Regulus tenait à la main une lettre de ses parents. Cela faisait plusieurs jours qu’il avait fait sa rentrée à Poudlard. Réparti à Serpentard, il lui incombait désormais de redorer le blason de la famille Black, terni par la maison qui avait accueilli Sirius. Regulus se souvenait encore de la tempête qui s’était abattue sur Square Grimmaurd lorsque que Walburga avait appris que son fils aîné avait défié les traditions familiales.
Lui aussi, désormais, se tenait dans l’enceinte du château ancestral. Lors des premiers instants, Regulus s’était senti traversé par la sensation des centaines d’années qui s’étaient abattues sur son dos. Il n’ignorait pas que ses parents, et les leurs avant eux, avaient foulé de leurs pieds les pierres de Poudlard. A cette pensée, le petit garçon avait relevé la tête. Il se montrerait digne.
Les heures suivantes avaient été une vaste déconvenue. Malgré ce qu’avait pu lui raconter Sirius sur les dortoirs de Gryffondor, dans le dos de leurs parents, la salle commune de Serpentard était dépourvue de toute chaleur. Pire encore, un véritable combat de forces s’était déployé entre les élèves dès le premier soir.
Combat duquel Regulus était sorti, sinon vaincu, du moins relégué à son nom.
Regulus ne brillait pas. Son firmament à lui n’éclairait la nuit de personne.
Il n’était pas doué.
Il portait juste un nom.
Black.
La nuit, froide et sans pitié.
Sans un mot, Regulus s’était couché. Certes, il s’était assuré une place dans le cercle des Serpentard influents. Un Black, même faible comme lui, apeuré, était un nom de choix qu’on se devait de fréquenter.
Les jours suivants, il s’était appliqué à travailler dur. Il n’avait pas le talent inné de son frère ni son charisme, mais Regulus possédait une endurance hors du commun. Il travaillait plusieurs heures après le couvre-feu, et rendait des travaux écrits presque irréprochables. Alors que les semaines s’écoulaient, on vint peu à peu à prendre conscience de ce sorcier discret. Ses sorts étaient loin d’être puissants, mais il les maîtrisait.
A plusieurs reprises, Regulus avait échangé avec Sirius. Ils se retrouvaient parfois dans les cuisines, où ils prenaient le petit-déjeuner ensemble. C’était le seul endroit où Regulus était à peu près certain de ne pas croiser d’autres Serpentard. Non pas qu’il eût été un crime de parler avec Sirius. Il était toujours doté d’un nom prestigieux dans la communauté sorcière. Mais outre son nom, Sirius possédait aussi un écusson rouge et or. Et il eût été inadmissible pour Regulus de passer du temps avec quelqu’un de « l’autre maison ».
Cela était idiot, bien sûr. Personne n’ignorait que Sirius était le frère aîné de Regulus. Et lors des réceptions où la famille Black était immanquablement conviée dans son intégralité, Sirius côtoyait sans gêne aucune les autres élèves de Serpentard.
Mais à Poudlard, il semblait qu’une règle de haine réciproque s’était établie depuis la nuit des temps, et nul ne songeait à la franchir ouvertement. Il y avait bien des incartades dont tout le monde avait eu vent, et la fratrie Black n’était qu’un exemple parmi d’autres, mais les Serpentard fermaient parfois les yeux dessus.
Serpentard était un jeu de pouvoir. Ici se mêlait la crème de la haute-société sorcière. Ceux qui avaient de l’ambition. Un jeu de sous-entendus auquel se plaisait parfois Regulus. Du petit garçon impressionné par sa maison les premiers jours, il ne restait plus rien. Les mois avaient tout effacé. A la fin de sa première année, Regulus tenait tête sans difficulté aux débats rhétoriques qui agitaient parfois la salle commune. Du haut de ses douze ans, il n’ignorait pas les enjeux véritables de ces altercations. Juger de la qualité de la politique de tel ministre du siècle précédent ou de la loi de réglementation de Gringott’s n’avait aucune importance. Ce qui primait, ce n’était pas tant l’avis que l’habilité que l’on prenait à le défendre. C’étaient des tours de rhétoriques prodigieux qui se mettaient en place et qui étaient observés, scrutés dans les moindres détails.
Dans cette pièce, presque trop étroite pour les orgueils surdimensionnés qu’elle abritait, s’affrontaient les futurs acteurs de ce monde.
