatigue.
Merlin s’approcha de son ennemie enfin tombée, surplombant son corps immobile. Il fut pris d’un frisson devant le sourire tordu qui barrait son visage, malfaisant même dans la mort. Il avait le désagréable pressentiment que cette chute ne signait pas la fin de l’histoire.
Sans se douter à quel point il avait raison. Il lui faudrait peut-être des siècles, mais elle aurait sa revanche.
La malédiction de la grande Sorcière Noire Azénor était lancée.