Lorsque Rugbott avait pour la première fois franchi les murs de la célèbre banque de Gringotts, il savait d’ores et déjà qu’il allait y travailler plus tard. Depuis des générations, de père en fils et de mère en fille, on y avait acharnement fait ses preuves. Cette banque faisait la fierté de sa famille et fascinait Rugbott par tous ses biens précieux qui s’y cachaient. Enfant, il adorait venir, accompagné de son père, à ce majestueux établissement. Il aimait ce que tous ces étranges sorciers apportaient. Cela passait des quelques mornilles aux plus beaux artéfacts forgés par sa communauté. Il était toujours et aussi fasciné par ces trésors cachés. Néanmoins, au fil du temps, lorsque des sorciers venaient y cacher un de ces trésors, Rugbott avait appris à froncer les sourcils et à les juger.
Sa famille et les amis de ses parents lui avaient expliqué que les sorciers et les sorcières, êtres cupides et sans valeur, volaient leurs créations depuis des générations. Rugbott avait été d’ailleurs estomaqué d’apprendre qu’ils revendaient ou donnaient ces biens sans jamais payer l’artisan ou sa famille. Le jeune gobelin écoutait donc sagement les conseils de sa communauté et fronçait les sourcils lorsqu’ils voyaient de tels artéfacts qui avaient été transmis sans scrupule. Néanmoins, enfant, au fond de lui, il n’arrivait pas complètement à détester les sorcières et les sorciers pour cela, il était tout simplement trop fasciné par ce qu’ils apportaient dans la banque. C’est bien plus tard qu’il comprit d’où venait le dégoût des gens de sa race envers les sorciers.
Malgré tout, Rugbott ne se considérait pas comme un être cupide. Oh non ! Au final, dans sa vie, il n’avait jamais eu de grandes possessions. Il se considérait plutôt comme un collectionneur de souvenirs. Un collectionneur des mémoires. Ces objets racontaient des histoires et chaque matériau avec lequel ils avaient été forgés portait une histoire et une magie dont seuls les gobelins avaient le secret et Rugbott aimait les secrets. Il aimait autant les découvrir que les conserver. Un jour, lorsqu’il venait à peine de commencer sa formation pour Gringotts, il avait eu l’occasion de visiter des coffres des anciennes familles. On lui avait expliqué comment certains coffres étaient gardés et toute la complexité des enchantements pour empêcher des voleurs de s’en emparer. Le jeune gobelin avait pu constater de lui-même la beauté et la richesse des trésors des sorciers, ainsi que l’avarice de leur propriétaire. Ces coffres étaient remplis de merveilles. Et beaucoup de merveilles étaient clairement gobelines. Au fond de ses tripes, Rugbott avait senti l’injustice lui tenailler l’estomac. Même si la cause gobeline avait récemment fait des avancées remarquables grâce un certain Oswald Beamish, un sorcier, cette race se permettaient toujours voler leurs biens sans même leur permettre de leur donner le secret des baguettes magiques.
Cela faisait maintenant deux ans que Rugbott pouvait se considérer comme travailleur à part entière de la banque. Pour le moment, il s’occupait principalement de la vérification des livres de compte dans les bureaux derrière les comptoirs. Cette journée lui paraissait particulièrement longue et difficile. Il avait repéré une erreur dans le Grand livre qui s’ajoutait avec d’autres et il commençait à peine à accepter le fait qu’il devrait tout récrire. Il soupira et se leva pour aller chercher un nouveau rouleau de parchemin dans l’entrepôt. En marchant, il croisa d’innombrables gobelins, gobelines, sorcières et sorciers qui circulaient. Apparemment, il y avait un important évènement cette semaine et des sorcières et des sorciers et des gobelines et des gobelins de partout dans le monde s’étaient rassemblés à Gringotts. Rugbott se faufila entre eux en entendant ici et là des langues les plus étranges les unes que les autres. À l’exception de sa langue maternelle, le gobelbabil, Rugbott n’avait eu l’occasion d’apprendre que l’anglais et le français. Il savait qu’un jour, s’il voulait monter en grade dans la banque, qu’il aurait tout intérêt à développer ses langues secondes, mais il était encore très jeune et il savait pertinemment que ce n’était qu’une question de temps. Après tout, le directeur de la banque, pas plus tard que la semaine dernière, lui avait confié qu’il tenait beaucoup d’espoir en lui.
