Peut-être que cette fois sera la bonne, lui dit Lucius alors qu’il s’asseyait à côté d’elle, ce soir-là.
Narcissa lui répondit d’un sourire faible : elle n’y croyait pas réellement. Elle s’était habituée aux tons identiques des bannières, à ces camaïeux de gris qui décoraient son monde. Elle avait espéré voir son tour arriver, au début, mais s’était résignée après sa troisième année. Et, alors qu’elle voyait son meilleur ami se débattre avec les implications de son âme-sœur depuis sept ans, elle ne pouvait s’empêcher de se dire que c’était pour le mieux.
– Ce sont des enfants, répondit-elle de sa voix calme. Ils ont onze ans. Je préférerais un rencontrer un homme qui ne soit pas de notre cercle, voire un étranger. Un américain, peut-être.
En face d’elle, Selwyn dessinait à l’encre dans un carnet tandis que sa voisine s’extasiait sur la beauté du paysage et la force des couleurs. Elle capta les contours de branches se fondant dans la surface d’un lac : les profils des feuilles se distinguaient à peine de la ligne de l’eau, et elle redevint rapidement maîtresse de son regard. Lucius, voyant son trouble, lui glissa tout de même à l’oreille :
– Les feuilles sont d’un vert puissant et le lac a des reflets d’argent. C’est une œuvre très poétique et noble.
Elle acquiesça tandis qu’on appelait Avery, Bartholomeo.
Les noms défilèrent.
Sa table était silencieuse, son attention aiguë focalisée sur la cérémonie. Tous les élèves arboraient la même expression neutre, presque indifférente aux événements mais, parfois, il suffisait d’un nom pour qu’une épaule se tende, pour qu’une lueur d’espoir s’allume dans un regard. Certains Première Année étaient accueillis avec plus de ferveur que d’autres, une place s’ouvrait immédiatement comme leur âme-sœur se décalait pour eux. Cette ardeur chez les plus jeune était presque mignonne, et leurs aînés les considéraient avec tendresse ; eux avaient pour la plupart entendu assez de noms pour savoir qui était leur moitié.
Les autres maisons étaient moins sensibles à leur émoi. Les Sang-Purs observaient les réactions avec curiosité quelle que soit leur bannière, de même que quelques Sang-Mêlés bien que leur intérêt soit moindre. Les Nés-Moldus et les Traîtres à leur Sang poursuivaient leurs affaires sans donner d’importance ou de respect aux révélations prenant place dans la Grande Salle, manque de manières qui la faisait renifler. Dumbledore lui-même continuait d’appeler les noms de cet air passif, et Narcissa était incapable de déterminer s’il se moquait des reliques de magie ancienne qui s’agitaient au milieu des couverts pour lier deux êtres à jamais.
Son cousin, Black, Sirius, fut appelé rapidement pour tromper le destin, et la jeune femme oublia un instant les couleurs et leur absence si lourde de sens pour admirer, non sans une pointe de mépris, la stupidité de son choix alors qu’il prenait place de l’autre côté de la pièce.
Elle attendit encore, mélancolique devant ces Première Année qui observaient le décor avec surprise puis émerveillement, le redécouvraient en écarquillant les yeux et se lançaient finalement des regards chargés d’émotions. Elle espérait tout de même, un peu, bien qu’elle sût que la différence d’âge n’aurait pas été convenable, obtenir la réponse à sa question.
– Evans, Lily ! articula le directeur, et sa vue se brouilla.
Un clignement d’œil, et il lui sembla être aveuglée. Son pouls accéléra, son souffle se coinça dans sa gorge, elle balaya l’estrade professorale des yeux, clouée sur le banc par la stupéfaction. Les détails lui sautèrent au visage, des nuances, des dégradés, des contrastes, des touches de douceur et de vivacité, de chaleur. Tout était de même et pourtant si différent. Une plongée dans l’inconnu sans branchiflore ni avertissement. Les formes devinrent floues et la lumière se mêla aux ombres pour ne laisser place qu’à l’étrangeté, des reflets aux teintes inconnues qui papillonnèrent devant elle, si beaux, presque surréels. Les objets semblaient gagner en relief ; le siège du directeur, si vif qu’il piquait les yeux, plein de lumière, se démarquait de la table plus discrète et sobre. Le velours d’une robe se glissait délicatement dans le dégradé d’une ceinture et elle se demanda, un instant, si c’était cela s’habiller avec goût, avant de faire dériver ses yeux à nouveaux et d’embrasser toute la nouveauté qui lui tendait les bras. Elle était incapable de détacher ses yeux de la scène.
