Dès que Scorpius Malefoy essayait de s’endormir dans son énorme lit à baldaquins au manoir Malefoy, il se demandait pour quelle raison ses grands-parents avaient décidé de garder cette maison. Outre le fait qu’elle grinçait sans arrêt et l’empêchait de dormir convenablement – c’est-à-dire sans insomnies – elle avait quand même une histoire que Scorpius essayait sans cesse d’oublier. Il détestait le fait que son nom soit associé aux horreurs commises ici et fasse tout de suite murmurer les gens sur son passage. Il ne pouvait s’empêcher de se demander aussi pour quelle raison obscure ses parents avaient décidé de l’appeler Scorpius, un prénom qui appelait forcément intrigues sombres et un insecte franchement pas sympathique.
Le sommeil le fuyait souvent mais ici, c’était une insomnie épaisse, bien pire que celles qu’il pouvait faire chez lui, dans cette maison pas très loin du manoir où il habitait avec ses parents. Ici, en réalité, il ne dormait jamais vraiment, ce n’était que des siestes entrecoupées de cauchemars. Il passait la nuit tétanisé dans les draps lourds, la tête engluée dans des pensées sanglantes et morbides.
Albus et lui parlaient souvent du manoir. Son ami trouvait cet endroit à la fois fascinant et complètement surréaliste. Il lui répétait souvent mais ils veulent pas le détruire ce machin ? Et Scorpius haussait les épaules. Un peu honteux, il avait expliqué à Albus qu’il lui était absolument incapable d’y dormir sans faire des rêves insupportables où Voldemort se manifestait sous différents traits tous plus abominables les uns que les autres. Albus s’était d’abord foutu de sa gueule : pauvre chéri, t’as peur du noir ? Scorpius l’avait gratifié d’un regard glacial. Et puis Albus avait continué, plus sérieusement et en se massant les côtes dans lesquelles Scorpius venait de lui envoyer son coude, et lui expliqua qu’il ne comptait plus le nombre de nuits où il avait été réveillé par les hurlements nocturnes de son père.
– Tu crois qu’il rêve à… ? avait questionné Scorpius (en se se sentant stupide de ne pas oser prononcer le nom, mais chez lui, depuis le procès de son père, c’était interdit)
– À Voldemort ? Je crois pas. Tu sais, ils ont plus rien à voir, cette connexion bizarre entre eux, c’est fini. Je pense que c’est les souvenirs de la guerre, c’est ce que ma mère dit. À mon avis il ne s’en remettra jamais vraiment. Bon, finit de causer, t’es prêt à prendre la plus grande raclée de ta vie ?
Et ils avaient joué aux échecs sorciers et évidemment, Scorpius avait gagné. C’était toujours comme ça entre lui et Albus ; ils abordaient un sujet sérieux pour aussitôt redevenir deux adolescents de 17 ans, amis depuis – c’était banal à crever c’est clair – qu’ils s’étaient retrouvé assis côte à côte dans le Poudlard Express. Depuis et comme ils étaient à Serpentard, ils étaient tout le temps ensemble. Bien sûr, ils avaient d’autres amis, qui gravitaient autour d’eux, comme la cousine d’Albus, Rose Weasley. Les frontières entre les maisons, surtout avec Serpentard, étaient beaucoup plus poreuses qu’à l’époque de leurs parents. Ils restaient quand même la cible de rumeurs complètement grotesques, bien sûr. Celle que Scorpius avait préféré était sans nulle doute celle où on prétendait qu’il se baignait tous les soirs dans un bain de sang – pur s’il-vous-plaît – pour conserver toute sa puissance magique. Albus lui avait murmuré si seulement tu étais aussi cool et ils avaient ri de cette histoire pendant des mois, tachant volontairement les fringues de Scorpius avec de l’encre rouge pour alimenter la rumeur. Ils avaient arrêté après avoir vu Rose rassurer trois fois un première année de Poufsouffle qui fondait en larmes dès qu'il croisait Scorpius dans les couloirs – même si elle trouvait la blague très drôle elle aussi.