Avant d’entrer dans l’entrepôt, Rugbott saisit une torche disposée à cet effet. Il faisait toujours aussi sombre qu’au fond d’une caverne. Après tout, cet entrepôt conservait des livres bancaires datant de plusieurs centaines d’années et pour les préserver on devait les exposer le moins possible à la lumière du jour. Le halo de lumière dispersé grâce à sa torche n’était cependant pas très puissant. Surtout que les yeux de Rugbott n’étaient franchement pas très bons. Il savait que c’était une question de temps avant qu’il doive se commander des lunettes, mais obstiné, le gobelin avait toujours refusé d’aller chez un optomételonio.
Pas à pas, tâtant du bout du pied ce qui se trouvait devant lui, Rugbott tentait de trouver le classeur où se situerait un livre de compte neuf. En plissant les yeux, il lisait les inscriptions parfois claires, parfois griffonnées, en anglais. Il passait ses doigts sur les étiquettes en fronçant les sourcils. Lorsqu’il vit finalement l’inscription : « Livres de compte », il fut soulagé et chercha dans sa poche un immense trousseau de clés qui lui permettrait d’ouvrir le tiroir. À une main, l’autre tenait la torche, il n’était néanmoins pas facile de dénicher la bonne clé et après deux tentatives infructueuses à tester différentes clés, il échappa le trousseau sur le sol. Il soupira, agacé. Il mit un genou à terre et se pencha pour ramasser le trousseau de clés qui avait glissé jusque sous une petite table. Il la chercha de sa main, ses yeux n’étant pas encore suffisamment acclimatés à la lumière de la torche qui n’était pas très forte, lorsqu’il sentit une main lui donner le trousseau.
Rugbott sursauta violemment et retomba en arrière sur les fesses. Il se cogna la tête sur un classeur derrière lui et échappa la torche qui, sous le choc, s’éteignit. Une dizaine de rouleaux de parchemin lui tomba sur la tête qu’il tentait de repousser avec ses mains afin de comprendre ce qui se passait. Une fois que l’avalanche se fut calmée, Rugbott perçut une petite voix d’enfant dire en français :
« Oh, je suis désolée. Je ne voulais pas vous faire peur. »
Rugbott plissait les yeux afin d’apercevoir qui lui parlait, mais seul un mince filet de lumière parvenait de la porte restée entre-ouverte et cela ne lui permettait pas de distinguer qui était la forme noire devant lui. La forme se rapprocha après être sortie de sa cachette. Elle n’était pas très grande, pas bien plus grande qu’un gobelin. Mais elle lui avait semblé bien jeune, ce devait donc être une enfant d’un sorcier. Que faisait une enfant sorcière dans l’entrepôt ? Une forme longitudinale, une main, vraisemblablement, s’avança vers lui. Rugbott n’avait pas envie de la prendre, il n’avait jamais eu à serrer la main de sorciers auparavant. Quoique, peut-être une fois, mais c’était il y avait très longtemps, lorsqu’il n’était qu’un enfant.
« Laissez-moi vous aider… » dit la petite voix.
Rugbott se sentit obligé de la prendre. En fait, il était tellement surpris, ébahi, qu’il ne savait pas quoi faire d’autre que de suivre les instructions de la petite fille. Il se leva donc avec son aide avant de se pencher pour reprendre la torche. Il passa sa main au-dessus de la torche et l’alluma d’un coup. Une jeune fille apparut à la lumière de la torche juste entre eux deux. Sous les lueurs de la flamme, il percevait ses immenses yeux noirs. Sa peau et ses cheveux crépus étaient si sombres… Rugbott n’avait jamais aperçu ça dans sa vie. Alors qu’il la dévisageait, dans toute sa particularité, l’enfant, elle, dévisageait la torche qu’il venait d’allumer. Elle sortit sa baguette et la roula entre ses doigts :
« Papa me l’a acheté sur le… euh Diageon Allé, ce matin. Mais je préférerais tellement pouvoir faire de la magie juste avec mes doigts. Comment as-tu fait ? »
Rugbott dévisageait toujours la petite qui avait passé au tutoiement, même s’il ne comprenait que vaguement l’utilité d’une telle marque de politesse n’étant pas quelque chose d’utilisé dans sa langue maternelle. Il ne savait pas quoi répondre à cette petite sorcière qui lui semblait si étrange. Elle l’observa un instant, puis fronça les sourcils, ne comprenant visiblement pas pourquoi il ne lui répondait pas.