Une main serra la sienne, sous la table, la forçant à cligner à nouveau. Elle n’avait pas même remarqué que Lucius avait glissé ses doigts dans les siens. Elle était restée assise, droite et élégante, sans sourciller. Son expression moulée dans la cire de la neutralité n’avait rien laissé couler, pas même les larmes qui s’amoncelaient. Son voisin comprit et put lui souffler la direction dans laquelle la nouvelle était partie. Sa curiosité la guida plutôt vers les hauteurs pourtant, et sa première pensée fut que le blason était beau et noble, malgré son incompréhension.
– Le serpent et le contour sont argentés. Le fond est vert. Les lignes sont noires.
Elle le remercia d’un signe de tête, retenant ces noms, et relâcha la tension qui compressait sa poitrine. Evans se tenait à la table opposée, près de son cousin, hélas. Insensible à son trouble, elle ne releva pas la tête une seule fois ; même, elle parlait dans l’oreille de sa voisine, pointait des objets du doigt et ne prêtait attention à la Répartition que lorsque sa maison applaudissait. Pourtant, notait Narcissa sans parvenir à lui en vouloir réellement, l’émerveillement lui seyait.
– Evans a donc les yeux verts, fit-elle à voix basse. Et ses cheveux ?
– Elle est rousse. C’est du rouge, comme sur l’étendard des Gryffondor.
Il lui restait tant de noms à apprendre.
– La prophétie des âmes-sœurs prend en compte le statut social, la renommée de la famille, les intérêts personnels et la capacité à avoir une descendance, lui avait expliqué sa mère des années auparavant, pour les onze ans de Bellatrix. Elle se répand de génération en génération pour assurer la sauvegarde du sang et le bonheur de la famille. Lorsqu’elle vous désignera un homme, cela signifiera que vous aurez trouvé celui qui vous complétera parfaitement, celui qui vous rendra heureuse, celui que vous aimerez et avec qui vous pourrez fonder une famille et enrichir notre lignée. Vous aurez trouvé le mari parfait pour vous.
– Êtes-vous heureuse avec père, mère ? avait demandé la curieuse Andromeda.
– Je le suis. Les couleurs signifient le bonheur. Elles apportent l’amour.
– Lucius, est-ce vraiment cela l’amour ? demanda Narcissa à présent qu’elle voyait les couleurs.
Lucius rit et se détacha de son manuel pour secouer la tête.
– Non, souffla-t-il dans le silence de la bibliothèque. Cela n’est que l’intérêt. Le pratique. L’amour vient plus tard, je crois.
Narcissa n’osa pas lui demander quand venait ce plus tard, ni même pourquoi cela était pratique. Lorsqu’il était en Première Année, Lucius l’avait appelée sur son miroir à double-sens pour lui annoncer, en larmes, que son âme-sœur était Evan Rosier. Elle lui avait demandé, alors, ce qu’il en était de la descendance : elle comprenait le statut social, le renom et les intérêts, mais Lucius était un homme et Rosier aussi. Son ami avait soupiré que les hormones étaient magiques. Elle n’avait pas compris, n’avait pas osé poser plus de questions, et maintenant la prophétie lui apportait Lily Evans.
Les couleurs, au moins, la rendaient heureuse, à défaut de lui permettre de comprendre ce qui la fascinait autant.
– Pourquoi ne dit-elle rien, si c’est ce qui doit être pratique pour nous ? se décida-t-elle à chuchoter.
