I. De mauvais augure
La première fois que Tracey Davis rencontra Luna Lovegood, elle la trouva franchement bizarre.
Elle était restée perplexe devant ses longs cheveux blonds mal entretenus, ses grands yeux bleus qui semblaient lire à travers les tréfonds de votre âme et sa peau si pâle qu'elle ne semblait jamais avoir vu les rayons du soleil. Son style vestimentaire, composé de robes colorées aux motifs en tout genre, et accessoirisé par des bijoux et des lunettes qui clashaient terriblement avec ses tenues, l'avait laissée décontenancée.
L'apparence physique de Luna Lovegood était tout aussi insolite que sa personnalité saugrenue. Son appétence pour les créatures imaginaires et les instruments magiques biscornus lui avaient attiré des moqueries parmi ses pairs. Elle dégageait une aura curieuse, un je-ne-sais-quoi sur lequel Tracey n'avait jamais pu mettre un terme approprié. Une chose était toutefois certaine, jamais Tracey n'avait rencontré quelqu'un comme Luna Lovegood dans sa vie.
Puis, avec le temps, et trop absorbée par sa propre intégration à Poudlard, Tracey n'en n'avait plus pensé grand-chose. Jamais elle n'aurait cru que le destin lui referait croiser le chemin de Luna Lovegood de manière inattendue.
Tout avait commencé pendant un mardi tout à fait ordinaire. Tracey s'était levée en trombes, réveillée par l'agitation régnant dans le dortoir des filles de Serpentard.
« Pourquoi personne ne m'a réveillée ? » demanda Tracey en panique, après avoir jeté un coup d'œil à sa montre, posée sur la table de chevet près de son lit.
Elle s'était levée avec une demi-heure retard sur son heure de réveil habituelle.
« Je ne suis pas ta mère, Tracey. » rétorqua Daphné Greengrass en levant les yeux au ciel, comme si sa condisciple avait posé une question particulièrement stupide.
Comme chaque matin, l'usage de l'unique salle de bain du dortoir provoqua des conflits. Alors que Tracey se dirigeait vers cette dernière, elle aperçut une tornade brune filer devant ses yeux désemparés et entrer dans la pièce à toute allure.
« Désolée ! » lança Pansy Parkinson d'un ton mutin.
Elle lui adressa un regard empli de moqueries avant de claquer la porte de la salle de bain au visage de Tracey. Cette dernière laissa échapper un soupir de frustration, ignorant le gloussement moqueur de Pansy derrière la porte.
« Elle va y passer une heure. » fit remarquer Daphné, qui portait déjà son uniforme et s'apprêtait visiblement à quitter la chambrée. « Tu t'es encore faite avoir. »
Elle sortit du dortoir, les sœurs Carrow sur ses talons. Ces dernières caquetaient bruyamment en jetant des regards moqueurs vers Tracey.
« Comment je peux être amie avec ces pestes ? » pensa-t-elle, l'air ombrageux.
Elle se dirigea vers le miroir suspendu sur la porte du dortoir et retira le foulard en soie qu'elle portait sur ses cheveux pendant la nuit afin de les protéger. Même si elle ne pouvait pas prendre sa douche, elle tenterait d'optimiser son temps en s'occupant de ses cheveux, qui prenaient toujours un temps fou pour être présentables.
Sa chevelure, une masse épaisse de frisottis serrés, lui arrivait jusqu'aux épaules, formant presque un halo nuageux autour de son visage fin. Pour dompter ses cheveux, Tracey s'était habituée à appliquer un sort de lissage. Elle n'aimait pas se faire remarquer et sa chevelure n'était pas un gage de discrétion.
Dès sa première année, Tracey s'était lassée d'entendre les remarques persifleuses de certaines de ses camarades - notamment celles de Pansy Parkinson – au sujet de la texture différente de sa chevelure. A l'époque, Tracey avait ressenti cette pression vitale d'adopter les codes des autres filles de sa maison pour s'y faire une place. Cela impliquait son apparence physique et les canons de beauté qu'elles idéalisaient.
