2005
Le vent hurle en s'engouffrant sous les avancées du toit de chaume. Il est tellement violent qu'il en fait trembler les vitres. Une jeune femme emmitouflée dans une grande robe bariolée et un châle de laine immense entreprend de fermer les volets de bois un à un. Le vent joue avec ses cheveux bruns qui s'agitent en tornade autour de sa tête. Elle lutte contre le vent qui repousse les volets, et les ferme avec le crochet. Elle jette un regard inquiet vers la grange où sont enfermés les ânes, les chèvres, les poneys, les lapins dans leur clapier et les poules dans leur poulailler. Elle fait le tour du corps de ferme et s'assure que les volets sont bien solidement retenus, avant de rentrer dans la maison.
La jeune femme frissonne dans son entrée en ôtant ses bottes de caoutchouc boueuses, et elle enfile des chaussons bien chauds et confortables. Son chien est là, pleurant d'une voix aiguë en entendant les hurlements du vent. La jeune femme lui flatte la tête avant d'allumer la lumière qui s'éteint aussitôt. Un long soupir se fait entendre, et elle cherche des bougies dans le meuble de l'entrée, les pique sur des bougeoirs et craque une allumette. Les bougies éclairent une entrée étroite où plusieurs manteaux sont accrochés à des portants, et des cannes et parapluies sont dans un énorme seau. Une rangée de chaussures est au sol, des bottes, des chaussons et des sabots s'alignent le long du mur. Un grand tapis couvre le sol de pierre et court jusqu'à une porte vitrée que la jeune femme franchit. Les lumières tremblotantes des bougies révèlent un couloir étroit orné d'une multitude de vieilles photos de famille, d'enfants sur des ânes et de vieillards avec un lapin dans les bras. Des tableaux naïfs partagent le reste des murs, scénettes champêtres et marines tempétueuses.
La jeune femme entre dans la cuisine, en ouvre le réfrigérateur datant de la dernière guerre, promène son regard sur les dizaines de plats que les voisins lui ont offerts, mais elle referme la porte, la gorge soudainement serrée. Elle n'a pas faim de toute façon. Elle n'a pas mangé de vrai repas depuis une bonne quinzaine. Sa gorge se serre tout d'un coup, elle sort un poulet du frigo et le donne à son chien qui attend en la regardant, lui demandant l'autorisation de manger.
« Tu peux », dit-elle avec un sourire triste qui s'efface aussitôt.
La vie lui semble lourde, et longue. Tout lui demande le moindre effort. Se lever, se laver, s'habiller, marcher, et occuper ces journées interminables avant que ne vienne la nuit et que s'enfuie le sommeil.
La jeune femme soupire, ravale quelques larmes et va s'asseoir dans le canapé du salon, près du feu mourant. Elle regarde tout autour d'elle les meubles chargés de bibelot, et tous les cartons qui sont entassés, prêts à être remplis. Là, elle se rappelle de tout ce qu'elle a à faire, remplir les cartons, vendre les meubles, vendre la maison. Elle se rappelle également avoir repoussé toute personne lui ayant proposé de l'aider. Elle se rappelle qu'elle ne sait absolument pas quoi faire de sa vie, où aller, qu'elle est seule au monde, et cette fois-ci, elle ne peut pas retenir ses larmes, ni ses sanglots étouffés par ses mains, rendus presque silencieux par le vacarme de la tempête dehors.
Ce qu'elle ne sait pas, c'est que sa vie est sur le point d'être bouleversée.