Regulus savait par Sirius que de nombreux Gryffondor et élèves des autres maisons considéraient les Serpentard comme des monstres sanguinaires qui parlaient de méthodes de tortures comme on parle de la météo. La torture n’était qu’un détail. Un moyen pour parvenir aux fins dont rêvaient les Serpentard. La politique, ça, c’était de l’art.
Malgré tout, Sirius lui manquait, parfois. Parfois, Regulus aurait tant aimé que son frère aîné eût rejoint, lui aussi, Serpentard. Pour ne pas avoir à se cacher, les rares fois où ils se voyaient. Pour se voir plus souvent, aussi. Mais Regulus s’était vite rendu compte, lorsqu’il était arrivé à son tour à Poudlard, qu’il n’était plus là la seule priorité de son frère. Contrairement à ce qu’il avait pu imaginer, Sirius ne s’était pas isolé dans la maison ennemie. Au contraire, il était toujours entouré, et en particulier par trois autres garçons que Regulus avait fini par identifier comme étant les membres de son dortoir.
Et seul, Sirius l’était rarement. Comment l’approcher ? Comment faire pour voir son frère ? Si Sirius lui avait annoncé qu’il n’y avait aucun risque à venir le voir en compagnie de ces trois-là — ils s’étaient autoproclamés les Maraudeurs, et Regulus n’avait toujours pas trouvé la moindre explication à ce nom —, son cadet conservait quelques réticences. Il n’y avait certes pas, à Gryffondor, autant de mise en scène que ce qui était de mise à Serpentard, mais Regulus n’était pas dupe. A Gryffondor aussi, on trouvait des noms de grandes familles sorcières. Sirius était d’ailleurs ami avec le fils Potter. Les Potter n’avaient peut-être pas autant d’influence que les Black, et ils avaient d’ailleurs été mêlés à des sangs-de-bourbe quelques décennies auparavant, mais cette famille conservait une importance majeure dans l’air du temps. Ils avaient d’ailleurs assis leur puissance par le mariage entre Fleamont Potter et Euphemia Shacklebolt, dont la famille faisait partie des vingt-huit sacrées. C’était d’ailleurs cet argument qui avait permis à Sirius de convaincre ses parents de lui conserver un minimum d’estime. « Je ne renie pas les valeurs de la famille, avait-il dit, je les honore différemment de vous. Mon amitié avec James Potter saura m’apporter quelque chose, soyez-en certains ». Regulus, seul, avait vu combien ces mots avaient coûté à son frère. Cela s’était confirmé quand il s’était aperçu qu’il ne fréquentait pas uniquement le rejeton Potter, mais aussi des sangs-mêlés et des adorateurs de Moldus.
Regulus était seul, et rien ni personne n’y changeait quoi que ce fût. Contrairement à d’autres, il ne vivait pas au rythme des événements qui animaient Poudlard — peu lui importaient les matchs de Quidditch ou les concours de boules baveuses. Il avait élu refuge, depuis la première année, dans un renfoncement de la Bibliothèque où il pouvait lire et étudier sans être dérangé. Il voulait comprendre.
Comprendre.
C’était son mot d’ordre. La mission qu’il s’était assignée. Comprendre quoi, exactement ? Il ne le savait lui-même pas exactement. « Comprendre les choses de ce monde » était une locution bien vague. Sans connaître son objectif, Regulus se consacrait pourtant à ses recherches avec une passion exaltée, une motivation inattendue. De temps en temps, il traçait frénétiquement quelques phrases sur un parchemin déjà noirci de toutes ses annotations.
Lentement, grain à grain, les années s’écoulèrent dans le sablier de son existence. Regulus grandissait. Peu à peu, il constatait l’amenuisement des pouces qui le séparaient de son frère. A ses dix-sept ans, il dominait Sirius d’une demi-tête. Ses traits s’étaient affirmés et Regulus ressemblait de plus en plus à leur mère. La mâchoire carrée, la taille mince, presque maigre, un mince sourire, personne ne doutait de son nouveau statut d’héritier des Black. A force de lectures dans son coin sombre de bibliothèque, sa vision avait baissé, mais Regulus refusait de porter des lunettes. Par coquetterie ou par refus d’assimilation aux moldus, il ne savait pas réellement. Mais forcer constamment les yeux lui avait donné un regard dur et sévère, qui tranchait singulièrement avec son attitude effacée.
« Relève la tête, lui assénait constamment Walburga. Tu es un Black, alors comporte-toi comme tel.
— Oui, mère.
