Un sortilège d’amnésie n’aurait pas suffi pour lui faire oublier… Il fronça les sourcils. Oublier quoi, au juste ? Il battit des paupières, chassant du même coup cette désagréable impression que quelque chose lui échappait.
Il constata avec étonnement qu’il était assis. Mais quand s’était-il assis ? Il faisait lourd, lourd sur ses hanches, lourd sur ses mollets, lourd sur ses deux pieds. Étrangement léger sous sa poitrine et dans sa tête. Il gigota pour se défaire du drap blanc qui se faisait pesant sur lui. Depuis quand était-il recouvert ? S’était-il endormi ? Il ne pouvait pas s’être endormi, puisqu’il était assis. Et quand bien même, personne ne l’avait bordé depuis au moins… Il fronça les sourcils. Pourquoi cela ne lui revenait pas ? Il y avait, dans son crâne, une silhouette. Une ébauche de souvenir… Bien sûr, une mère ne s’oubliait pas… il savait qu’il en avait eue une, se doutait qu’elle l’avait aimé, et qu'il l'avait probablement aimée en retour… Mais à chaque fois qu’il esquissait dans son esprit les traits de son visage, c’était comme si le dessin se froissait soudain de lui-même et qu’une main invisible le plaçait dans une corbeille. Loin. Où étaient donc passés les visages ? Et comment était-il arrivé là ?
« Oh non… pas encore… »
C’était une voix accablée, dévorée par la fatigue. Ou peut-être était-elle plutôt rongée par la lassitude. Mais pourquoi aurait-elle était lasse ?
Il releva brusquement la tête vers l'origine de la voix, et son cœur s’emplit de joie lorsque son regard rencontra un visage. Un visage. Un vrai visage. En chair et en os. Et celui-là ne lui échappait pas, puisqu'il l'avait devant les yeux.
« Bonjour ! » glapit-il.
C’était une femme. Une femme à la peau qui suintait. Des gouttes de sueur perlaient dans les vallées de son front fatigué. C’était drôle, ses cheveux blonds légèrement cendrés qui semblaient essayer de s’échapper vers le ciel… Il passa par réflexe une main sur sa propre tête, mais ne reconnut pas sa chevelure. Depuis quand avait-il les cheveux aussi longs ? Ils avaient toujours été… Il fronça les sourcils. Il n’était pas totalement sûr que ce à quoi il venait de songer était la vérité.
« Tu ne m’écoutais plus, pas vrai ? »
La femme à la peau qui suintait semblait le connaître.
« Excusez-moi, mais je ne comprends pas ce que je fais là. »
Elle semblait s’apprêter à lui répondre quelque chose, puis se ravisa. Elle le fixa plutôt de ses deux grands yeux bleu délavé, comme si elle s’attendait à ce qu’il saisisse ainsi le fond de sa pensée. Mais cela se serait su, tout de même, si l’on pouvait lire dans l’esprit des autres personnes. Elle le fixait avec tant d'insistance qu'il se demanda s’il les avait déjà croisés, ces yeux.
« Est-ce que vous êtes ma mère ? »
Elle lui offrit un sourire triste, et dit plutôt :
« Mange, tu en as besoin. »
Là-dessus, elle lui tendit un plateau. Un plateau gris et rectangulaire. Celui-ci semblait être apparu dans ses mains… comme par magie ! C'en était franchement troublant.
« Vous êtes une magicienne ? »
Un soupir.
Elle posa le plateau sur une petite table — depuis quand y avait-il une table dans la pièce ? — et commença à ouvrir une à une chacune des préparations. Elle n’avait pas répondu à sa question, et le mystère restait entier. Si elle pensait qu’il avait ou… Il fronça les sourcils. Une femme à la peau qui suintait lui faisait face. Elle pointait du doigt un plateau gris et rectangulaire posé sur une petite table à sa droite. Il se mit à saliver en découvrant son contenu.
« Eh bien ? Qu’est-ce que tu attends pour manger ?
— Comment avez-vous su ?
— Pardon ?
— J’ai toujours aimé les tartes aux fraises. C’est mon péché mignon.
— Ce sont des framboises, souffla-t-elle.
— C’est bien ce que je me disais ! »
Un éclat de rire. Le sien, apparemment. Il ne se rappelait plus quel son pouvait bien avoir sa voix, mais avait senti les muscles de son visage se contracter, ses cordes vocales vibrer, et ses épaules se soulever. Le visage de l’autre se fendit d’un bref sourire.
« Vous n’avez pas répondu à ma question… chuchota-t-il alors.
— Ah oui, laquelle ? »
Il fronça les sourcils. Il ne comprenait pas vraiment. Ce n’était pas comme s’il avait posé plusieurs questions… non ?
Il lui lança un sourire éclatant.
« Comment avez-vous su que j’aimais les tartes aux fraiboises ?
— Fram-boises, articula-t-elle.
