Cette histoire se passe au temps de la Grèce antique, en pleine Guerre du Péloponnèse (431-403 av. J.C.).
Deux étrangers, deux métèques qui avaient chacun du trouver un protecteur, faire leur place et qui ne seraient jamais considérés comme des athéniens à part entière, ni leurs enfants d’ailleurs.
C’était le lot de tous les étrangers à Athènes depuis quelques années : aucune intégration au corps des citoyens possible, des exceptions si rares qu’elles ne pouvaient être espérées.
Et puis, Aspasie savait depuis son plus jeune âge que c’était peut-être mieux ainsi : qu’aurait-elle fait de toute manière d’une vie d’honnête épouse ? Elle qui ne savait pas tenir une maison mais seulement danser, chanter, jouer de la musique et faire valoir ses charmes ?
En cette soirée d’hiver où elle divertissait avec sa troupe tout un banquet de dignitaires, il lui semblait que ses doigts se crispaient sur sa lyre tant elle était inquiète et aux aguets.
Déjà la guerre qui opposait Athènes et ses alliés à la Ligue du Péloponnèse s’éternisait, d’où une forme de morosité dont leurs clients n’étaient pas exempts.
Même en faisant jouer son charme surnaturel, bien aidée en cela par sa sœur Miletia qui étaient parée des mêmes qualités qu’elle, elle n’avait pas pu empêcher tous ces hommes de se morfondre sur la politique.
Elle n’était même pas sûre d’ailleurs que sa mère elle-même y serait arrivée, malgré ses pouvoirs prodigieux.
C’est qu’il y avait autre-chose que la guerre entre les cités, les affrontements, l’enfermement des citoyens dans la ville d’Athènes chaque été depuis des années, les rumeurs de conflits contre Syracuse…
Un voile obscur planait sur la ville, et comme toute magicienne grecque qui se respectait, Aspasie était parfaitement capable de le percevoir, Miletia également.
Toutes les deux jetèrent en même temps un regard attristé sur la dizaine de notables qui dînaient ensemble et n’avaient jeté qu’un regard distrait aux courtisanes. Chacune savait ce que faire bien-sûr, mais toutes les deux avaient peur : peur des conséquences, des suspicions… Peut-être des représailles s’il s’avérait qu’un mage puissant était derrière tout cela dans l’autre camps.
Cependant, et malgré tous ses défauts, Athènes était la ville d’Aspasie. Elle était cet endroit si spécial dont la beauté l'avait toujours émerveillée et époustouflée depuis sa plus tendre enfance.
Faute de mieux, elle était même sa patrie, malgré les abus envers d’autres cités. De toute manière l’autre camps de valait pas mieux et la cité de Sparte en particulier. Elle frémissait encore en pensant au sort que les sorciers qui la dirigeaient avaient réservé à plusieurs centaines de paysans quelques années plus tôt.
Oui, les tueries de paysans hilotes par les citoyens spartiates étaient à vomir. Et cela révulsait Aspasie encore plus que les multiples détournement des fonds de la Ligue de Délos par Athènes.
Aucun camps ne valait mieux que l’autre certes, mais aucun camps n’aurait du avoir la possibilité de déployer des créatures de l’ombre pour terroriser toute une ville. Et Aspasie se souvenait également de l’épidémie qui avait emporté bien des habitants de la cité en quelques mois alors qu’elle n’était qu’une enfant.
Son père n’y avait pas survécu et seul le sang de nymphe de sa mère les avait préservées, elle et sa sœur, d’une maladie.
Si elles laissaient faire ce qui était en train de se faire, Aspasie savait qu’une maladie semblable frapperait à nouveau la ville. Et cela elle ne pouvait pas l’accepter.
Aussi, malgré le danger, elle jeta à Miletia un regard entendu et les deux jeunes femmes se levèrent d’un même mouvement, s’attirant quelques regards étonnés de la part des notables avachis sur leurs lits.
Aspasie saisit sa lyre, Miletia sa flûte. Elles sortirent sur le balcon heureusement spacieux de la demeure et se mirent à jouer tout en dansant, libérant au passage leurs pouvoirs magiques pour tenter de repousser cette chape de plomb qu’elles sentaient peser sur la ville.
Mais même en dansant, même au meilleur de ses pouvoirs et époustouflante de beauté, Aspasie tremblait de peur. Après-tout pour avoir défiait les sorciers qui attaquaient la ville, bien des magiciens et des magiciennes avaient été assassinés. Cela durait depuis des années.
Avec Miletia, seraient-elles les prochaines ?
Peut-être, mais Athènes étaient leur ville. Et si elle disparaissait, leur propre vie serait réduite à néant, car elles ne se faisaient guère d’illusions sur le sort qui leur serait réservé. Après tout les Spartiates n’étaient pas tendres avec les hétaïres comme elles...