« Pourquoi ? Oh ! Tu ne parles pas ma langue ! Je peux essayer en anglais, mais je ne suis pas très douée… Hi, my name euh is Aissa. I like your magie. »
Ce n’était que très approximatif comme anglais, mais la simplicité de la phrase rendait la compréhension facile. Et de toute façon, il comprenait très bien le français. Il était juste encore trop surpris pour répondre. La scène lui paraissait absurde, même s’il savait bien qu’il devrait à un moment ou à un autre lui indiquer gentiment la porte.
« Je parle le français », dit-il dans un accent à mi-chemin entre sa langue maternelle et l’anglais ne trouvant que ça à répondre en voyant que la jeune fille devenait de plus en plus perplexe plus les secondes s’écoulaient.
Le sourire d’Aissa s’illumina lorsqu’elle l’entendit parler. Elle regarda ses doigts et demanda :
« Pourquoi tes doigts sont crochus ? »
« Pourquoi ta peau est noire ? »
Aissa fronça les sourcils, visiblement cette question lui déplaisait :
« Elle n’est pas noire, elle est chocolat au lait. »
« Mes doigts ne sont pas crochus, ils sont longs. »
Un petit sourire en coin apparut sur les lèvres d’Aissa, alors que Rugbott ne comprenait pas à quoi cette conversation rimait. Il aurait simplement dû lui tourner le dos et repartir d’où il venait. Évidemment, il aurait surement dû aussi la rapporter là d’où elle venait aussi. Elle n’avait rien à faire dans l’entrepôt.
« Hum… Tu es bon joueur. Ma peau est chocolat au lait, car je suis métisse. Ma mère vient de Dakhar au Sénégal et mon père vient de la région métropolitaine de France. »
Rugbott avait une vague idée de ce qu’était le Sénégal. Une colonie française en Afrique-Occidental française, il lui semblait.
« Tu dois toi aussi m’expliquer pourquoi tes doigts sont longs, c’est le jeu », insista Aissa voyant qu’il ne lui répondait pas.
Rugbott la regarda, surpris. Il n’était pas au courant de faire partie d’un jeu. Il n’était pas certain de vouloir jouer à un jeu ici, dans cet entrepôt avec une jeune Française qui s’y était illégalement faufilée.
« Mes doigts sont longs, car je suis un gobelin. »
Rugbott ne savait pas pourquoi il avait répondu malgré tout. Il avait l’impression que c’était un peu malgré lui. La jeune fille le regarda attentivement. La plupart des enfants sorciers avaient peur des gobelins. Mais elle, elle semblait juste très intéressée. Après, elle devait se douter qu’elle en croiserait si elle était dans la banque de Gringotts. La majorité des employés étaient de sa race. Après un moment de réflexion, elle parut simplement déçue. Rugbott la questionna du regard.
« Oh, donc je ne pourrai pas faire de la magie avec mes doigts, moi… »
Elle avait une baguette dans ses mains. N’importe quel gobelin aurait rêvé d’être à sa place, mais au contraire, elle paraissait déçue. Comme si, au fond, elle aurait davantage voulu être une gobeline juste pour faire de la magie avec ses doigts. Et puis, Rugbott le savait lui, que ce n’était même pas tous les gobelins qui étaient capables de maitriser la magie de la sorte. Si certains avaient presque pu être l’égal d’un sorcier avec baguette, la plupart n’arrivaient même pas à faire léviter une plume. Lui, il faisait partie des rares à être capable de faire quelques étincelles.