— Il t’est interdit de baisser le regard. Répare notre honneur. Tu es la fierté de notre maison, montre-toi digne de l’honneur qui t’est fait. »
L’honneur.
C’était un leitmotiv qui revenait sans cesse. Sirius avait définitivement brisé l’honneur, il n’était plus son frère. Il lui incombait de redresser l’honneur de leur famille, cet impératif était absolu. Les adorateurs de moldus avaient perdu leur honneur de sorcier, il fallait sévir.
Cette dernière rengaine se faisait de plus en plus pressante.
La colère grondait. Dans les cachots des Serpentard, dans les couloirs de Poudlard, on chantait les louanges de ce nouveau Lord, qui enfin tranchait la question. Il était radical, mais efficace. Une course effrénée se jouait entre les étudiants. Dans les yeux de chacun brillait une convoitise implacable.
Rejoindre le Seigneur des Ténèbres, c’était enfin éradiquer cette faiblesse qui vérolait les sorciers.
C’était montrer sa puissance, et la puissance de son nom.
C’était s’assurer une place de choix dans le nouveau monde qui se préparait.
C’était défendre son honneur, et avec lui, défendre les valeurs auxquelles Regulus était attaché. Dans tous les sens du terme.
Il n’était pas puissant. Il n’était pas l’élément le plus intéressant de sa promotion. Et pourtant, pourtant, il savait. Ses recherches entraient désormais en scène. Et surtout, Regulus avait un nom de famille. Entaché, certes. Mais le nom des Black restait synonyme de pureté et de noblesse.
La fin de ses études célébrée, Regulus s’était rendu auprès du mage noir. Une légère sueur avait entaché le col de sa robe de sorcier. Il faisait un pari dangereux. Mais rien n’eût su l’arrêter.
Il se tenait donc là, agenouillé mais le regard droit, déterminé. L’homme qui se tenait en face de lui était âgé d’une cinquantaine d’années, peut-être plus. Il portait en lui quelque chose qui mettait Regulus mal à l’aise, bien plus qu’il ne l’avait jamais été, mais il ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qui lui donnait ce sentiment. Regulus haussa un peu plus la tête. Son regard, droit, filait à travers la salle pour se figer dans l’emblème de Serpentard qui lui faisait face. Un visage entra dans son angle de vue.
« Quel est ton nom, mon ami ? susurra une voix traînante.
Le Seigneur des Ténèbres avait ancré son regard dans celui de Regulus, dont la respiration s’accéléra brusquement. Un étau semblait s’être formé autour de son cou.
— Black, répondit-il d’une voix légèrement tremblante. Je me nomme Regulus Black. Je souhaite entrer à votre service.
— Vraiment ?
Un moment passa, puis Regulus ajouta :
— Ma famille et moi-même partageons les idéaux que vous défendez. C’est ce combat que je veux mener en personne.
— Et en quoi me seras-tu utile, mon jeune ami ? Quelles sont les qualités que tu mettras à mon service ?
— Je suis un chercheur. Je cherche de nouvelles branches à la magie. Je cherche les origines de la magie, comme elle est apparue chez nos ancêtres. Comment les moldus nous l’ont volée. »
Le Seigneur des Ténèbres laissa échapper un sifflement de contentement. Il s’éloigna un peu de Regulus, puis lui tendit la main. Regulus allait la saisir, lorsqu’il comprit les intentions de son nouveau maître. Il lui baisa, avec un léger recul, le bout des doigts. Le Seigneur des Ténèbres le remarqua et un fin sourire s’étira sur ses lèvres trop pâles. Le tableau de l’aristocrate orgueilleux à ses pieds n’était que trop parfait.
« Sers-moi bien, jeune Black. »
Regulus menait une vie des plus passionnantes. Flirtant sans cesse avec le danger, le caressant pour mieux le repousser par la suite, il s’enivrait de recherches qui le fascinaient au plus haut point. Jugé trop faible pour les combats les plus féroces que se livraient régulièrement Mangemorts et Aurors, Regulus était peu présent sur le terrain. En revanche, il se livrait aux expériences magiques où on lui avait trouvé une double utilité qui alliait son sang-froid et le savoir qu’il avait accumulé des années durant.
Ils étaient peu de chercheurs. D’aucuns auraient pu penser que cela rapprocherait les membres chargés de cette tâche, mais tout au contraire. Ils restaient tous des loups solitaires. Tout au plus échangeaient-ils quelques mots en se croisant ou pour les besoins d’une expérience à plusieurs, mais cela restait anecdotique.