La famille de Tracey avait emménagé au Royaume Uni à l'aube de ses onze ans. A son entrée à Poudlard, elle avait été tiraillée par la perspective de ne pas s'intégrer parmi les autres enfants. La culture britannique et les codes de la société sorcière locale étaient bien différents de son pays d'origine, Trinidad-et-Tobago, un archipel des Caraïbes.
C'était par esprit d'assimilation que Tracey avait supplié le Choixpeau de l'envoyer à Serpentard, après avoir rencontré Daphné Greengrass dans les barques menant les premières années au château imposant qui se dressant face au lac.
« Serpentard est la meilleure maison de Poudlard, évidemment. » avait prétendu Daphné, d'un ton plein d'aplomb. « C'est là que je veux me faire répartir. Toute ma famille y a été. »
Tracey était restée impressionnée et admirative devant l'assurance et l'aisance que dégageait cette petite fille. Elle avait surtout été heureuse de trouver quelqu'un qui avait accepté de lui parler. Pendant la cérémonie de répartition, le Choixpeau avait voulu envoyer Tracey à Poufsouffle, une maison qui, selon lui, conviendrait parfaitement à sa personnalité.
« Serpentard, Serpentard, Serpentard. » avait inlassablement réclamé Tracey, en apercevant Daphné et le groupe de fillettes qui se pressaient à la table aux teintes vertes et argentées. « Je veux aller à Serpentard. »
Contre toute attente, le Choixpeau avait écouté son choix et l'avait envoyée chez les Serpentard. Un soulagement extrême avait envahi la fillette. Tracey savait que son père aurait probablement qualifié son attitude d'influençable, voire désespérée mais elle n'en avait que faire. Être acceptée était ce qui lui importait le plus.
Finalement, la porte de la salle de bain s'ouvrit à la volée, et Pansy apparut dans l'encadrement, emmitouflée dans un peignoir d'un rose flashy. Elle jeta un regard innocent vers Tracey qui se rua à son tour dans la salle de bain.
Tracey n'eut pas le temps de passer à la Grande Salle pour son petit-déjeuner et se rendit directement à son cours de Métamorphoses. Elle s'installa à la dernière rangée, entre Pansy et Flora Carrow. Elle sentit son estomac gargouiller bruyamment et posa une main embarrassée sur son ventre. Au réveil, elle était toujours affamée et ne ratait jamais le petit-déjeuner.
« Tu n'as pas fini de te coiffer ? » demanda Pansy d'une voix doucereuse, observant les cheveux de Tracey d'un œil critique.
« J'aurais probablement eu le temps de me coiffer si quelqu'un n'avait pas passé une éternité dans la salle de bain. » rétorqua Tracey, l'air contrarié.
Pansy arborait une expression hilare, faisant mine de ne pas saisir le reproche. Minerva McGonagall, leur professeur de Métamorphose, entra alors dans la salle de cours, sa longue robe de sorcière grise virevoltant à son passage. D'une voix sévère, elle intima à Sally-Ann Perks de sortir ses affaires au lieu de glousser bêtement puis se dirigea vers le tableau afin d'y inscrire des mots à l'aide de sa baguette.
« L'un d'entre vous peut-il me rappeler quels sont les grands principes du Polymorphisme ? » interrogea McGonagall, jaugeant sa classe d'un œil strict, derrière ses lunettes rectangulaires.
Sans surprise, Hermione Granger leva précipita sa main en l'air, sursautant presque sur son siège, afin d'être interrogée par le professeur. Pansy se tortilla de manière exagérée sur sa chaise pour la singer. Comme Pansy était assise au dernier rang de la classe, dissimulée par d'autres rangées d'élèves, McGonagall ne sembla remarquer son imitation. Son regard était rivé en direction d'Hermione qui s'empressa de répondre à sa question.