Le premier coup d’œil désapprobateur vint la faire flancher, mais elle avait besoin de savoir et ses idées s’embrumaient toujours. Elle était si perdue dans l’admiration de la reliure de son livre de Métamorphose, les filaments de magie bleutés s’enroulant autour du parchemin, qu’elle n’avait pas réussi à lire sa leçon. L’héritier des Malefoy avait encore l’esprit clair.
– Je l’ignore, répondit finalement celui-ci sur le même ton. Demande-lui.
– Comment ? On ne peut pas me voir parler avec elle.
– Alors écris-lui.
Poser les derniers mots fit éclore une douce chaleur dans sa poitrine, qui allait de paire avec l’effervescence du rouge et la délicatesse de l’argenté.
Lily Evans,
Je suppose que tu as été aussi surprise que moi d’apprendre la nouvelle. Pardonne-moi pour le tutoiement, je ne peux me décider à te vouvoyer maintenant que je sais, bien que la bienséance l’exigerait. Mais nous pouvons considérer les présentations faites, n’est-ce pas ? La magie s’en est chargée pour nous et je dois t’avouer que le résultat me ravit, maintenant que ma surprise est passée. Ne trouves-tu pas le monde si beau, à présent ?
J’aimerais te parler. Si tu acceptes, je serais dans la salle de classe abandonnée du troisième étage mercredi après les cours. Si un autre moment te convient mieux, écris-moi, je m’adapterais.
Respectueusement,
Ton âme-sœur.
Le premier réflexe de Lily fut de retourner la lettre, mais le dos ne comportait pas plus de signature. Fronçant les sourcils, elle la relut une fois, deux fois, le sens demeurant abscons malgré ses efforts. Son hibou piailla sur la table du petit-déjeuner et elle lui donna une friandise sur les conseils de Severus.
La Grande Salle s’éveillait peu à peu, les silhouettes en uniformes, disséminées inégalement autour des tables, entraient et sortaient à mesure qu’elles partaient en cours. Les couleurs se mélangeaient, les maisons n’étaient pas si respectées, même si quelques groupes marquaient l’appartenance d’une table et les premières affinités créées dans les dortoirs. Elle-même n’avait pas hésité à rejoindre Severus sous la bannière des Serpentard et, si quelques élèves plus âgés lui lançaient des regards, elle rencontra d’autres Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle qui venaient à son instar saluer les vert-et-argent. Les bruits de couverts se mêlaient à ceux des voix, les fantômes flottaient aux côtés des bougies éteintes et le soleil perçait à travers les hautes fenêtres pour s’échouer sur les longues tables parsemées de plats et les murs de pierre grise. Lily observait le tout avec une excitation croissante. Elle ne cessait d’admirer son uniforme encore neuf, dont l’or brillait sur le rouge, comme sa baguette dont elle avait hâte de se servir. Elle avait découvert avec joie que son premier cours de la journée serait les Sortilèges, mais qu’elle aurait également l’occasion de tester les Potions et la Botanique, le premier en duo avec les représentants de Salazar. Le sourire s’effaçait difficilement de son visage, et pourtant la perplexité lui livrait bataille et menaçait de remporter alors qu’elle s’interrogeait sur les lignes.
Elle finit par tendre la missive à son voisin, qui la considéra longuement, pensif.
– Tu te rappelles quand je t’avais raconté que je ne vois pas certaines couleurs ?
– Tu es daltonien, oui. Cette lettre a un lien avec toi ?
– Disons que la raison est la même… Ma mère est Sang-Pure et mon père est Moldu.
Lily hocha la tête.
– Ma mère m’a raconté qu’il y a une prophétie courant chez les familles Sang-Pures. Un sortilège de magie ancienne lancé il y a des siècles de ça pour arranger les mariages et contrôler la descendance ; de fait, les enfants Sang-Purs ne voient qu’en noir et blanc, jusqu’au moment où ils rencontrent leur âme-sœur, la personne jugée parfaite pour eux, alors ils en tombent amoureux et deviennent capables de distinguer les couleurs.