Regulus était resté vivre chez ses parents, même s’il ne prenait pas le temps d’y passer un moment. Il ne respirait que par son travail, ses recherches. Son arrivée chez les Mangemorts lui avait permis d’obtenir des moyens de recherches dont il n’aurait jamais pu rêver au Ministère. Quelques moldus, deux sangs-de-bourbe et un cracmol lui avaient été fournis. Regulus les interrogeait longuement, les soumettait à des tests de son invention. On lui avait reproché à mi-mots d’être trop bon avec eux. De devenir un ami des moldus, en somme. Regulus avait sèchement répondu qu’il prenait soin de ses outils de travail et qu’il s’en débarrasserait le temps venu. Cependant, il avait pris soin de rajouter des hurlements de douleurs dans son protocole de test.
Il n’aimait pas torturer. Loin d’imiter sa cousine, Regulus ne s’y livrait que lorsque cela était nécessaire, lorsqu’on l’observait, mais jamais plus que besoin était et toujours avec rigueur et méthode.
Et plus ses recherches avançaient, plus il y était réticent.
Parfois, Regulus se demandait ce qui différait chez lui. Les autres n’avaient aucun problème à infliger des sévices à ceux à cause de qui ils devaient vivre cachés. Mais plus le temps passait, plus Regulus y était réticent. Ses longues discussions avec ses détenus lui avaient apporté une certaine sensibilité qu’il cachait parfois avec difficulté.
Décelant l’augmentation du doute chez son serviteur, le Seigneur des Ténèbres l’avait porté volontaire pour lui prêter son elfe de maison. La tête baissée, les lèvres sur les doigts de son maître, Regulus avait accepté.
Kreattur lui était revenu dans un état déplorable. Soucieux et alarmé à la fois par l’état de son elfe et l’avenir que son maître réservait au monde, Regulus avait longuement interrogé Kreattur. Quand il se fut assuré que l’elfe n’avait rien omis, il pansa ses plaies et s’enferma dans la bibliothèque familiale, ressassant sans répit les livres légués par ses ancêtres.
Il en était ressorti quelques semaines plus tard, le teint livide.
En quelques heures, il se rendit dans son laboratoire, où il exécuta méthodiquement ses anciens prisonniers, le regard peiné. Il valait mieux une mort douce et subite que plusieurs mois de torture supplémentaires.
Le visage fermé, il avait demandé à Kreattur de l’emmener en transplanage d’escorte dans le lieu où il s’était rendu avec Voldemort. Tous deux s’étaient traînés jusqu’à l’îlot où se trouvait le Horcruxe, guidés par les indications de l’elfe.
Regulus avait bu la potion.
Gorgée par gorgée, goutte par goutte.
Il s’était jeté sur le sol. Il avait supplié. Lamentablement.
Mais Kreattur, les yeux exorbités par la douleur, n’avait pas cédé.
Regulus avait bu. Il avait vu la douleur, ressenti ses regrets à un degré qu’il ne pensait pas atteignable.
Mais il avait bu.
Gorgée par gorgée, goutte par goutte.
Et la potion, enfin, était terminée. D’un geste désespéré, Regulus avait échangé les deux médaillons, avait confié l’authentique à Kreattur.
Il chassa l’elfe.
Les yeux pleins de larmes, Regulus avait rampé vers la rive du lac. Il pouvait sentir avec une précision infinie le relief de chaque pierre humide et tranchante qui constituaient l’îlot. Le souffle de l’eau salé affleurait à son nez. Sa respiration était haletante.
Mais, d’une certaine manière, il était serein. Ou, du moins, ce qui s’en rapprochait le plus.
Proche d’une mort certaine, Regulus se sentait plus vivant que jamais. Il contemplait avec éloignement déjà sa vie.
Sa vie où s’étaient succédés les échecs.
Sa vie où il n’avait pu se comprendre lui-même.
Sa vie où il avait erré dans l’ombre, en vain.
Cette vie, où il avait compris qu’il serait incapable de mener lui-même à bien la dernière mission qu’il s’était confié.
Regulus avait tendu les bras vers l’eau, frétillante. Il l’avait enlacée. Il avait senti la morsure glacée de l’eau sur son corps. Il s’était noyé dans ses bras, accueillant avec réconfort les lèvres de la Mort qui se pressaient sur les siennes dans une étreinte éperdue.
« Pardonnez-moi… »
FIN