« Aissa ! » appela une voix dans le couloir.
La jeune fille ouvrit grand les yeux et chercha une porte de secours.
« C’est mon père ! Il ne doit pas savoir que j’étais ici. Quel est ton nom ? »
« Rugbott. »
« Rugbott… Merci Rugbott. »
La petite rangea sa baguette dans sa poche et sortie de l’entrepôt en courant. Le gobelin ne savait pourquoi elle l’avait remercié. Elle était si étrange. Il attendit donc quelques instants avant de sortir à son tour, sans se rendre compte qu’il n’avait pas pris un nouveau livre de compte.
***
Le lendemain matin, alors que Rugbott commençait sa routine matinale, son superviseur, Brignok, vint le trouver. Il semblait enthousiaste, ce qui n’était pas habituel. Rugbott en était donc légèrement inquiet.
« Rugbott, j’ai une grande nouvelle pour toi », déclara-t-il en gobelbabil, alors que le gobelin attendait impatiemment qu’il en vienne aux faits. « Il a été décidé que tu sois promu. Tu es le nouveau médiateur. »
Rugbott fronça les sourcils. Il n’avait jamais entendu parler de tel rôle. Il n’était même pas certain que cela existe réellement. Il attendit donc que Brignok lui explique plus en détail.
« Tu commences aujourd’hui. Tu devras faire la médiation entre certains nos visiteurs et nous. Tu devras traduire, si besoin, et t’assurer de la bonne entente entre chacun. C’est compris ? »
Rugbott ouvrit la bouche, prêt à contester. Il n’avait aucun talent dans la médiation de quoique ce soit. Il n’avait pas particulièrement de l’entregent et était un piètre négociateur. Il n’avait pas été formé pour cela. Il était bon pour compter et un jour, il aimerait surement participer aux choix des sortilèges de défense, explorer ce que les autres pays faisaient pour renforcer celles de Gringotts. Il n’avait pas envie de faire affaire avec des sorciers si ce n’était que pour promouvoir la bonne entente. En fait, il s’en fichait de la bonne entente sorcier-gobelin.
« Tu n’as pas le choix », le coupa Brignok. « Tu parles très bien français et il ne reste que la banque sorcière française avec qui négocier un contrat. En plus, tu ne fais pas un travail essentiel. »
« Oui, je suis vérificateur des… »
Rugbott s’interrompit, Brignok lui avait lancé un regard sérieux qui ne demandait aucune réponse. Le gobelin se renfrogna. Très bien. Il ferait exactement ce qu’on lui demandait, mais il espérait que les sorciers n’espèrent pas de lui trop de bonne humeur. Il n’en avait pas en réserve. Il ramassa son bureau, alors que Brignok allait lui chercher une liasse de documents qui expliquait le marché en cours. Il était question d’une alliance entre la banque anglaise et celle française, des taux de change avantageux et l’entreposage de biens historiques d’une valeur inestimable. Cela ne lui semblait pas très sorcier à comprendre.
En arrivant, dans la pièce, Rugbott vint s’assoir à côté d’un des hauts supérieurs de la banque : Gorteck. Gorteck était un gobelin relativement âgé, qui avait toujours une mine sérieuse et qui connaissait tout ce qu’il y avait à savoir sur Gringotts. Il avait été jadis habile de ses mains, qui lui avaient permis de travailler dans la conception des protections de Grignotts comme artisan. Néanmoins, dix ans auparavant, alors que Rugbott n’était qu’un très jeune gobelin, il avait vu Gorteck se laisser manger par une maladie gobeline qui le faisait maintenant trembler si fort que même tenir une plume était une chose ardue. Gorteck ne s’était pas laissé abattre longtemps et s’était plongé dans les chiffres et les échanges bancaires. Sa logique et sa créativité d’antan étaient maintenant utilisées pour créer des ententes avec d’autres pays. Il était toujours très professionnel et même s’il n’avait jamais appris d’autres langues que l’anglais et le gobelbabil, les banquiers sorciers comme gobelins appréciaient sa rigueur. Gorteck avait toujours été plongé dans le travail et c’était sans doute pour cette raison que Rugbott l’était devenu aussi. Il s’agissait de son père après tout.