– Mais c’est de la manipulation…
– J’ai hérité d’une part de ce sort par ma mère, et d’autre part de son immunité par mon père. Je vois certaines couleurs, le jaune, le brun, le bleu, mais d’autres comme le vert et le rouge me resteront inconnues tant que je n’aurais pas rencontré mon âme-sœur. Et, apparemment, tu es cette personne pour quelqu’un ici.
– Mais qu’est-ce que je fais du coup ?
Severus haussa les épaules et le duo se rendit en classe.
Lily avait hésité, décrété qu’elle semblait avoir de l’importance pour cette personne, et décidé d’aller au rendez-vous, ne serait-ce que pour mettre un nom sur cette bizarrerie.
Une Sixième Année qu’elle n’avait jamais vue l’accueillit dans une salle couverte de poussière, tenant dans la main un bouquet de fleurs jaunes et roses, rehaussées de verdure. Elle se tenait droite, la tête haute, une expression indéchiffrable sur le visage, mais se triturait les mains et hésita lorsqu’elle dit :
– Pivoines et camélias. Je les ai cueillis moi-même dans la serre… Avec la permission du professeur Salicorne évidemment ! Amitié, fierté et respect, en langage des fleurs.
Lily bafouilla un remerciement. Le bouquet était beau mais inattendu et elle le déposa sur le côté. Le bureau près duquel elle se tenait avait été nettoyé soigneusement, sans doute une attention de son interlocutrice, et elle put s’asseoir sans peur de salir son uniforme.
– Est-ce que je peux te demander… Comment est-ce que tu connais mon nom ? demanda l’inconnue avant qu’elle n’ait le temps de formuler ses propres questions.
– Je ne le connais pas, en fait.
– Oh. Tu n’as jamais entendu mon nom ?
– Non, jamais.
Elle la considéra profondément et Lily profita du silence qui s’étirait pour noter sa cravate aux couleurs de Serpentard, ses cheveux blonds retenus en un chignon bas et les bijoux discrets qui ornaient son cou, ses oreilles et ses mains.
– Je m’appelle Narcissa Black.
Narcissa la fixa, darda ses prunelles d’apparence indifférente dans les siennes, et Lily découvrit une force intense, une volonté nouée de peur, un espoir presque fragile et expectatif, et une touche de tendresse. Le tumulte la désarçonna, lui fit baisser les yeux en rythme avec la confusion croissante. Elle n’avait rien fait pour mériter de tenir ce poids délicats entre ses mains…
– Enchantée, Narcissa. Je suis Lily, Lily Evans.
– Je sais. Ça ne te fait rien ?
Se mordant la lèvre, elle secoua la tête puis replaça ses mèches derrière son oreille, geste qui fut capté par sa camarade et alluma une lueur d’émerveillement. La blonde se reprit bien vite cependant et se mit à son tour à observer la table entre elles deux, sur laquelle reposait toujours les fleurs colorées.
– Tu as dit que j’étais ton âme-sœur mais… J’ai toujours vu les couleurs. Si c’est bien de ça dont il s’agit ? Je suis Née-Moldue, alors j’ai découvert la malédiction juste ce matin en recevant ta lettre.
– Oh.
– Tu viens vraiment de voir des couleurs pour la première fois, juste parce que tu as entendu mon nom ?
– Vous n’avez vraiment pas de prophétie chez les Moldus ? Comment vous savez qui épouser ?
– En… tombant amoureuse ?
– Donc ça ne veut rien dire pour toi.
– Je suis… désolée.
Narcissa tourna la tête et le silence reprit son cours. Lily ne voyait plus que quelques doigts blancs, ramenés sur la jupe noire, qui s’agitaient nerveusement. La silhouette si propre et si soignée se découpait dans la poussière renfermée de la pièce ; la lumière faible d’un unique flambeau, accroché au mur, en dessinait les contours immobiles, inatteignables, sur la toile des meubles solitaires, délavés et brinquebalants. Une épaule se souleva, s’abaissa, une longue expiration emplit l’espace.
– Est-ce que ça va ? demanda doucement la plus jeune.
La plus grande se retourna vers elle, le visage exempt de toute émotion. Même son regard si expressif quelques instants plus tôt se fermait progressivement.