« Effectivement Miss Granger. Cinq points pour Gryffondor. » indiqua-t-elle avec satisfaction, hochant la tête en direction d'Hermione Granger qui semblait aux anges. « Pour la leçon du jour, nous allons étudier un sort basique de Polymorphisme. »
Comme à l'accoutumée, il fut impossible pour Tracey de porter attention à son cours car Pansy Parkinson avait entamé un long récit de sa dernière dispute avec Théodore Nott, son crush actuel. Elle se plaignit de son attitude désinvolte à son égard, le traita de tous les noms et prétendit avec véhémence qu'il n'était pas assez bien pour elle.
« La seule raison pour laquelle je perds mon temps avec lui est parce que sa famille est propriétaire de l'entreprise Nimbus. » affirma-t-elle avec morgue.
« Et puis il faut avouer qu'il n'est pas désagréable à regarder, pas vrai ? » ajouta Hestia Carrow avec une mine entendue.
« Où est passé le romantisme et le temps où l'on sortait avec quelqu'un parce qu'on était amoureuse ? » demanda Tracey avec ironie.
« Arrête avec tes contes de fée, Cece. L'amour ne paie pas les factures. » avança Pansy en levant les yeux au ciel.
Elle gribouilla sur son parchemin, dessinant ce qui ressemblait à un gallion à côtés de ses notes.
« Et puis techniquement, je me marierai avec lui par amour. Amour des bijoux, amour des cadeaux, amour des chaussures. » avança-t-elle avec un rictus satisfait.
Les jumelles Carrow pouffèrent silencieusement à la remarque. Même Tracey, qui n'adhérait habituellement pas aux discours de Pansy en termes de relations amoureuses, ne put s'empêcher de rire.
« Miss Davis. » héla soudainement McGonagall, dardant sur Tracey un regard austère. « Je ne vous importune pas, j'espère ? »
Immédiatement, Tracey cessa de rire et jeta un regard blasé vers Pansy.
« Est-ce que le contenu du cours vous fait rire, Miss Davis ? » demanda McGonagall. « Ou vous pensez peut-être que vous êtes trop avancée pour mon cours et que je suis en train de perdre votre temps ? »
Tracey resta silencieuse devant la question rhétorique.
« Dans ce cas, Miss Davis, pourquoi ne feriez-vous pas une démonstration devant le reste de vos camarades ? Je suis certaine qu'ils aimeraient apprendre de vos aptitudes. »
Tous les regards de la classe s'étaient retournés vers Tracey qui réprima un gémissement de frustration.
« Nous vous attendons. » insista McGonagall.
Tracy leva sa baguette d'un geste peu assuré et tenta de reproduire les mouvements que leur avait enseignés le professeur, au début du cours. D'une voix hésitante, elle murmura l'incantation. Malheureusement pour elle, rien ne se passa. McGonagall lui jeta un regard agacé.
« C'est bien ce qu'il me semblait. Dix points de moins pour Serpentard. Et Miss Davis, je vous attends ce soir dans mon bureau à dix-huit heures tapantes pour une retenue. » prévint McGonagall d'un ton autoritaire, avant de reprendre son cours.
Tracey se renfrogna tandis que les regards de ses condisciples se dirigeaient vers elle. Les Serpentard lui lancèrent des regards noirs pour les points qu'elle venait de faire perdre à leur maison.
Au grand dam de Tracey, la matinée passa à une lenteur interminable. Pendant son cours de Sortilèges, la veste préférée de Tracey prit feu, victime d'un sort raté de Seamus Finnigan qui ricocha sur le vêtement. Elle fut soulagée lorsque ses cours de la matinée prirent fin et qu'elle put enfin se diriger dans la Grande Salle pour le déjeuner.
Les cours de l'après-midi lui semblèrent plus rapides - sans doute parce qu'elle avait enfin le ventre rempli. Même l'abominable cours d'Histoire de la Magie du professeur Binns lui sembla plus supportable tandis qu'elle écoutait distraitement l'analyse de Pansy au sujet d'un article qu'elle avait lu la veille dans le magazine Sorcière-Hebdo – ''On sait enfin combien il faut de temps pour tomber amoureuse.''
Tandis qu'elles quittaient le cinquième étage pour se diriger vers les escaliers et rejoindre les cachots, elles croisèrent Luna Lovegood au détour d'un couloir, tenant fermement dans ses bras ce qui ressemblait à une boule de cristal. Lovegood portait une paire de lunettes étranges, dont les verres étaient si denses que Tracey se demanda si elle pouvait vraiment voir à travers.