Le jeune gobelin était assez surpris que son père le demande. Habituellement, à la banque, ils préféraient s’éviter. Au travail, la famille n’existait pas et Rugbott était à peine accompli, il avait encore ses preuves à faire tout au bas de l’échelle. Il hocha la tête pour saluer son père, qui ne prit pas la peine de le faire à son tour. Il ne s’en formalisa pas, c’était le travail après tout.
À leur bout de la table, il n’y avait que deux sorciers, dont une, Rugbott la reconnaissait, était en stage. De l’autre côté, du côté français, ils étaient tous des sorciers. Le gobelin n’avait pas encore eu l’occasion de visiter les banques des autres pays, ça le surprenait donc un peu qu’elles ne soient visiblement pas comme celle anglaise. Il n’y avait qu’un seul siège vide en face de son père, qui devait surement être occupé par le représentant principal de la banque française. Rugbott en profita pour placer sa plume et un rouleau de parchemin devant lui afin de prendre des notes. Un silence étrange régnait dans la pièce, comme si tout le monde en avait déjà assez d’être là, alors que ce n’était que la deuxième journée de négociation. Rugbott savait qu’avec son père, les négociations avaient l’habitude d’être assez rapides, mais avoir deux, même trois, journées n’était pas anormal non plus. Peut-être que l’homme était réellement compliqué à comprendre.
La porte s’ouvrit finalement sur un sorcier assez grand et très mince. Il avait un sourire narquois au visage comme si la conversation qui suivrait l’amusait déjà. À côté de lui, le père de Rugbott prit une respiration, appréhendant visiblement le moment qui suivrait.
« Good morrrning evryone! » s’exclama le sorcier avec un accent terrible en anglais.
Rugbott comprenait maintenant pourquoi il devrait agir comme traducteur. L’homme parcourut la salle du regard et tomba sur lui. Son regard s’illumina alors qu’il revenait à sa langue maternelle :
« Oh ! Je vois qu’on m’a trouvé quelqu’un pour me traduire ! C’est super ! Oh et aussi, j’espère que ça ne vous dérange pas, j’ai moi aussi une invitée spéciale aujourd’hui. »
Rugbott fronça les sourcils, circonspects. Il était considéré comme un invité spécial ? À côté de lui, un gobelin lui indiqua de commencer dès lors sa traduction. Il dit quelques mots en gobelbabil avant de voir les regards des sorciers se durcir et changer pour l’anglais. Pendant ce temps, le français ouvrit de nouveau la porte et laissa entrer une petite fille à la peau chocolat au lait.
« Aissa, ma chérie, viens. »
Rugbott figea un moment en voyant la mine intimidée avant de se durcir pour devenir insatisfaite de l’enfant. Aissa jeta un regard à son père avant de parcourir la salle pour tomber directement sur lui. Aussitôt, les lèvres de la petite s’élargirent. Son père suivit son regard et eut lui aussi un drôle de sourire. Si celui de sa fille semblait tout à fait honnête, celui du père semblait avoir une idée derrière la tête et Rugbott n’aimait pas ça. Il avait l’impression qu’Aissa n’avait pas caché leur rencontre à son père, finalement, et cela rendait le gobelin mal à l’aise. Après tout, ce genre de rapprochement, même s’il était sans intérêt et était insignifiant, n’était pas bien vu chez les sorciers. Si l’opinion que les sorciers avaient envers lui l’importait peu, il craignait de possibles accusations qui pouvaient en résulter, en revanche. Et tout le monde savait que la justice sorcière était loin d’être juste envers sa race. Il figea donc un instant jusqu’à ce que Gorteck claque son long ongle contre la table pour lui intimer de faire son travail.