– Excuse-moi, fit-elle d’une voix claire. Je dois y aller.
Et elle sortit en un mouvement d’air.
Lily avait tellement de choses à apprendre. Tellement d’histoires à écouter, de décors à observer, des personnages à découvrir. Elle dévora L’Histoire de Poudlard, s’amusa à discuter avec quelques tableaux et fantômes, prépara ses cours et fit ses devoirs avec une assiduité qu’elle n’avait jamais connue. Elle fit connaissance avec ses camarades de dortoir, Mary, Dorcas et Marlène, en appris plus sur le monde sorcier à travers elles et commença à lier des amitiés. Elle éparpilla ses affaires au fil des matins pressés et des soirées à discuter sous les couvertures, une cravate rouge-et-or sur la table de chevet, des livres et des plumes sur le bureau, des chemises blanches et des tee-shirts Disney dans son armoire.
Le bouquet de fleurs avait trouvé sa place sur le rebord de la fenêtre, dans un vase en céramique bleue qu’un elfe de maison avait fait apparaître. Elle les oublia plusieurs jours, trop occupée par son quotidien extraordinaire et les lettres à sa famille. Le matin, elle dévalait les escaliers trop vite pour le remarquer. Le soir, elle se glissait derrière les rideaux trop fatiguée pour y prêter attention. Par magie, ou par soin d’une de ses colocataires, les fleurs demeurèrent en bonne santé pour que, lorsqu’elle se réveilla le samedi après sa grasse matinée, elle puisse les observer avec étonnement.
Au milieu de la nouveauté de cet univers, le souvenir de Narcissa avait des airs irréels.
– Est-ce qu’elle s’attend à ce qu’on finisse par se marier, tu crois ? demanda-t-elle à Severus qu’elle avait rejoint dans le parc.
– Black ? Je pensais que tu avais oublié cette histoire, tu n’en as plus reparlé.
– C’est juste trop bizarre. Je ne peux pas me décider maintenant.
Son ami releva les yeux de son manuel de Potion sur lequel il réfléchissait, pour la considérer. Un pli se creusa entre ses sourcils.
– Tu prends déjà ton petit-déjeuner à notre table, se décida-t-il. Profites-en pour lui demander.
Lily n’avait pas envie de réitérer la conversation étrange et chargée qu’elles avaient eu, alors elle dessina les fleurs.
Elle prit ses crayons les plus pigmentés et reproduisit le bleu brillant, le vert feuillu, le jaune moelleux et le rose délicat. Les couleurs se reflétaient sur le verre carrelé de la fenêtre et la pierre grise protégeait la scène des regards intrusifs. Au dos, elle écrivit : « Est-ce que cela signifie réellement que tu veux m’épouser ? »
Elle lui envoya par hibou. Narcissa vint la trouver le lendemain dans la bibliothèque :
– Apprends-moi à dessiner.
Severus eut un sourire en coin. Mary et Remus qui s’étaient joints à cette séance de révisions – son meilleur ami ne les appréciait pas tant mais acceptait leur présence pour elle – eurent l’air suspicieux devant cette proximité étrange, mais se reconcentrèrent sur leurs dissertations.
Lily opina.
Elles se retrouvèrent dans la même salle de classe du troisième étage, Lily notant une fois de plus que Narcissa avait nettoyé leur table de quelques sorts. Elle apporta sa boîte de crayons, un carnet vierge et le bouquet de fleurs qu’elle avait séchées selon les conseils de Marlène. Elle lui montra toutes les teintes de la palette et, elle, apprit toutes les nuances qu’elle ignorait encore. Elles ne dessinèrent pas pendant la première séance.
A la seconde, Narcissa esquissa le blason de Serpentard et si le serpent était tremblotant et disproportionné, il brillait sur le fond émeraude. Le crayon avait laissé des marques légères sur les doigts pâles de la sorcière.
A la troisième, Lily lui expliqua comment tracer un griffon. Ses pattes fines étaient plus compliquées mais Narcissa ne s’en sortit pas si mal : il brillait lui aussi, sur le fond écarlate. Elles avaient toutes les deux des traces sur leurs doigts.
