Avril 1925
Marius n'aurait jamais dû naître. Voilà la pensée que cet enfant avait du haut de ses huit ans en ce fatidique jour de l'enterrement de son grand-père et ce dernier n'y était pas étranger. Marius aurait dû éprouver un soulagement de sa mort mais la « pomme qu'il avait dans la gorge » depuis plusieurs années était toujours là. Cette expression n'était pas de son fait mais sortait de l'imagination de sa grande soeur Cassiopeia car le garçonnet s'était un jour étouffé en mangeant une pomme et le jour où il avait avoué à sa soeur qu'il avait toujours la gorge nouée, elle lui avait rétorqué que la pomme était toujours coincée.
Assistant à la cérémonie assis entre Cassiopeia et sa petite soeur, Dorea, au milieu de « la noble et très ancienne famille » des Black, son malaise s'agrandissait de minute en minute, il essayait de ne pas pleurer mais cette tâche était difficile pour lui, sa grande soeur, ayant un sixième sens pour détecter les sentiments de son frère, discrètement, lui prit la main et la serra. Ce geste le toucha et lui donna la force pour rester impassible car un Black ne devait jamais montrer ses faiblesses et être toujours digne. Marius était parfois agacé d'être, sans cesse, réprimander, juger car ce qu'il faisait n'était jamais à la hauteur de sa famille.
Marius ne ressemblait pas aux autres membres de la famille Black. Tous les enfants avaient les cheveux noirs et les yeux gris de leur père ou mère et avaient une élégance innée, travaillée avec soin par leurs précepteurs ou leurs parents. Marius avait en effet hérité des yeux gris de son père mais la ressemblance s'arrêtait là, il avait plutôt hérité la chevelure blonde de sa mère, il était petit, assez maigre et n'avait pas hérité de la prestance des Black. Il faisait tâche au milieu des enfants Black. Il était assez maladroit et sensible, il se cognait souvent, ses jambes et ses bras arboraient des bleus de toutes les couleurs. Il était peu bavard et avait souvent un regard triste. Cette allure de garçon chétive enrageait son grand-père qui ne se privait pas de lui faire des reproches dès qu'il le voyait. Le garçon ne comprenait pas cet acharnement, il était né ainsi, si lui s'en contentait alors les autres devaient faire de même. Éviter son grand-père était devenu au fil des ans une habitude, ses reproches le blessaient à chaque fois. Il n'avait pas besoin des propos de son grand-père pour se sentir minable, sa mère lui jetait un regard noir les seules fois où il la voyait et son père lui jetait souvent un regard déçu.
Pourtant, il aurait tant aimé avoir l'affection de son grand-père, cet homme à l'allure austère, respecté par sa famille, celui qui était devenu directeur de l'école de sorcellerie, Poudlard. Il aurait apprécié avoir un sourire de sa part comme son frère et sa soeur mais ce jour n'était jamais arrivé et il n'arriverait plus. Marius jeta un regard noir au cercueil, ses yeux parcoururent la tente installée dans le jardin du 12, square Grimmaurd, où se tenait la cérémonie. Il ne voyait que des têtes brunes, quelques rares têtes blondes. Personne ne pleurait et le silence n'était brisé que par la voix de son oncle, Sirius, qui vantait les qualités de Phineas Nigellus Black.
Du haut de ses huit ans, Marius était suffisamment intelligent pour savoir que beaucoup de mensonges parsemaient le discours de son oncle. Son grand-père n'avait jamais été une personne tolérante, il tolérait à peine l'existence des né-moldus, un comble pour un directeur de Poudlard. Sirius se disait chanceux d'avoir eu un père ayant le sens de la famille. Marius arqua un sourcil à cette mention. Quel père dénigrait son fils pour éprouver de la sympathie pour les non Sang-Pur? Marius connaissait la raison, un Black ne devait pas défendre les né-moldus, cela déshonorait la famille. Marius avait connaissance de ce secret car l'année dernière, lors d'une énième dispute entre ses parents, sa mère avait lâché que Cygnus Black n'avait qu'à se terrer avec Phineus, l'adorateur des né-moldus dans son coin perdu au fond du Suffolk. Ne comprenant pas cette phrase, Marius s'était précipité vers sa grande soeur, pour plus d'explications. Marius pouvait aller voir sa soeur pour tout et n'importe quoi, il ne se sentait jamais juger.