« Ma fille sera parmi nous aujourd’hui. Il faudrait donc une chaise supplémentaire. »
Avant que quelqu’un puisse s’y opposer, un sorcier appela un elfe de maison qui apporta une chaise. La rencontre put enfin commencer. Les Anglais commencèrent par résumer les faits saillants des échanges économiques entre leurs banques et de la discussion d’hier. Pendant qu’il traduisait, Henry Flitwick, son nom avait finalement été mentionné, avait une jambe croisée sur lui et jouait avec sa plume en faisant parfois des clins d’œil à sa fille qui souriait. Il ne semblait porter aucunement attention à ce qui se passait à l’avant et Rugbott se disait qu’il aurait été bien plus utile à continuer de faire des comptes que de traduire tout ça pour lui. Soudain, Henry leva une main, interrompant Gertrack, une gobeline qui s’efforçait d’expliquer la proposition de la banque de Gringotts.
« J’ai compris, j’ai compris. Vous aviez déjà dit ça hier. Je comprends suffisamment bien l’anglais pour comprendre ça. Mais vous, vous n‘avez toujours pas répondu à ma question. »
Rugbott continua sa traduction trouvant ce sorcier bien effronté.
« Comment comptez-vous me convaincre que Gringotts serait réellement le meilleur choix pour moi ? En quoi puis-je avoir confiance en vous ? »
« Vous savez, Gringotts est la banque ayant la plus grande sécurité au monde. Ses protections sont parmi les plus puissantes dans le monde et son partenariat entre les gobelins et les sorciers fait en sorte… » commença Rugbott s’efforçant de traduire tout ce que disait Gertrack.
« Ah ! Ça oui ! Vous m’intéressez, là ! Parlons-en des gobelins ! » coupa Henry en se levant et en pointant Rugbott qui fronça les sourcils pas du tout à l’aise et légèrement insulté d’être pointé du doigt de la sorte.
Tout le monde avait sursauté après ses mouvements brusques et la plupart dévisageaient le traducteur en se demandant ce que ce Français bien étrange venait de dire en sautant à pieds joints.
« Vous voulez savoir pourquoi nous avons formé un partenariat entre les sorciers et nous? » traduit Rugbott.
« Oui ! Euh, pas exactement, en fait. Je veux vous connaitre, vous ! Vous détenez peut-être les secrets qui font de Gringotts l’une des banques les plus sécuritaires au monde, mais la banque sorcière française est celle qui a le plus d’argent. Et vous savez grâce à quoi ? »
Alors que Rugbott commençait à traduire, Henry le coupa et dit :
« À cause des liens d’amitié qu’elle entretient avec ses partenaires. »
Rugbott fronça les sourcils. Pour lui, l’amitié et l’argent ne devaient pas être mélangés. Apparemment, les autres membres autour de la table étaient bien d’accord là-dessus, car lorsqu’il eut fini de traduire des voix s’élevèrent. Henry sourit, visiblement très satisfait de son effet. L’ordre fut cependant repris rapidement, alors Gertrack reprit la parole :
« Um… What do you suggest? »
Rugbott n’eut pas le temps de traduire qu’Henry répondait déjà :
« Je suggère que nous apprenions à nous connaitre. »
Rugbott traduit et puisque les gobelins et les sorciers anglais semblèrent tous un peu perdus, Henry reprit :
« Écoutez, je n’ai jamais eu l’occ… la chance de travailler avec des gens comme vous. D’où je viens, c’est à peine si on vous évoque dans nos cours, même si on sait que vous avez des rapports étroits avec des sorciers en Grande-Bretagne. »
« All gobelins had been eradicated in France, long ago », dit une gobeline à l’air méfiant un peu pour elle-même, même si le fait de s’exprimer en anglais laissait clairement envisager qu’elle avait quand même l’intention qu’Henry l’entende.
« Peut-être bien », reprit Henry qui avait visiblement entendu « Mais je ne suis pas là pour réparer les torts qui ont peut-être été commis dans le passé par les sorciers de France. Je suis ici pour créer un partenariat avec Gringotts, avec mes amis de Gringotts », précisa-t-il un sourire enjôleur aux lèvres.
Rugbott prit son temps pour traduire les dernières paroles et tout le monde se consulta du regard, ne sachant pas trop quel angle adopter. Gertrack finit par dire alors que Rugbott traduisait :
« Écoutez, nous souhaitons, autant que vous, créer ce partenariat d’affaires. Vous souhaitez connaitre davantage notre race et nous le comprenons et c’est pourquoi nous souhaitons rester uniquement des partenaires… »
«You will come to my house to supper tonight », interrompit Gorteck.