Juste avant les vacances d’hiver, Narcissa voulut recopier les fleurs coincées entre les pages du carnet et Lily dessina une nature morte, qu’elle lui offrit à nouveau. Le bouquet de ses souvenirs reposait dans un vase d’argent et d’or, sur le rebord d’un bureau sombre et moucheté de vieillesse, tandis qu’une main baguée réajustait un des pétales orange. Narcissa rentra de vacances avec une nouvelle boîte de crayons qu’elle lui offrit.
– C’est une marque sorcière, dit-elle. Je ne sais pas ce qu’ils valent par rapport aux moldus mais…
– Merci. Il ne fallait pas.
– Considère-la comme un cadeau d’anniversaire un peu en avance.
Lily les essaya. Ils glissaient tous seuls sur le papier à grains. Une belle qualité. Elle sourit à son amie.
– Je suis fiancée à Lucius, annonça celle-ci, et l’atmosphère légère se teinta.
Telle était donc la réponse à sa question.
– Mais, il n’est pas… Je croyais…
– Je n’ai pas dit à ma famille que tu étais mon âme-sœur, répondit-elle tristement. Tu es censée être la personne parfaite pour mon mariage mais… Je ne crois pas que ma mère serait de cet avis. Lucius non plus ne leur a jamais révélé l’identité du sien. Parfois, ce n’est pas convenable malgré tout… Et comme tu es une âme-sœur à sens unique… C’est plus pratique pour tout le monde.
– Est-ce que tu as envie de l’épouser ?
– Il est mon meilleur ami. Je m’en sors bien.
Soudainement, dessiner n’était plus si amusant.
– Le mariage est prévu pour l’année prochaine. Juste après ma septième année.
Narcissa caressa la base de son annulaire, que la bague de fiançailles avait orné pendant toutes les vacances. Elle était partie avec Lucius sur le Chemin de Traverse, l’avait choisie elle-même. Et puis elle était passée dans une boutique d’arts, seule cette fois. Avait demandé le rayon arts plastiques, une petite étagère coincée entre deux sections d’arts sorciers. Il n’y avait qu’un choix pour les crayons alors elle avait pris la boîte, avait contemplé les arcs-en-ciel qui ornaient le devant et avait demandé un emballage.
– Dois-je craindre des secrets avant même nos vœux ? avait taquiné Lucius, des étincelles dans les yeux.
Et Narcissa avait rit. Rit parce qu’aucun d’eux ne serait fidèle, de toute façon. Seule la nuit de noces poserait problème, parce qu’il leur faudrait trouver comment faire de la conception de l’héritier une partie de plaisir. Narcissa avait rit parce qu’il n’y avait bien aucun secret entre eux.
Pour la Saint Valentin, les fiancés se rendirent ensemble à la soirée du professeur Slughorn.
Pas que cela change des années précédentes, quand ils y allaient en amis. Le professeur de Potions déclara à leur arrivée qu’il attendait ce dénouement depuis leur première invitation et qu’ils faisaient un couple ravissant. Les adolescents répondirent du bout des lèvres et se mêlèrent à la foule.
Le cœur de Narcissa manqua un battement lorsqu’elle repéra Lily et elle se força à partir dans la direction opposée. Les deux sorcières se voyaient peu en dehors des sessions de dessin hebdomadaire et elle n’était pas certaine qu’augmenter cette fréquence, d’autant plus dans cette ambiance particulière, soit une bonne idée. Elle ne put s’empêcher, cependant, de l’observer du coin de l’œil : sa robe de dentelle bleue virevoltait sous ses pas, comme ses mèches rousses lâchées. Deux tresses fines retenues au niveau des tempes dégageaient son visage joyeux. Invitée grâce à son talent pour les potions, son âme-sœur était accompagnée de Rogue avec qui elle discutait, assise sur une chaise. Son cousin était également présent, sans doute grâce à la noble et très ancienne maison des Black, mais elle ne tenait pas à le saluer. Pas plus que l’héritier Potter qui était venu avec lui.
