Iola n'en a toujours fait qu'à sa tête, c'est connu. Mais là, du haut de son presque centenaire, sans doute regrette-elle de ne pas être venue chez Cedrella et Septimus via la réseau de cheminées, cela aurait été tellement plus simple. Mais tellement moins dépaysant. La voiture moldue s'arrête devant le cottage londonien qui est sur les extérieurs. Un de ces cottages débordant de plantes, de fleurs, de décorations dans le jardin, et qui donne envie d'y rentrer et de s'y réchauffer un peu, surtout quand il fait si froid.
Une pluie fine est venue tremper la neige qui est devenue une sorte de bouillasse glissante, loin du romantisme de la neige immaculée le matin, quand personne n'a posé le pied dessus. Iola descend du taxi et laisse un bon pourboire au chauffeur, qui lui ouvre la porte, et lui offre son bras qu'elle refuse. Mais Iola sent bien dans son corps que c'est le dernier Noël qu'elle passera. Cela ne l'attriste pas. Elle a fait son temps, et chaque jour est un bonus. Elle est encore en forme, mais une forme qui diminue de jour en jour. Elle ouvre le portail avec peine, la neige et la bouillie de feuilles mortes et de neige nécessitant l'emploi d'une plus grande force qu'elle n'a. Mais elle serre les mâchoires et claque sa canne sur les pierres glissantes, marchant à petits pas, ne voulant pas se retrouver sur le dos dans l'allée. Arrivée à la porte, elle utilise sa canne pour frapper contre le bois. Et elle attend, fermement appuyée sur cette canne qu'elle a eu du mal à accepter il y a quelques années et dont elle ne pourrait plus se passer aujourd'hui.
C'est Septimus qui lui ouvre, et son visage s'illumine quand il voit la petite sorcière toute de noire vêtue, mais qui a une belle écharpe rouge et verte.
« Iola ! Cela fait tellement plaisir de vous voir ! Mais, vous auriez du nous demander d'aller vous chercher. »
Iola, qui n'a rien perdu de sa verve, marmonne alors.
« Ne dis pas de bêtises ! J'ai traversé tout Londres dans un taxi moldu ! Les décorations de Noël dans les rues sont magnifiques, malgré les circonstances. Je n'aurai raté ça pour rien au monde. »
Septimus lui offre son bras qu'elle accepte à contre-cœur. Elle sent bien que dans quelques mois elle ne pourra plus marcher.
L'intérieur est chaleureux, à l'image de Septimus et Cedrella. Un garçon brun aux yeux marrons et un bambin roux aux yeux gris arrivent en riant et s'arrêtent en voyant la vieille sorcière qui s'éclaire.
« Billius et Henry ! Allez, venez embrasser votre tante Iola »
Elle ouvre grand ses bras et les deux enfants viennent s'y réfugier. Un des grands regrets de la vie de Iola est de n'avoir eu que deux enfants avec son Bobby adoré. Ernest et Trivia. Iola a toujours tellement aimé être entourée de bambins qui courent dans tous les sens, demandent de l'attention, et la vieillesse aidant, elle se sent de plus en plus seule, mais ne le dit pas. Elle ne veut pas être un poids pour ses enfants ou ses petits enfants. Alors elle profite de ces moments familiaux pour se saouler de compagnie et supporter sa solitude quand elle rentre chez elle.
Cedrella arrive alors, et Iola lui sourit tendrement. Elle ouvre ses bras et la jeune femme vient s'y blottir.
« Bonjour Cedrella, tu es toujours en beauté. »
« Et vous toujours aussi pimpante ! »
Iola sourit et suit Cedrella après qu'elle l'ait débarrassée de son manteau et de son écharpe. Elles s'installent dans les fauteuils du salon, près du feu. Mais Cedrella ne reste pas assise longtemps, parce que d'autres coups sont frappés à la porte. Cedrella embrasse Trivia, puis Thésée et sa femme Ariane. Norbert est derrière eux, portant un impressionnant bouquet de fleurs. Tout le petit monde se réunit dans le salon et salue Iola.
Des fauteuils supplémentaires apparaissent et les convives s'y assoient, devisant gaiment. Iola regarde son petit fils Norbert, qui paraît toujours aussi débordant de gêne, alors que Thésée parade avec Ariane. Ils sont l'un comme l'autre impeccablement tirés à quatre épingles. Thésée a pris du gallon au bureau des Aurors, et Ariane a un bon poste au département de la Justice Magique. Ils sont l'un comme l'autre ennuyeux à mourir. Iola tourne alors son attention vers Norbert qui essaie de se faire oublier dans un fauteuil, un peu en arrière des autres, sourd aux conversations. Et quand Iola lui pose LA question, toutes les conversations se taisent.
« Alors, Norbert, quand vas-tu enfin te décider à faire ta demande à Porpentina ? »
Tous les regards se tournent vers Norbert qui a l'air d'avoir un petit moment d'affolement, et de vouloir disparaître dans son fauteuil. Iola ignore le regard assassin que lui envoie sa fille Trivia. Norbert a les yeux un peu écarquillés et le souffle court, et il commence à bégayer.
« Tu n'es pas obligé de répondre, Norbert. » le coupe Trivia avant même qu'il n'ait prononcé un mot.
« Oh que si. Cela évitera de parler de la deuxième guerre mondiale dans lequel notre pays s'est engagé, et qui est à nos portes. Ou de ce mégalo de Grindelwald. Parlons de nous, vous voulez bien ? »
Norbert s'éclaircit la voix.