Rugbott se tourna vers son père, estomaqué. Il venait de proposer quoi à cet homme ? Son père ne lui accorda aucun regard et il continua :
« Rugbott will show you the way. We eat at five. Until then we'll break this meeting off and resume tomorrow. Good day to you all. »
Gorteck se leva et quitta la salle. Rugbott dut se secouer pour reprendre ses esprits afin de traduire comme il le pouvait ce que venait de dire son père. Henry eut un sourire bien satisfait alors que les autres gobelins se levaient en chuchotant afin de reprendre leur poste. Certains adressèrent même un regard désolé à Rugbott. Lui aussi, habitant avec ses parents, ses grands-parents ainsi qu’un grand-oncle qui n’avait pas eu d’enfant, les gobelins quittaient rarement la maison familiale avant de créer leur nouvelle famille où le couple devait décider dans quelle maison ils habiteraient, devrait supporter la présence de ce sorcier si particulier. Rapidement, Rugbott se retrouva seul avec Henry et Aissa. Il frotta ses mains ensemble avant de commencer à prendre ses choses qui étaient disposées sur son bureau. Il se sentait mal à l’aise, seul de cette façon avec un sorcier. Il n’était jamais à l’aise lorsqu’il y avait des sorciers dans la pièce.
Il fit donc mine qu’ils n’étaient pas là jusqu’à ce qu’il sente les grands yeux de la petite Aissa le fixer. Il leva la tête et s’aperçut qu’elle était maintenant juste à côté de lui. Il la dévisagea à son tour et elle sourit.
« Tu habites au même endroit que le gobelin avec le long nez ? »
« Gorteck ? » répondit Rugbott un peu décontenancé qu’on décrive son père de la sorte.
La petite hocha la tête. Il leva la sienne et vit qu’Henry suivait attentivement leur conversation. Il frotta ses mains ensemble, mal à l’aise.
« Oui », se contenta de répondre Rugbott en se demandant quand elle le laisserait partir.
Il mit ses documents sous son bras et commença à avancer pour lui indiquer que leur conversation était terminée. Il tomba sur Henry qui de toute sa grandeur lui bloquait la porte de sortie. Il leva son propre nez vers le visage de cet étrange banquier.
« Ma fille m’a dit que vous faisiez de la magie sans baguette, c’est vrai ? »
Rugbott fronça les sourcils. Visiblement, Aissa avait raconté leur rencontre à son père hier. Ce qui le surprenait, néanmoins, c’était qu’il semblait curieux, presque autant que sa fille, à son égard. Pour le gobelin, les sorciers étaient souvent méfiants et sur la défensive, particulièrement lorsqu’ils savaient qu’un gobelin avait des pouvoirs magiques.
« Oui », se contenta donc de répondre Rugbott.
« Très intéressant… », sourit Henry. « Votre espèce est fascinante, j’ai hâte de pouvoir manger à vos côtés ce soir. Cela vous va de nous rencontrer devant la banque ? »
Toujours méfiant, Rugbott hocha la tête.
« À 16h45, alors. »
Henry sourit avant d’appeler Aissa et de quitter la salle. La petite courut rejoindre son père, mais avant de franchir la porte elle glissa un objet dans la main de Rugbott. Il sursauta en retirant sa main. Il regarda ce qu’elle y avait mis à l’intérieur. Il s’agissait d’un bracelet tressé avec des cordes beiges. Il y avait un petit médaillon en bois qui y pendouillait. Rugbott fronça les sourcils pour l’observer plus attentivement. Quelqu’un y avait dessiné, non plutôt brulé, le symbole du feu dessus. Le gobelin leva la tête et dévisagea Aissa qui attendait sa réaction à moitié sortie de la pièce.
« C’est moi qui l’ai fait hier soir. C’est pour toi. C’est comme le feu de la torche. »
Aissa sourit et Rugbott la dévisageait sans savoir quelle réaction il devait avoir. De l’autre côté, Henry appela sa fille et elle referma la porte, le laissant seul, troublé.