Prenant le bras de Lucius, elle engagea une conversation avec Rosier et Selwyn jusqu’à l’annonce du dîner.
Un sort de leur professeur fit arriver une table rectangulaire, assez longue pour accueillir la quantité d’élèves que le professeur, dans son élan de générosité, avait rassemblés. Une nappe blanche vint la recouvrir et des couverts dorés, décorés de Cupidon, suivirent le mouvement. Des plats de toutes sortes apparurent, embaumant la pièce, et les flambeaux perdirent d’eux-mêmes en intensité, répandant une lumière tamisée dans la pièce décorée de tentures et de ballons.
Après les conversations convenables du dîner, Narcissa valsa avec Lucius, se détendant dans ses bras, suivant la mélodie des violons enchantés sans y penser. Lorsque la branche de gui voleta au-dessus de leurs têtes, elle déposa un baiser sur sa joue, effaçant ensuite les traces de rouge à lèvres d’une caresse délicate, interprétée comme de la pudeur par les invités.
Elle ne laissa rien transparaître lorsque Lily dansa avec Rogue ou Meadowes, car ce n’était pas sa place. La satisfaction qu’elle ressentit en la voyant refuser l’invitation de Potter la frappa d’une vague de culpabilité.
Son âme-sœur était une enfant qui n’avait rien demandé de la complexité de son monde.
L’orchestre entama un rythme plus soutenu. Son cousin entraîna un Potter riant sur la piste, sous l’air amusé de Slughorn qui encourageait la jeunesse. Elle pinça les lèvres, mais sentit l’attention de Lucius se déplacer : son partenaire manqua un pas. Quelques secondes plus tard, il se détachait d’elle pour glisser un mot hésitant à l’oreille de Rosier.
Tous deux se lancèrent dans un foxtrot, ensemble. Narcissa fit mine de rire, admirative du culot, au fond. Pourtant, lorsque le gui se plaça au-dessus de Lily et sa camarade de chambre, elle sortit sur le balcon. La boule de culpabilité n’avait pas quitté son ventre, était seulement appuyée de regrets. Elle avait attendu son âme-sœur de ses sept à ses seize ans et n’aurait pas même droit à une danse.
Elle essuya les larmes menaçantes d’un geste rageur.
Neuf ans. Neuf ans à se voir promettre un idéal, une perfection, puis tout volait en éclats. Son âme-sœur avait beau être juste là, à côté d’elle, elle était tout autant inatteignable ; impossible de l’épouser pour tant de raisons, tant de détails colossaux que la prophétie n’avait pas vus. Idéal broyé en morceaux, jeté dans les cendres de ses rêves, délaissé sur le chemin de la convenance.
Elle ne pouvait dire si elle avait envie d’un câlin ou de crier. Les larmes continuèrent de couler, ses ongles laissèrent des traces sur ses paumes et sa poitrine se souleva, saccadée. Elle laissa la nuit engloutir sa colère, en silence.
Pour se calmer, elle sortit le rouleau de parchemin et les crayons cachés dans sa cape. Ses mains étaient encore tremblantes, alors elle griffonna simplement un arc-en-ciel sur la page, prenant le temps d’admirer chacune des couleurs. Elle commençait à oublier ce à quoi les paysages ressemblaient, en noir et blanc ; mais ne se lassait pas de leur beauté. N’étant pas satisfaite, elle ajouta des flocons de neige argentés puis enchanta la page : ils se mirent à bouger, tombant au milieu des reflets colorés. Un tableau impossible, mais beau.
– C’est très beau.
Narcissa sursauta, mais Lily continua avant qu’elle n’ait pu exprimer sa surprise :
– Je n’avais jamais pensé qu’on pouvait mêler la magie au dessin… C’est sublime, très bonne idée. Tu peux me montrer ?
La blonde prit le temps de respirer, de clarifier ses pensées et réussit à lui sourire en acceptant. Elle répéta l’incantation et le geste de baguette, fit arrêter puis reprendre la chute des flocons sur le dessin. Quand Lily essaya, seuls certains cristaux stoppèrent leur course tandis que d’autres chutaient toujours, créant un embouteillage sur l’arc-en-ciel qui se transforma en amas de neige. Narcissa ne put résister à le transformer en bonhomme, qui agita ses bras de bois vers elle.