Lovegood ne semblait pas regarder devant elle et son attention était rivée sur la boule de cristal curieuse qui scintillait. Elle bouscula alors Pansy de plein fouet qui recula de plusieurs mètres sous la force de l'impact. La boule de Lovegood tomba au sol. Contre toute attente, le verre ne se brisa pas et la boule rebondit à plusieurs reprises sur le sol. Une substance visqueuse se dégageait à chaque rebond, faisant gicler un liquide verdâtre directement sur Pansy. Tracey vit l'un des jets arriver à toute allure dans sa direction mais n'eut pas le temps de l'éviter. Le jet l'atteignit de plein fouet dans les cheveux. Elle lâcha un cri de surprise qui se transforma en profond dégoût tandis qu'elle sentait le liquide gluant glisser le long de sa tempe et de sa joue.
« Pauvre mandragore stupide ! Tu as vu ce que tu viens de faire ? » s'écria Pansy d'un ton enragé à l'attention de Lovegood.
D'un geste agressif, elle tira les lunettes de Lovegood.
« Je suis désolée. » s'excusa Lovegood d'une voix lente, qui semblait réellement désolée. « Je ne vous ai pas vues. »
Tracey fut effarée de voir Lovegood arborer un air si calme. Habituellement, tout le monde était intimidé par Pansy Parkinson. Surtout lorsqu'elle paraissait aussi contrariée.
Lovegood s'empressa de ramasser la boule de cristal pour l'empêcher de causer davantage de dégâts.
« Tu es désolée ? » répéta Pansy avec un rire étranglé. « Tu sais combien de gallions m'a couté cette blouse ? »
Une épaisse tache verdâtre souillait désormais la blouse en cachemire blanche qu'elle portait.
« Tu crois peut-être que ton ''Désolée'' va payer le nettoyage ? » poursuivit Pansy en s'approchant de Luna, l'air menaçant.
Le coin de ses lèvres frémissait désormais sous l'effet du mécontentement.
« Je peux arranger ça. » assura Luna en brandissant sa baguette en direction du vêtement.
Elle murmura une incantation de nettoyage et la substance visqueuse s'estompa légèrement. Le vêtement garda toutefois la trace de la tache.
« Elle est complètement fiche à cause de toi, Loufoca ! » s'écria Pansy avec emportement.
« Et mes cheveux sont tous gluants. » renchérit Tracey avec agacement, jetant un regard plein de reproches à l'attention de Lovegood.
D'un geste hargneux, Pansy s'approcha de Lovegood et tira sa boule de cristal.
« Peut-être que tu devrais subir le même sort. » suggéra-t-elle en levant la boule au-dessus de la tête de Lovegood. « Pour voir l'effet que ça fait. »
Immédiatement, les jumelles Carrow se postèrent aux côtés de Lovegood et l'attrapèrent par les bras pour l'empêcher de bouger, une lueur railleuse dans les yeux.
« Que se passe-t-il, ici ? » demanda alors une voix grave, mettant un terme à l'altercation.
D'un geste parfaitement synchronisé, tous les regards se tournèrent vers McGonagall qui venait d'arriver dans le couloir. Immédiatement, Pansy baissa les bras, dissimulant la boule de cristal et les jumelles lâchèrent Lovegood, reculant de quelques mètres. McGonagall les observa tour à tour de manière suspicieuse, semblant analyser la situation qui se présentait à elle.
« Tout va bien, Miss Lovegood ? » demanda-t-elle après quelques instants.
« Oui, professeur. Simplement une bavure avec mon projet de Potions. » assura Lovegood d'une voix fluette.
Tracey lui jeta un regard décontenancé. Lovegood semblait presque… joyeuse ? A l'entendre, nul n'aurait pu imaginer qu'elle était sur le point de se faire harceler par un groupe de Serpentard fâchées. McGonagall lui adressa un regard perplexe mais ne sembla pas vouloir insister.