Cassiopeia adorait son frère, elle ne pouvait s'empêcher de le protéger et le consolait quand les adultes et les autres étaient trop vifs dans leurs reproches. Même les enfants, à l'instar, de leurs parents, s'en prenaient à lui, se moquaient de lui et affirmaient parfois qu'il était un bâtard. Cela ne pouvait être vrai, Violetta Black, née Bulstrode, reprochait trop souvent à son époux d'avoir eu des enfants et les yeux gris de Marius démontraient son appartenance à la famille des Black.
Sans sa soeur, Marius aurait été très malheureux dans cette maison froide et sans affection.
Marius poussa un très léger soupir, Dorea le regarda, de ses grands yeux gris aux longs cils, interrogateur. Sa soeur avait une ouïe surdéveloppée! Il la rassura d'un sourire, alors à son tour, elle lui sourit et se tourna de nouveau vers le maître de cérémonie. Marius se demandait à quoi pouvait penser sa soeur pour être aussi sage, sûrement à son livre d'images représentant des fleurs. Dorea avait une affinité avec les fleurs. À l'âge de cinq ans, elle avait fait sa première démonstration de magie, alors qu'une rose dont elle avait pris soin menaçait de faner, la fillette avait attrapé de sa main droite la rose et quand elle l'avait relâchée, la rose arborait de beaux pétales roses. Cette réussite avait fait le tour de la maison Black, chacun, soulagé, de ne pas la savoir Cracmol. Marius était content pour sa soeur mais cette réussite n'avait fait que renforcer la déception que ses parents avaient à son égard. Marius n'avait toujours pas fait démonstration de magie alors qu'à son âge, les enfants Black l'avaient tous fait. Cet échec cuisant ne cessait de s'imposer dans son esprit. Était-il Cracmol? Marius, de nouveau, contempla la salle, il se sentait différent d'eux, il savait qu'il n'était pas comme eux. Était-ce donc cela sa différence? Marius s'empêcha de sursauter lorsqu'il sentit la main de Dorea, le serrer. Elle lui jeta un sourire compatissant. Ce sourire étonna Marius. Avait-elle lu dans ses pensées? Dorea ne pouvait pas être legilimens!
-Arrête de bouger tes pieds, lui souffla t-elle.
Marius fut rassuré. Quand il était soucieux, il avait cette manie de bouger ses pieds, et Dorea le savait. Il était réellement soulagé. Il ne fallait surtout pas être différent dans cette famille, de quelque manière que ce soit. Toujours rentrer dans le moule.
Soudain, les adultes se levèrent et Marius ne vit plus rien de la cérémonie, il s'en fichait. Son grand-père était enterré, il ne ressentait rien alors ne plus voir la cérémonie l'indifférait. Cygnus autorisa ses enfants à aller jouer avec leurs cousins, les enfants en profitèrent, Marius attrapa la main tendue de Dorea, prêt à suivre sa soeur dans ses histoires délirantes de dragon qu'elle affectionnait.
Juillet 1927
Cassiopeia était allée à une réception pompeuse quelconque. Depuis que Cassiopeia étudiait à Poudlard, Marius avait peu vu sa soeur, cette dernière était sans cesse balloter de réception en réception ou invitée à prendre le thé chez une Sang-Pur. Sa grande soeur lui manquait affreusement surtout que Pollux s'était mis lui aussi à le regarder avec une once de déception comme leur père alors que son frère n'était pas dans une position irréprochable non plus, il voulait le soutien de Cassiopeia, sa « Cassio ». Elle était son refuge mais elle s'éloignait de lui, contre son gré, évidemment. Ce détail l'aidait à ne pas en vouloir à sa soeur.