Lily rit, et le sourire de Narcissa devint un peu plus aisé, un peu plus sincère.
– La soirée te plaît ? questionna-t-elle.
– Oui, c’est sympa. Mais Slughorn est assez… gênant parfois ? Légèrement trop enthousiaste.
– Et avec Meadowes… ?
– Oh, c’est moins mouvementé que Lucius et toi. On est juste amies.
Une fois de plus, ce soulagement annonciateur de culpabilité. Elle repoussa ces pensées intrusives pour dire :
– Peut-être que tu devrais aller voir Rogue, alors. Il a l’air de vraiment tenir à toi.
– Severus ? fit Lily, fronçant les sourcils.
Mais avant que la Serpentard ne puisse sous-entendre que son meilleur ami l’aimait bien, la branche de gui apparut au-dessus d’elles. Elle laissa échapper un rire nerveux.
– On n’est pas obligées, fit Narcissa, refermant le carnet.
La Gryffondor haussa les épaules et se mit sur la pointe des pieds. Elle déposa un bisou sur sa joue, faisant disparaître la petite plante malicieuse.
– On ne devrait pas concentrer la Saint-Valentin sur la romance, si tu veux mon avis. Il y a plein de façons différentes d’aimer les gens.
Lupin appela son amie avant qu’elle n’ait trouvé quoi répondre à ça. Elle avait sans doute raison, mais son camarade de maison semblait mal à l’aise et rougissait légèrement, alors elle regarda son âme-sœur détaler sans le lui dire.
Elle rentra de la soirée avec Lucius, Evan Rosier et Daisy Selwyn – plutôt, elle rentra de la soirée avec Selwyn, tandis que leurs partenaires respectifs les devançaient, s’échangeant des messes basses. Ils disparurent à l’angle d’un couloir, bien avant d’atteindre leur salle commune. Narcissa était heureuse pour lui.
Lorsqu’elle retrouvait Lily les mercredi soirs, elle incorporait de plus en plus la magie à ses œuvres, créant de véritables histoires mouvantes bien que les traits de crayon manquent toujours d’assurance.
Lily accrocha un de ses paysages au-dessus de son lit ; Poudlard vu du parc, de nuit. Les fenêtres s’allumaient chacune leur tour, la surface du lac scintillait, des barques éclairées de lanternes voguaient vers la berge. Narcissa s’était aidée d’une règle et d’un compas pour les silhouettes des tours, avait étalé le noir et le bleu marine avec un mouchoir, ajouté des touches de jaunes vifs pour la lumière. Lily s’était appliquée pour les sorts et son entraînement s’avéra payant, insufflant du mouvement d’un coup de baguette, puis d’un autre, selon la direction qu’elle voulait que les objets prennent.
Mary, Dorcas et Marlène avaient apprécié la décoration.
Lily peint le portrait de Severus, puis de Mary. Narcissa fit celui de Lucius, le recommença trois fois avant de l’offrir au concerné, puis repartit sur des paysages. Lily dessina Dorcas, Remus et Marlène et offrit les aquarelles à ses amis en leur souhaitant de bonnes vacances.
Elle crayonna Narcissa également, vit avec fierté que son sortilège rendait sa démarche élégante et droite même sur le papier.
– C’est troublant, dit celle-ci lorsqu’elle le lui donna, au dernier cours de dessin de l’année. C’est comme regarder une photo de moi, mais les traits et les couleurs sont plus vifs.
Elles se firent un câlin dans la salle abandonnée du troisième étage, mais s’ignorèrent sur le quai de la gare devant la noble et très ancienne maison des Black. Sirius le remarqua et mit un point d’honneur à saluer Lily, bien qu’ils n’aient pas été si proches l’année précédente ; elle lui rendit son étreinte avec un plaisir légèrement moqueur, lorsque les visages des quatre adultes respectables se froncèrent.