« Dans ce cas, que tout le monde circule. Et Miss Davis, je vous rappelle que vous avez une retenue dans mon bureau dans dix minutes. » indiqua la directrice adjointe. « Et pour l'amour de Merlin, nettoyez ces tâches sur votre visage avant le début de votre retenue. »
« Tu ne paies rien pour attendre, pauvre dégénérée. » murmura Pansy à voix basse entre ses dents, jetant un regard menaçant à Lovegood.
Elle s'éloigna en direction des escaliers, ses amies sur les talons.
« Je vous rejoins au dîner. » lança Tracey à l'attention de ses amies.
Elle s'empressa de se diriger vers les toilettes des filles de l'étage afin de se débarbouiller. Elle savait qu'elle n'aurait jamais le temps de retourner à la salle commune de Serpentard, qui se trouvait dans les tréfonds des cachots, puis revenir à temps pour sa retenue dans le bureau de McGonagall. Elle ne voulait pas donner à cette dernière une occasion de prolonger sa retenue.
Tracey s'efforça de retirer le liquide visqueux qui s'était glué à sa chevelure, redonnant à une partie de ses cheveux leurs frisottis. Malheureusement pour elle, des mèches de cheveux s'étaient collées entre elles à cause de la substance, les rendant sérieusement emmêlées.
« Quelle journée de merde. » jura-t-elle avec frustration.
Quelqu'un s'acharnait vraiment sur sa personne, cela ne faisait plus aucun doute. Finalement, découragée, Tracey ramena ses cheveux en un chignon qu'elle tenta de rendre net. Dans son sac, elle trouva un bandeau fleuri qu'elle revêtit sur sa tête. Ce serait suffisant pour le moment, décréta Tracey. Elle s'occuperait de sa chevelure le soir venu.
Lorsqu'elle arriva dans le bureau de McGonagall, cette dernière lui demanda de rédiger une dissertation de quarante-trois centimètres de parchemin sur le concept du Polymorphisme et les retombées morales et éthiques qu'il pouvait entraîner.
« Si l'heure n'est pas suffisante, vous reviendrez après le dîner. » la prévint McGonagall avant de s'asseoir sur son siège. « Je me mettrais donc rapidement au travail si j'étais vous, Miss Davis. »
Tracey observa son parchemin vierge avec découragement. Elle savait qu'elle ne pourrait jamais terminer ce fichu devoir dans le temps imparti. Sans surprise, à la fin de l'heure de retenue, Tracey n'avait écrit que la moitié de la longueur nécessaire. Après un dîner englouti avec une rapidité impressionnante, elle retourna dans le bureau de la directrice adjointe pour terminer le devoir.
Il était près de dix heures du soir lorsque Tracey rentra finalement dans la salle commune de Serpentard. Elle remarqua immédiatement son groupe d'amies installées dans les meilleurs sofas de la salle commune, devant le feu crépitant de la cheminée. Tracey se laissa choir dans un fauteuil aux côtés d'Hestia Carrow, l'air dépité.
« Je hais McGonagall. » affirma-t-elle avec un long soupir.
Ses amies acquiescèrent, semblant approuver ses paroles.
« Cette vieille bique est une vraie plaie. Lovegood a eu de la chance qu'elle soit arrivée. Si elle croit que je vais laisser passer ce qu'elle a fait à ma chemise, elle se fourre une baguette dans le nez. » déclara Pansy d'une voix impérieuse, croisant les bras, d'humeur acariâtre.
Le groupe se lança dans une session de remue-méninges afin de trouver les moyens les plus cocasses de rendre à Lovegood la monnaie de son gallion.
« On pourrait lui colorer les cheveux en vert. » proposa Hestia.
« Trop nul. Et puis la connaissant, elle trouverait probablement ça cool. » répondit Pansy en levant les yeux au ciel, l'air dégouté.
« Lui faire manger une assiette remplie de vers ? On pourrait jeter un sort d'illusion pour qu'il ressemble à du bacon. » proposa Daphné en ricanant.