Dorea était adorable à son égard, elle adorait les lectures du soir avec son frère. Elle raffolait des contes de Beedle le Barde si bien que l'ouvrage était abîmé à force d'être lu. La petite apprenait à lire mais elle préférait la voix chaude et douce de son frère. Autre fait qui ne manquait pas d'agacer son père était le manque d'autorité dans sa voix, aucun homme de sa famille n'avait cette voix douce. Marius se dit qu'il la tenait sûrement de la famille de sa mère et peut-être même de sa mère mais cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas entendu la voix de sa mère, sobre. Violetta Black continuait de se réfugier dans l'alcool, elle restait digne lors des repas de famille, elle se taisait, les yeux vitreux mais elle gardait la tenue des aristocrates.
Marius ne reprochait pas à sa mère son alcoolisme mais son manque d'affection. Perdu dans ses réflexions, il avait fini par comprendre que l'alcoolisme de sa mère était devenu son refuge dans une vie qui ne lui plaisait pas, et dans laquelle elle était coincée. Plutôt que d'aider sa femme à lutter contre son alcoolisme, son père ne faisait que l'y enfoncer. Pour certaines personnes, la noble famille Black, si fière, si élégante, si respectée, était en réalité toxique. Il le voyait régulièrement dans les yeux de sa mère, dans l'insolence de Cassiopeia, dans l'adoration de Callidora pour la nourriture, dans les yeux tristes de Hester Gamp. Chacun avait trouvé un refuge, sain ou non. Si son refuge s'éloignait, Marius s'était tourné vers la nourriture mais d'une autre manière que Callidora, il n'aimait pas forcément manger mais il adorait cuisiner.
Dès que ses parents avaient le dos tourné et que Dorea ne se préoccupait pas de lui, il allait dans les cuisines, auprès des elfes. Depuis plusieurs années, la cuisine l'attirait, il savait qu'il gênait les elfes au début mais ces derniers s'y étaient habitués et quand Marius le leur ordonnait, les elfes lui apprenaient même quelques astuces et le laisser faire. C'était leur secret. Marius savait comment manipuler les elfes et ne culpabilisait pas d'utiliser son statut dans la maison pour obtenir ce qu'il voulait. Cassiopeia lui avait dit un jour qu'en continuant ainsi, il avait sa place à Serpentard. Hélas, sa magie ne se manifestait toujours pas et Marius commençait à s'habituer à l'idée d'être un Cracmol. Évidemment, il ne s'était pas confié à son père à ce sujet, ni même à sa soeur. Sa soeur était protectrice envers lui mais il avait peur de son éloignement définitif si jamais il l'était. Un Cracmol dans la famille Black était impossible, indigne d'eux et Cassiopeia avait été élevé pour être une fierté des Black alors Marius était indécis à ce sujet.
Se détournerait-elle de lui s'il s'avérait qu'il était Cracmol? L'avenir le dirait.
En attendant, il passait son temps entre les cours avec son précepteur, la cuisine et de la bonne humeur de Dorea. Marius détestait les cours d'éducation, encore une fois, les adultes lui reprochaient sa maladresse, son manque d'élégance et sa sensibilité. Une fois même, un de ses professeurs avait dit à son père qu'il était un « empoté dont il ne savait que faire ». Il avait l'air d'un incapable surtout en comparaison de sa soeur qui apprenait vite les leçons et dansait avec tellement de grâce. Sans cesse écrasé par le lourd héritage de son nom, Marius était en effet un empoté mais il ne le faisait pas exprès, il voulait vraiment être la fierté de son père mais rien n'y faisait alors ses parents l'avaient encore délaissé pour s'occuper cette fois-ci de Dorea, si douée, si élégante, si pleine de grâce.
-Marius, veux-tu venir avec moi cueillir des fleurs dans le jardin? demanda Dorea de sa voix enjouée.
-Non, je suis occupé.
En réalité, Marius n'était pas occupé, il se morfondait dans ses idées noires, sur son lit.