« Grand-mère, Tina vit toujours aux Amériques. Elle est toujours Auror et son métier est important pour elle... »
« Et ? Aucun de vous n'est prêt à renoncer à quoi que ce soit pour l'autre ? » demande Iola. Puis sa voix s'adoucit.
« Tu sais bien que je m'y connais en renoncement. J'ai fui ma famille entière pour ton grand-père qui était Moldu. Et je ne l'ai jamais regretté. Pas un seul jour. Un travail t'occupe toute la journée, mais ce n'est à un travail qui t'attend le soir quand tu rentres à la maison. Ce n'est pas un travail qui réchauffe ton lit non plus. »
Norbert s'agite un peu sur son fauteuil, cherchant du regard de l'aide des autres convives. Trivia intervient alors de nouveau, mais pas comme Norbert l'aurait souhaité.
« Maman a raison, Norbert. Parle à Tina. »
Norbert esquisse un sourire avant de se lever, s'excuser, et sortir du salon. Trivia lance un regard sévère à sa mère.
« Tu n'aurais pas du, et moi non plus. Pas devant tout le monde. Tu sais bien comme il est réservé. »
« Je vais aller le voir » murmure Thésée avant d'embrasser Ariane sur la joue et de quitter la pièce aussi.
Iola ignore la gêne palpable dans la pièce, tout comme elle ignore le fait qu'elle a sans doute un peu trop secoué son petit-fils. Elle sourit en pensant à lui. Quel empoté. Si sa Porpentina est aussi timide que lui, ils n'ont pas fini de se tourner autour. Elle écrira à sa chérie après Noël, de femme à femme.
« Bon, résonne la voix claire de Cedrella. Venez vous installer à table, on va prendre l'apéritif. »
Tout le monde se lève comme un seul homme, et va s'assoir à table. Iola apprécie en souriant la décoration de la table de la salle à manger. Le sapin est immense, dans le coin à côté des escaliers, et les bougies qui flottent dans l'air apportent une ambiance douillette propice à apaiser, à réunir. C'est tout ce dont a besoin Iola. Tout ce qu'elle est avide d'avoir avant de retourner à la solitude de son appartement. Cet appartement qui était si plein de vie quand son Bobby et ses enfants étaient à la maison. Mais les enfants ont grandi et Bobby est mort. Alors, cet appartement est maintenant empli de leur absence, et de l'avidité de Iola d'avoir des visites, de l'attention. Elle avale la boule qu'elle avait dans la gorge et serre sa main sur sa canne. Elle est là pour profiter de la soirée, et non pour se lamenter. Elle a bien assez de temps pour se lamenter quand elle est toute seule.
Cedrella sourit, et fait léviter devant elle un plateau en argent recouvert de roulés au bacon avec une sauce à la crème et aux épices, et une assiette contenant un monceau de shortbread. Elle sert ses convives un par un, rayonnante. Iola lui sourit, alors que Septimus, ce grand échalas débordant de gentillesse, emplit les verres des adultes de vin des elfes, et ceux des enfants de jus de citrouille à la badiane. Thésée revient dans la salle avec son frère à qui il tapote un peu l'épaule. Iola, qui ne rate rien, remarque que Norbert a le regard peut-être encore plus fuyant que d'habitude. Elle va définitivement écrire à sa Tina, parce que c'est elle qui doit secouer son petit-fils, qui lui préfèrerait sûrement ses grosses bestioles si elle le laissait décider.
Alors que les verres se lèvent, et que les invités se souhaitent un joyeux réveillon de Noël, Iola se dit qu'elle est en train de préparer son départ. Mettre un bon coup de pied aux fesses de chacun d'entre eux pour qu'ils partent dans la bonne direction et n'en dévient pas. Pour qu'ils ne perdent pas de temps sur des choses superficielles et se concentrent sur ce qui est essentiel. Qu'ils pensent à eux plus qu'à ce que les autres pensent d'eux.
Son regard se perd sur les deux enfants de Cedrella et Septimus, Billius à qui il manque les deux dents de devant, et Henry qui apprend à faire du vélo avec les petites roues – une lubie de leur père. Elle regarde ensuite sa fille Trivia et son cœur se gonfle de fierté. Avec son élevage de canassons ailés – non, pardon d'hippogriffes – elle a réussi, malgré son veuvage qui est advenu si tôt. Quelle idée a eu son gendre Persée d'aller voir les quintapeds de l'île de Drear, si on a mis ces foutues bestioles sur une île incartable avec l'interdiction formelle de s'y rendre, c'est bien pour une raison. Même Norbert qui a l'air de suivre le chemin de son père, et son amour pour les créatures, ne s'y risque pas.
Les yeux gris de Iola se posent ensuite sur Thésée et sa femme Ariane, qu'elle trouve bien pâles à côté de la fougue de Trivia ou l'étrangeté de Norbert. Non, définitivement ces deux-là n'ont aucun besoin qu'elle leur dispense des conseils vu la vie étriquée qu'ils mènent, ils n'écouteront pas la grand-mère qu'elle est. De l'autre côté de la table, il y a Septimus et Cedrella qui sont amoureux comme au premier jour, comme elle l'a elle-même été avec son très cher Bobby. Elle ne doute pas que ces deux-là feront encore quelques enfants.
Mais la main de la peur lui étreint le cœur. Iola ne peut pas mourir avant de s'assurer qu'aucun Black ne viendra après Septimus et Cedrella, ou pire, leurs enfants.
Iola doit révéler le secret qui pourrait faire tomber la maison de ses parents, maison qu'elle a fui il y a si longtemps pour se marier avec Bob Hitchens, un Moldu. Parce que la Noble et Très Ancienne Famille des Black repose sur une supercherie.