Une lueur d'excitation anima soudainement les yeux noirs de Pansy. Tracey savait que ça n'annonçait jamais rien de bon.
« Ça me donne une idée. Pourquoi on ne referait pas ce qu'on a fait à Goyle, l'année dernière ? » suggéra-t-elle avec enthousiasme.
Elle se tourna vers Tracey.
« Tu pourrais utiliser ton… truc sur Lovegood. » poursuivit-elle.
Le truc que mentionnait Pansy faisait en réalité référence à l'obeah, une pratique magique ancestrale qui tirait ses origines dans les Caraïbes. Cette forme de magie était présente chez certaines familles de son pays, Trinidad-et-Tobago. Laurette, la grand-mère de Tracey, une puissante sorcière, avait été une fervente pratiquante de l'obeah. Elle avait enseigné à sa petite-fille les arts de cette magie ancestrale, si chère à sa culture. A sa mort, Laurette avait même légué à Tracey son journal personnel, qui contenait de nombreux rituels.
A cause de ses effets instables, on apparentait souvent l'obeah à de la magie noire et peu de personnes dans son île se risquaient à en faire usage. Elle puisait son énergie dans la nature et son côté brut et difficile à dompter en dissuadait plus d'un. Mal utilisée, elle pouvait pousser certaines personnes à perdre leur lucidité et impacter leur santé mentale de manière durable. Contrairement à la magie traditionnelle, elle faisait appel au spirituel et son culte se basait sur des aspects tels que la vénération des ancêtres, la divination, la possession de l'esprit ou encore le sacrifice animal.
L'année précédente, Gregory Goyle avait eu les mains baladeuses envers Hestia pendant une fête. Pour le punir, elles s'étaient réunies dans une salle de classe vide et Tracey avait effectué un rituel. Pendant une semaine, Goyle avait été victime d'hallucinations effrayantes, qui l'avaient rendu paranoïaque et tourmenté. On avait dû l'interner à l'infirmerie pendant deux semaines. Depuis, son comportement avait totalement changé. De la brute stupide qu'il avait toujours été, Goyle était devenu un garçon renfermé et craintif, n'osant plus harceler ses condisciples.
« Oh, oui ! Ce serait tellement drôle ! » s'exclama Flora avec enthousiasme, rejetant ses longs cheveux blonds derrière son épaule.
« Je parie que ça lui donnerait une vraie leçon. » assura Pansy avec un sourire machiavélique.
« Pas certaine qu'elle devienne plus folle qu'elle n'est déjà actuellement. » fit remarquer Daphné avec sarcasme, causant le rire des jumelles.
Tous les regards se tournèrent alors vers Tracey qui haussa les épaules, l'air accablé.
Après la journée qu'elle venait de passer, elle n'avait pas l'énergie de débattre avec ses amies à ce sujet. Tracey évitait habituellement les rituels d'obeah, car la magie était instable et imprévisible. Elle s'en tenait généralement à des rituels minimes. Jeter un sort à quelqu'un d'autre que soi était un procédé complexe, avec une part de risque importante.
« Allez, Cece ! Fais ton vaudou ! » insista Pansy.
« On appelle ça de l'obeah, Pansy. Pas du vaudou. » rectifia Tracey avec lassitude. « Et je ne suis pas sûre d'y arriver. »
Elle avait pourtant réussi à jeter une malédiction à Goyle, sans aucun problème, l'année précédente. Le refaire à Lovegood ne devrait pas être trop compliqué. Dans le pire des cas, le rituel échouerait, tout simplement. Que pouvait-il lui arriver de pire ? pensa Tracey. Sa journée avait été si mouvementée et chaotique qu'elle avait besoin d'un peu de divertissement. A cause de Lovegood, la substance verdâtre était encore dans ses cheveux et elle devrait probablement passer des heures pour la retirer.
« Très bien. » consentit finalement Tracey en soupirant. « Mais il me faut quelque chose qui lui appartient. »
« J'ai encore ses lunettes débiles. » informa Pansy avec un rictus malicieux.