-Mariuuuuuuuus, insista t-elle. Viiiiiens! Sans toi, ce n'est pas drôle! Allez, allez, viens!
Marius sourit en imaginant la tête de leurs parents s'ils savaient à quel point leur parfaite Dorea pouvait se montrer capricieuse.
-Je viens, capitula t-il comme toujours.
-Youhou! s'exclama la fillette, dans une petite danse ridicule.
Marius ricana mais ne gronda pas sa soeur. Il la laissait faire tout ce qu'elle voulait en sa présence, elle pouvait danser n'importe comment, s'enthousiasmer, s'énerver, oublier toute bienséance, il ne la sermonnait jamais. Si elle avait fait cela devant leur grand frère Pollux, il l'aurait dénoncée à leur père. Cassiopeia, quant à elle, le lui aurait reproché son manque de tenue. Il ne pouvait laisser sa famille briser l'étincelle dans les yeux de Dorea. Marius se demandait souvent comment Dorea pouvait être si joyeuse avec des parents comme les leurs, peut-être qu'enfant, Violetta Bulstrode avait le même caractère que Dorea.
Marius suivit Dorea dans les couloirs de leur manoir, cette dernière ouvrit sans délicatesse la porte menant au jardin. Elle analysa le jardin et se dirigea vers le parterre de coquelicots, elle en coupa plusieurs tiges, et les mit dans les bras de Marius sans un mot. Dorea profitait aisément de l'indulgence de Marius. En regardant les différentes fleurs dans ses bras, Marius se dit qu'il était dommage de couper des fleurs, alors qu'elles paraissaient si belles dans la terre.
-Dorea, que faites-vous par terre? Vous salissez votre robe! s'indigna une voix derrière eux.
Dorea et Marius se retournèrent et vit leur grand-mère, le visage courroucé. Marius se mordit la lèvre, il n'était pas préconisé d'énerver Ursula Black, née Flint.
-Nous ramassions des fleurs, dit Dorea, avec un sourire.
-Laissez cela aux elfes! Une jeune fille bien élevée ne doit pas s'agenouiller dans la terre. Et vous, Marius, êtes-vous donc trop sot pour empêcher votre soeur de se consacrer à des vétilles? Je savais qu'il était impossible d'obtenir quoique ce soit d'un Cracmol! Vivement que cette tache disparaisse!
-Marius n'est pas une tache, s'indigna Dorea qui avait compris l'allusion. Grand-mère, je vous prie d'accepter mes excuses, Marius n'a rien à se reprocher.
-Dorea, ne défendez pas votre frère et ne me répondez pas! Ce manque de respect sera rapporté à votre père. Dorea, allez vous changer!
Sur ces paroles, Ursula Black rentra dans la maison, indifférente aux larmes de Dorea qui menaçaient de couler.
-Je suis désolée, Marius!
-Ne le sois pas, petite soeur! Je trouve, au contraire, qu'elle a été plus sympathique que d'habitude. Elle doit être fatiguée de digérer après avoir mangé l'équivalent du poids d'un hypogriffe.
Dorer pouffa de rire, Marius sourit, content d'avoir amusé sa soeur. Leur grand-mère adorait manger, sûrement un gêne dont avait hérité leur cousine Callidora mais chose surprenante, Ursula Black ne grossissait pas, se chuchotait dans la famille qu'elle abusait d'une potion amaigrissante ou s'appliquait un sortilège de magie noire. Les enfants n'étaient pas sensés être au courant et pourtant, il était difficile de cacher quoique ce soit car les petites têtes brunes ou blondes Black adoraient laisser traîner leurs oreilles un peu partout.
Dorea obéit à leur grand-mère et partit se changer. Marius ne comprit pas pourquoi tant de tracas au sujet d'une robe qui n'était pas salie, les bras chargés de fleurs, il se rendit dans sa chambre, installa les fleurs dans un pot, alla chercher de l'eau, discrètement, dans la salle de bain et contempla les fleurs, un sourire mélancolique aux lèvres.