« Vous aveuz entendu ça ? »
Olympe avait brusquement reposé sa tasse sur la table pour relever la tête vers lui. Ses deux grands yeux noirs, habituellement si doux, brillaient d'affolement. Une explosion avait retenti au-dehors. Les murs avaient tremblé sous le choc. Ce n’était pas normal… Vraiment pas normal… Se pouvait-il que… ? L’estomac de Rubeus s’était brusquement tordu, comme si un gigantesque filet du diable l’avait soudainement enserré. Ce devait être…
Il ouvrit la porte de la cabane à la volée, et se trouva soudainement entouré d’une brume épaisse, opaque, menaçante, qui tentait — humide, glaciale, vorace — de s’engouffrer à l’intérieur. De la pièce comme peut-être de leurs corps. Brûlant tous deux de désarroi. L’atmosphère du dehors était à glacer un sang de géant. Il avait beau plisser les yeux, il ne percevait rien à plus de deux pieds. S'il n'avait pas su qu'il était installé à la lisière d'une forêt, il n'aurait eu aucune raison de suspecter son existence. L’obscurité et la brume dévoraient à cette heure-là tout le parc de Poudlard. Elles auraient pu envahir toutes les deux le monde entier que cela n'aurait pas fait de différence. Même la lueur de la lune – qui était encore pleine la nuit précédente – semblait se faire timide à pénétrer le brouillard.
« Qu’eust-ce que c’euteut ?
— Olympe, pouvez-vous me passer une des lanternes ?
— J’eu plus simple. Lumos ! »
Un faisceau de lumière parvint soudainement à transpercer le voile épais qui les entourait.
« Je… Je pense que quelque chose est arrivé aux Scroutts. »
La demi-géante avait acquiescé et tentait maintenant de progresser dans le potager, baguette à la main, à la recherche de l’origine de l’explosion. La terre craquait doucement sous leurs pieds. Silencieusement, chacun craignait le pire. Attentifs au moindre signe, au moindre son, à la moindre odeur… ils avançaient à pas de Botruc. Si par erreur ils en venaient à piétiner l’une des créatures… Rubeus tressaillit. Il préférait ne pas penser à ce qui arriverait dans ce cas-là.
Le silence et le brouillard flottaient autour d’eux. Les deux Sorciers étaient transis par le froid et l’humidité ambiante. Par l'inquiétude aussi. Le rayon lumineux, lui, était de plus en plus étroit, fragilisé par les assauts violents des volutes brumeuses.
« Prenez garde aux… »
À peine avait-il commencé à alerter la Française qu'il s’était justement pris les pieds dans les ramifications des citrouilles. Elle le rattrapa fermement par le bras, l’empêchant de basculer et de s’étaler de tout son long. Le demi-géant se sentit rougir de cette soudaine proximité.
« Trois meutres de long, ça ne se rate pas comme ça… » commenta-t-elle d’un air agacé.
La brume devenait encore plus dense et impénétrable, les rares filets de lumière de plus en plus facilement avalés par le néant. Les ténèbres avaient comme repris leurs droits. Une désagréable sensation prit soudain le garde-chasse sans qu’il ne puisse immédiatement mettre de mots sur ce qu'il ressentait. À chaque pas, le malaise s'insinuait de plus en plus profondément en lui. À chaque pas, une intense chaleur se lovait de plus en plus loin sur le chemin de ses poumons. Comme si un incendie venait de se déclarer dans ses fosses nasales et dans ses voies respiratoires.
« Oh non… » gémit-il.
C’était une odeur de brûlé. La brume ne s’était pas épaissie, elle s’était juste mêlée à une opaque fumée noire. Ils se mirent tous les deux à tousser. Rubeus couvrit aussitôt sa bouche et ses narines, plissant en même temps les yeux qui commençaient à le piquer. Une masse informe, plus sombre que les autres, sembla soudain se détacher à leurs pieds. Ses contours se précisaient.
« ATTENTION ! »
Ils s'étaient arrêtés net. Il avait hurlé si fort que des dizaines de bruissements d’ailes lui avaient répondu depuis la Forêt interdite.
« Ne… marchez pas… ici. »
Olympe abaissa sa baguette et eut un haut-le-cœur. S’ils avaient ressenti son souffle jusque dans la cabane, ils avaient supposé que l’explosion devait avoir été particulièrement violente. Ce qu’ils voyaient le leur confirmait désormais. Un corps, carbonisé, leur faisait face. Il était enveloppé d’une carapace de brume, de fumée, et de poussière. Sa vraie carapace, elle, semblait avoir été brutalement fendue. Certains de ses morceaux jonchaient le sol jusqu’aux nappes de brumes impénétrables – mais peut-être continuaient-ils au-delà ? Était-ce cela qui craquait sous leurs pieds depuis quelques secondes déjà ? À l'odeur de brûlé se rajoutait maintenant celle, fétide, de la mort.