Après une longue douche chaude, et avec une chevelure fraîchement lavée et débarrassée de toute substance douteuse, Tracey retrouva ses amies dans la salle commune et elle se dirigèrent vers une salle de classe inutilisée des cachots. Il était onze du soir passées, le couvre-feu était de guise et elles se firent discrètes pour ne pas être repérées par Rusard ou Miss Teigne, son animal de compagnie fidèle, aussi vicieuse que son maître.
Dans la pièce, elles formèrent un cercle devant un chaudron crépitant. Les jumelles Carrow gloussaient avec animation, Daphné se limait les ongles, l'air superbement ennuyé et Pansy se plaignait de ne pas avoir assez d'heures de sommeil si elles ne se dépêchaient pas.
« J'ai besoin d'un sommeil réparateur. C'est primordial pour ma peau. Je ne veux pas me retrouver dans le même état que cette laideronne pleine de cratères appelée Éloïse Midgen. » dit-elle d'un ton dégoûté.
« J'ai besoin de me concentrer. » coupa Tracey d'un ton las.
Elle agita sa baguette sur les bougies en suspension autour d'elles. Elle jeta ensuite la paire de lunettes de Lovegood à l'intérieur du chaudron, d'où émanait une brume rougeâtre.
« Tenez-vous par les mains pour former le cercle complet. Et restez silencieuses. » quémanda Tracey d'une voix peu assurée.
Ses amies s'exécutèrent et un silence gagna la pièce. Tracey prit une longue inspiration.
« J'appelle les esprits de mes ancêtres, femmes d'Obeah, maîtresses des mers et des océans déchaînées. J'appelle à la mer, la lune, le sang, la terre, la sueur, la mort. » récita-t-elle, les yeux clos.
Les mots qu'elle prononçait n'étaient pas une incantation ni une formule magique mais un signe de respect envers le rite. Chaque fois qu'un sorcier pratiquait l'obeah, il entrait dans une dimension dangereuse et alternative de la magie. En prononçant ses mots, Tracey demandait à ses ancêtres d'écouter ses paroles. Elle espérait aussi ne pas rester coincée dans les abysses de son propre subconscient.
Elle tenta de se concentrer sur son objectif. Le catalyseur principal de l'obeah était le désir profond de manifester son vœu. Elle répéta à nouveau les mots que sa grand-mère lui avait appris, dans l'intimité d'une cahutte édifiée dans le jardin de son domaine. C'était l'endroit où elle pratiquait ses rituels. Tracey se souvenait encore de l'odeur d'encens, des bougies crépitantes, des cristaux disposés un peu partout dans la pièce, des tissus colorés et des figurines à l'effigie de toutes ses ancêtres. Elles protégeaient la famille Davis, lui avait expliqué sa grand-mère. Chacune de ses figurines possédaient une partie de l'âme d'une ancêtre. Elles guidaient leur descendance dans leur choix et les menaient vers le droit chemin.
Soudainement, Tracey se sentit parcourue d'un frisson glaçant. Elle ouvrit les yeux et vit une fumée épaisse sortir du chaudron. Elle tendit la main dans le chaudron et farfouilla à l'intérieur. Pourtant brûlante, la concoction n'eut aucun effet sur la main de Tracey. Un contrecoup du rituel. Elle extirpa finalement une poupée grossière qu'elle avait fabriquée à l'aide de ficelles et de fines branches de bois dénichées dans le parc de Poudlard. Tracey caressa la poupée, et la surface jadis rugueuse était désormais lisse et douce, semblable à de la peau humaine.
« C'est bon ? Ça a marché ? » demanda Pansy d'un ton avide.
Tracey hocha la tête, un sourire confiant sur ses lèvres.
« Oui. A partir de demain, le calvaire commence pour Lovegood. » annonça fièrement Tracey.
Quelques instants plus tard, elle soupira de soulagement et de plaisir tandis qu'elle se glissait dans les couvertures confortables de son lit. Elle n'avait qu'une hâte - en terminer avec cette journée.
Lorsque Tracey ferma les yeux, la dernière chose qu'elle vit dans son esprit fut une trainée d'étincelles avant de sombrer dans un sommeil profond.