Drago Malefoy voyait cette relation entre son fils et celui d'Harry Potter d’un œil distant et froid, même si quand Scorpius lui demandait ce qu’il n’aimait pas chez Albus, ce qu’il n’aimait pas précisément, il lui répondait qu’il ne pouvait pas comprendre. Mais Scorpius comprenait tout à fait que ce soit difficile pour son père d’entendre dans sa bouche le prénom de l’homme qu’il avait un soir tenter d'assassiner en haut de la tour d'astronomie suivi du nom de famille qu’il avait haï pendant tant d’années. Et il entendait aussi que son père ne soit pas franchement satisfait du nombre d’heures de retenues qu’ils avaient reçues ensemble.
Bref, Scorpius était reparti en boucle sur ses vieilles histoires de famille et de guerre à laquelle il n’avait évidemment pas du tout assisté et dont il se retrouvait à payer les frais plus tard. Quoiqu’on en dise, être le fils de Drago Malefoy ou de n’importe qui ayant une marque monstrueuse sur tout l’avant-bras, n’était franchement pas synonyme de vie facile. Ses parents lui répétaient tu sais, la vie, c’est toujours compliqué. Surtout à ton âge.
Réprimant un frisson, il jeta ses jambes hors du lit. Il attrapa sa baguette, jeta un lumos et s’aventura dans le manoir. En avançant dans les couloirs sombres il s’adressa une note pour lui-même qui commençait par : ne plus JAMAIS visiter cet endroit de merde la nuit. La lumière vacillante de sa baguette illustrait bien l’angoisse qu’il sentait dans ses entrailles, au milieu des craquements du parquet et des portraits qui juraient dès que la lueur se propageait un peu trop longtemps sur leurs visages. Hé, gamin, on dort ! Et lui de leur répondre chut, son index pâle contre ses lèvres serrées par la peur. Il pressa le pas pour rejoindre les cuisines en se maudissant intérieurement d’avoir eu l’envie irrépressible de grignoter quelque chose à cette heure. Il espérait trouver un reste de tarte à la citrouille. Une fois dans les cuisines, il réussit à se couper une part sans réveiller l’elfe de maison, ce qui était un exploit – il avait dû éteindre sa baguette et se frayer un chemin le plus discrètement possible vers le plan de travail où le plat avait l’air de n’attendre que lui.
Il s’apprêtait à retourner se mettre au chaud sous ses draps, quand il s’aperçut que la chambre à côté de la sienne était entrouverte, ce qui n’était pas normal. Pas normal du tout. Il savait bien sûr ce qu’il y avait derrière cette porte. C’était l’ancienne chambre de son père, mais normalement elle était fermée à double tour et personne n’avait le droit d’y entrer. Il n’avait jamais su pourquoi et le visage tendu de son grand-père l’empêchait à chaque fois d’insister davantage quand il demandait pour quelle raison sordide cette pièce était interdite. Ses parents dormaient à présent à l’étage supérieur avec l’excuse inlassablement répétée de la chambre est plus grande, arrête avec tes questions. Scorpius, de toute façon, ne demandait plus grand-chose à ses parents, plus grand-chose qui importait vraiment en tous cas. Il en avait marre du silence et des secrets.
Scorpius se débattit longtemps avec sa conscience, les doigts autour de sa poignée. Bon, il pouvait bien regarder vite fait. Il réfléchit à ce qu’Albus lui aurait dit et c’est clair qu’il l’aurait obligé à rentrer dans la pièce. Il poussa alors la porte du bout de son pied, elle grinça un peu et Scorpius resta sur le seuil longtemps, avec l’impression amère qu’on avait fait tout un bordel de cet endroit alors qu'il était quasiment identique à sa chambre à lui, sans compter les piles de cartons poussiéreux qui s’empilaient un peu partout. Il détailla les affaires entassées et hésita avant de se précipiter – le plus silencieusement possible quand même – pour tout ouvrir. Il referma la porte doucement et continua à éclairer la pièce de sa baguette. Même lit à baldaquins, même bureau, même énorme fenêtre encadrée de rideaux lourds, même gigantesque tapis par terre.