« Rubeus… Il y en a un autre par i… »
La fin de sa phrase mourut dans sa gorge. Quelques dizaines de centimètres plus loin, un autre Scroutt était en effet étalé face contre terre. Sa carapace avait par endroits fondu. Il semblait lui manquer plusieurs pattes. L’une d’entre elles avait été arrachée au niveau de l’articulation. Du sang, noir, perlait au niveau des chairs, noircies elles aussi. Rubeus sentit la bile lui monter au bord des lèvres. Le deuxième Scroutt avait bien brûlé. Son dard ne semblait d'ailleurs pas être tout à fait éteint. Olympe lança un bref Aguamenti sur les braises encore chaudes.
« Qu’eust-ce qu’il s’eust passeu, Rubeus ?
— Je…
— Rubeus ?
— Ils ont explosé.
— Oui, ça j’eu bien compris. Meus pourquoi ?
— Dumbledore m'avait prévenu. Il s’agit… Il s’agit d’un simple croisement entre la Manticore et le Crabe de feu. Je ne pensais pas que… »
Il s’étrangla.
« Si les hybridations sont aussi strictement encadrées par le Ministère, reprit-il difficilement, c’est surtout parce que… parce que… parce qu’elles rendent les créatures plus fragiles et plus… plus… plus...
— Dangereuses ?
— Instables. »
Olympe hocha la tête.
« L’issue ne pouveut être que mortelle. »
Ces deux-là n'étaient que les premiers d'une longue lignée. Ils allaient tous y passer, l’un après l’autre. Inéluctablement. Alors seulement les brumes de son insouciance se levèrent, et Rubeus Hagrid réalisa. En leur donnant la vie, il les avait condamnés. Leur faible constitution ne leur permettrait pas de passer un hiver de plus. La prise de conscience était brutale. Muscle après muscle, tout son énorme corps fut pris de tremblements. La visibilité que la brume ne lui avait pas arrachée, ses larmes la lui prenaient désormais.
« Je les revois sortir de l'œuf… »
Il se moucha bruyamment dans sa manche. Olympe lui tendit alors un mouchoir en soie.
« Et dire que… qu'hier encore ils ne faisaient qu’une quinzaine de centimètres…
— Ils auront eu une belle vie, avança la Française de sa voix de velours.
— Si courte…
— Courte mais intense, c’eust tout ce qui importe. »
Le demi-géant hoqueta. Il essuya le coin de ses yeux avec le bas de ses paumes.
« Vous… vous avez raison. Vous avez toujours raison, Olympe.
— La plupart du temps. »
Cela lui tira un sourire. L'humour français… Son regard retomba soudain sur les pauvres créatures. C'était… fini. Pour eux et pour tous les autres. Ce n'était qu'une question de temps. Il renifla une dernière fois. Séchant définitivement ses larmes, il entreprit, résolu, de se baisser pour saisir entre ses bras les deux énormes cadavres.
« Que feutes-vous ?
— Faut ce qu'il faut. La mort a ses exigences qui règlent les effusions », murmura-t-il d'une voix tremblante.
La grande main d’Olympe recouvrit aussitôt la sienne.
« Je ne vous laissereu pas faire ça seul.
— Non ! Je refuse que vous… »
Personne ne sut jamais ce qu'il comptait lui refuser — on ne refusait rien à Olympe Maxime. Elle ne le laissa pas finir et posa à son tour un genou à terre, écorchant le satin de sa robe, soulevant à bout de bras le second Scroutt encore fumant.
« Ensemble. »
Ses grands yeux noirs avaient retrouvé de leur douceur, et brillaient en même temps d'une lueur tout à fait nouvelle.
Avertissement : descriptions gores pouvant potentiellement heurter votre sensibilité.
Contrainte 1 : Votre chapitre doit se dérouler la nuit
Contrainte 2 : Votre chapitre doit se dérouler par un temps brumeux
Contrainte 3 : Vous devez insérer une citation de votre choix sur le thème de la mort ("Faut ce qu'il faut. La mort a ses exigences qui règlent les effusions", Wajdi Mouawad, Un obus dans le cœur)
Contrainte 4 : Les mots "peur, terreur, appréhension, stress" ainsi que leurs dérivés sont interdits
C'est presque une romance en fait. Merci à tous et à toutes pour votre lecture et pour tous vos précieux retours. J'espère que ce nouvel OS vous aura plu. L'idée m'est venue d'un article que j'avais déjà écrit pour Plumes de couloir, "Que sont devenus les Scroutts ?". Je trouvais ça sympa de pouvoir revenir sur le sort réservé à ces pauvres bêtes, et le thème s'y prêtait plutôt bien. Pour ce qui est de la diction de Mme Maxime, je me suis calée sur le modèle de traduction de Ménard.
(Je précise, si jamais cela avait pu heurter qui que ce soit, que je ne partage pas du tout l'idée selon laquelle ils auraient eu une "belle vie", le comportement de Hagrid est plus qu'inconséquent et la maltraitance animale peut prendre bien des formes, y compris sous une apparente bienveillance)
Ceci étant dit : je vous invite à aller faire un tour du côté des autres participations du concours, en fanfiction comme en original, si vous ne l'aviez pas déjà fait !
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