— Oui, oui, concéda-t-il d’un air faussement agacé. Alors, qui vous l’a dit ? »
Peut-être que si elle lui donnait un nom ici et maintenant, il pourrait enfin se remettre en tête un premier visage. À force de réponses, il arriverait à résoudre ce grand mystère qui semblait l’entourer depuis qu’il avait rouvert les yeux. Peut-être ne s’était-il pas encore réveillé, d’ailleurs ? Il n’était pas tout à fait sûr de ne pas rêver. En tout cas c’était bien la seule chose qui aurait pu expliquer ce brouillard épais qui se lovait dans chaque recoin de sa tête. Rêve éveillé ou réalité ? Frissonnant soudain, il comprit pourquoi quelqu’un l’avait couvert. Rudes étaient les courants d’air. Où était-il, à la fin ? Il fallait qu'il tire cette histoire au clair. Sa mémoire allait-elle longtemps continuer à lui jouer des tours et à lui faire défaut ? Son interlocutrice allait-elle enfin lui dire ce qu’il en était ? Étonnamment, celle-ci sembla soudain céder pour lui offrir un premier élément de réponse :
« C’est toi.
— Moi ?
— Oui, dans tes livres.
— J’ai écrit des livres ?!
— Tu sais, mon frère, il t’a toujours admiré. Et moi aussi d’ailleurs. Je ne connais franchement personne qui n'adorait pas lire tes aventures à travers le monde, découvrir tes petites habitudes et tes prouesses ma… »
Elle se mordit brusquement la lèvre.
« Ça ne règlera pas le problème.
— Comment ça ?
— Ça ne règlera pas le problème que je réponde à toutes tes questions. À ce stade, ça rendra les choses encore plus difficiles pour toi. »
Il n’en croyait pas ses oreilles ! Qu’elle lui dise, à la fin, ce dont il était question !
« Je délire, c’est ça ? Je délire totalement. Fou à lier. Je suis totalement, irrémédiablement, foutrement aliéné ? Ou alors, peut-être… peut-être que je suis mort dans mon sommeil et que vous n’êtes que le produit de mon imagination ! Dites-moi ! Obéissez-moi si vous êtes le fruit de mon esprit ! Dites-moi la vérité ou je vais devenir fou, si je ne le suis pas déjà… »
Elle posa sa main chaude sur son épaule, comme pour le réconforter.
« Tu n'es pas fou, et quand bien même ce ne serait pas grave puisque je suis là pour que tout se passe bien. Tu es juste amnésique. »
Amnésique ?
L'idée faisait lentement le trajet jusqu'à son cerveau.
« Ton hippocampe a été sévèrement endommagé par un sortilège qui s’est retourné contre toi. Tu peines à te remémorer des souvenirs anciens, et il t'est également difficile de former de nouveaux souvenirs. Dans ton cas, on parle d’amnésie bitemporale. La… la rééducation est longue, mais je te promets qu'un jour ça ira mieux.
— Alors… »
Il s’immobilisa. Que s’apprêtait-il à dire ? Les mots étaient sur le bout de sa langue, mais ne voulaient pas en tomber. Il la claqua alors contre son palais, chassant du même coup cette désagréable impression que quelque chose lui échappait.
Quelque chose de crucial.
Mais s'il ne s'en rappelait pas, ça ne devait pas être si important.
« Oh non… pas encore… » gémit une voix éreintée.
Il releva la tête vers une femme à la peau qui suintait. Des gouttes de sueur perlaient dans les vallées de son front fatigué.
« Excusez-moi, vous étiez en train de dire quelque chose ?
— Je t'expliquais que tu avais été victime de l’un de tes sorts, suite auquel tu as perdu la mémoire.
— Et vous êtes ? demanda-t-il d’un air badin.
— Je suis l’infirmière qui m’occupe de toi depuis ton arrivée à l’hôpital. »
Il remarqua enfin sa blouse verte. Ainsi qu’un petit écusson qu’il ne connaissait pas. Une baguette entremêlée avec un os… Un écusson était souvent gage de sérieux, alors il était rassuré.
« Et je suis ? »
L’infirmière resta interdite.
« Tu es Gilderoy Lockhart. Cela fait trois fois que je te le répète aujourd’hui. Il y a deux semaines, tu as été victime d’un sortilège d’amnésie très puissant qui s’est retourné contre toi. »
Mais c’était absurde ! Un sortilège d’amnésie n’aurait pas suffi pour lui faire oublier… Gilderoy fronça les sourcils. Oublier quoi, au juste ?
Bonjour à tous et à toutes !
Voici un petit OS que j'avais écrit sur un coup de tête à l'occasion concours "Un puzzle à construire", qui a malheureusement été annulé suite à un nombre insuffisant de participations. Dans ce texte, un personnage devait faire face à un mystère. J'ai enlevé leur mise en forme en gras puisque cela n'avait plus vraiment de sens et alourdissait un peu la lecture, mais vous pouvez retrouver l'intégralité des contraintes sur le forum si cela vous intéresse.
En vous souhaitant une bonne lecture !