Il ouvrit nerveusement le premier carton. C’était des albums de famille en cuir, il les feuilleta rapidement et il éventra les autres cartons et entre les parchemins jaunis, les livres fermés à double tour par d’épaisses chaînes et des vieux vêtements il trouva... rien d’intéressant. Pour la forme, il ouvrit quand même le dernier carton et pareil : que dalle. C’est alors que, désespéré d’avoir perdu son temps à ouvrir des vieux machins poussiéreux, il vit une petite boîte en bois sous le lit. Il l’attrapa à tâtons et la fît glisser vers lui. Elle n’était pas fermée ce qui le surprit (il espérait quand même que la porte, quand elle était close, était gardée par un sort plus puissant que celui inexistant de la boîte). Il ouvrit. C’était des lettres. Il y en avait plusieurs. Toutes adressées à son père, toutes datées de l’année 2018. Même s’il avait l’impression de violer un secret, même s’il savait que ce n’était pas correct de s’immiscer dans l’intimité de quelqu’un et qui plus est de son père, il ne put pas se retenir et décacheta l’enveloppe. La lettre glissa dans sa main. Il la lut vite, pressé de découvrir la signature finale et fronça ses sourcils blonds quand il vit : Harry Potter. Il les dévora toutes, comme les romans qu’on ne pouvait pas lâcher avant de savoir la fin. Ça parlait de la guerre. D’échanges de sorts et de sang partout dans les toilettes des filles (Scorpius se fit la réflexion qu’il allait s’empresser de raconter ça à Albus). De dettes de vie entre eux. D’un travail qu’ils faisaient ensemble au ministère. D’engueulades qui n’étaient que des enfantillages. De la baguette de son père qu’Harry se proposait de lui rendre. Et la dernière lettre trembla entre les mains de Scorpius. Le papier trembla encore quand il la lut pour la deuxième fois et encore pour la troisième et encore pour la quatrième. Quand il la lâcha, elle était tellement froissée par ses doigts qu’un trou s’était formé. Il eut presque envie de l’avaler pour oublier son existence, que l’écriture en pattes de mouche se dilue sur son palais et que l’encre coule.
Drago,
C’était une erreur. J’ai essayé de commencer cette lettre autrement et à chaque fois, c’est ce qui me vient en premier alors je te le répète, c’était une erreur. Je réalise seulement maintenant que ma première lettre était une erreur ; nous n’avions déjà plus rien à nous dire.
Mais il a fallu que je suive mon instinct de merde et que je t’envoie cette première lettre et toutes les autres. Il a fallu qu’on commence à se parler, à échanger et que je vois ce que j’avais toujours pressenti chez toi : on aurait pu être amis, si tout avait été différent. Je m’éparpille putain ce n’est pas ça que j’ai envie de te dire. Je vais arrêter les détours, les phrases qui cachent tout ce que je pense vraiment.
Je suis amoureux de toi. Et tout dans cet amour est une erreur. Tout dans notre relation est une erreur. Nous n’aurions pas dû nous voir.
Je te demande de sortir de ma vie. Sors, Drago.
Le reste de la lettre était déchirée et introuvable dans la boîte. Scorpius se leva, tremblant, et chercha la suite partout. Il rouvrit rageusement tous les cartons, mais il avait beau chercher, rien. Il ne trouva d’ailleurs nulle part les réponses de son père, puisqu’il lui avait bien répondu, c’était sûr. Harry Potter n’était pas célèbre pour être la personne la plus équilibrée psychologiquement mais quand même, il ne correspondait pas avec lui-même.
Scorpius avait la nausée. Il s’assit sur le lit, sa baguette désormais éteinte entre ses doigts qu’il faisait rouler. Il essayait de se concentrer sur le roulement du bout de bois, en tentant sans succès de se persuader que ce n’était pas réel, qu'il n'avait pas lu ce qu'il venait de lire. Au début, les lettres étaient cordiales puis un peu plus amicales, mais la dernière… Il se maudissait intérieurement d’être incapable de dormir dans ce putain de manoir glauque.
À travers les rideaux, l’aube était en train de déchirer le ciel, lambeaux de nuages roses. Scorpius ne pouvait s’empêcher de penser à Albus et à toutes ces choses qu’il ne lui dirait pas au retour des vacances de Noël.