Le crépuscule est presque là. Bientôt il fera nuit sur Londres...
« Il me fait confiance : je suis son soldat. Je suis son ombre ! crache une voix de femme à l’adresse d’un interlocuteur invisible.
— N’être qu’ombre, miss Black, n’est pas une situation que je vous envie beaucoup... »
La voix tranche tellement avec le ton odieux de Bellatrix, une seconde plus tôt, que cette-dernière s’immobilise au moment où elle s’apprêtait à tourner dans l’allée des Embrumes. Elle fait pivoter sa tête sur ses épaules dans un mouvement si lent qu’il parait surnaturel… Lorsque son regard se perd enfin par-dessus son épaule, Bellatrix aperçoit la silhouette noire d’une femme.
« Que venez-vous de dire… ? lâche Bellatrix d’un ton si hautain et pâteux qu’on pourrait croire qu’elle a reçu un maléfice de bloque-langue. »
Sa bouche épaisse remue à peine. A quelques mètres, la silhouette se redresse et entreprend de revenir sur ses pas. En quelques instants, elle est en face de Bellatrix.
« Je dis que vous n’avez pas eu beaucoup de chance, Bellatrix. »
Bellatrix ne sait pas immédiatement ce qui la fait véritablement tressaillir : reconnaitre Minerva McGonagall ou l’entendre l’appeler par son prénom, comme s’il restait une seule minuscule trace de la jeune fille qu’elle a été à l’époque, à Poudlard !
« …comment oses-tu ? commence la mangemort, la voix tremblante et étranglée par la rage. Comment oses-tu me parler sur ce ton, immonde traitresse à ton sang ! »
Mais Minerva McGonagall ne recule pas. Dans la pénombre de ce début de soirée, il est impossible de décider de quelle expression se couvre son visage en entendant son ancienne élève l’insulter… Est-elle outragée, choquée, déçue, désabusée… ?
Les alentours sont devenus silencieux, en quelques secondes. Une chauve-souris émet un son criard un peu plus loin qui les fait toutes les deux sursauter. Et elles peuvent prendre l’ampleur du vide qui s’est fait autour d’elles. Il n’y a plus une âme, pas même une ombre justement. Il n’est pas rare ces temps-ci que des rues, aussi fréquentées soient-elles, se vident en un claquement de cape. Au moindre soupçon, à la moindre situation louche, les sorciers déguerpissent de peur de se retrouver embarqués dans un combat perdu d’avance contre un ou plusieurs mangemorts. C’est la guerre !
Mais à la grande surprise de Minerva, Bellatrix Black n’a pas encore eu l’idée de sortir sa baguette magique. De seconde en seconde, la professeure de Métamorphose sent l’urgence la gagner. L’urgence de fuir ! Tout le monde sait de quel côté se rangent les Black et en particulier Bellatrix ! Elle-même a enseigné à la jeune sorcière… A présent qu’elle la tient prisonnière de son regard perçant, s’interdisant de cligner des yeux, Minerva peut discerner la flamme de haine, de mépris et de barbarie dans les prunelles de la femme qu’elle est devenue. Mais on ne peut ignorer que quelque chose vibre aussi dans sa poitrine ; un courage, une bravoure contre laquelle il ne sert à rien de lutter :
« Bellatrix, vous avez fait de mauvais choix… murmure Minerva. »
Elle s’est penchée à l’oreille de la jeune femme pour s’assurer qu’un éventuel camarade mangemort en embuscade ne risque pas de l’entendre :
« …mais il n’est pas trop tard pour en revenir. Je me souviens de vous… »
Un frisson d’horreur se noue dans les entrailles de Bellatrix avant de se déployer, comme les ailes immenses d’une chauve-souris, dans tout son corps. Elle a envie de tirer sa baguette pour faire taire cette revenante de ses années d’école, mais un doute remue dans son esprit. Je me souviens de vous…
Bellatrix plonge son regard dans celui de Minerva en quête d’un sens plus précis à cette affirmation. De quoi, de qui se souvient la professeure ? D’une gamine ! D’une jeune fille tout au mieux, prétentieuse et cruelle, sans pitié. Déjà une ombre…
« Votre combativité, votre audace… chuchote encore Minerva. »
Bellatrix ouvre la bouche mais aucune de ses intonations haineuses, habituellement toujours à portée de voix, ne veut franchir ses lèvres.
« Vous étiez déjà une sorcière très spéciale. Si singulière.
— Taisez-vous… éructe la mangemort. »
Elle recule d’un pas et toise l’enseignante de toute sa hauteur, mais un éclair de peur demeure dans son regard, comme si une brèche venait de s’ouvrir en elle. Il y a un bruit de pas au bout de la rue et Minerva cherche sa baguette à l’aveugle dans sa poche, ne lâchant pas des yeux les parages. Bellatrix n’est pas seule, réalise la professeure ! Il y en a d’autres !
« Bella ! crie une voix d’homme. »
Minerva sursaute, fait volte-face. Mais le bruit de pas vient d’ailleurs…. Et Bellatrix reste immobile en face d’elle. La professeure est cernée ! Mais soudain, Bellatrix brandit sa baguette. Elle lance un sort derrière elle ! Un fracas trouble la situation, l’ombre d’un instant.
« Fuyez ! souffle la mangemort à son interlocutrice dans un murmure à peine audible.
L’homme en embuscade a reçu le sort que Bellatrix vient de lancer et de ce côté, la voie est libre. Minerva s’élance dans la rue et rassemble ses esprits sans cesser de courir, dans l’espoir de trouver assez de concentration pour pouvoir transplaner. Lorsqu’elle ferme les yeux en pensant très fort au village de Pré-au-lard, un pop retentit dans son dos. Elle ne peut discerner que la longue chevelure sombre de Bellatrix qui s’évapore en plein élan. Elle ne reviendra plus en arrière…