Le procès d’Hermione Granger
« C’est cette semaine ton procès ? m’a demandé Ron lundi, pendant que nous déjeunions.
— C’est pas un procès, lui ai-je répété pour au moins la quinzième fois, par automatisme. Mais oui, c’est cette semaine. »
Aujourd’hui, mercredi, est donc le troisième jour de mon procès-qui-n’est-pas-un-procès. Voyez-vous, Kingsley Shacklebolt compte prendre sa retraite cette année ou l’année prochaine, et il voudrait que je prenne sa place comme ministre de la Magie. Moi, Hermione Granger, née-Moldue. Je n’en reviens pas.
Mais il ne voulait pas que la sélection du plus haut poste gouvernemental du Royaume-Uni sorcier se fasse comme avant, derrière des portes closes, faite par une poignée de sorciers hauts placés et imposée ainsi à la population. Il voulait que cette population connaisse et approuve de son – ou sa – ministre.
« Les gens ont le droit de savoir qui les gouverne », disait-il.
Alors il avait proposé d’ouvrir une semaine de témoignages sur leur candidat. Des citoyens ayant côtoyé et connu le potentiel ministre, qui avaient quelque chose à dire à son sujet – en bien ou en mal – se manifestaient auprès du comité de sélection. Les Aurors faisaient une enquête rapide, s’assurant que le témoin était bien celui qu’il disait être, avant de l’inviter à partager son avis avec le grand public.
Je m’étais volontiers prêtée au jeu. « Qui pourrait avoir quoi que ce soit de mal à dire sur toi ? » me répondaient tous ceux à qui j’en parlais. Ils voyaient déjà en moi la prochaine ministre de la Magie. Je balayais chaque fois leur confiance du revers de la main, répondant qu’on ne pouvait jamais savoir ce qui nous attendait, mais je dois avouer que je pensais comme eux. Je n’étais peut-être pas parfaite, mais j’étais aussi parfaite qu’on pouvait s’attendre de moi.
Je ne voyais ces témoignages comme rien de plus qu’une formalité. Des gens comme Aberforth Dumbledore, Neville Londubat, même Viktor Krum, s’étaient succédé les deux premières journées pour parler de moi en termes élogieux.
C’est donc le cœur léger qu’à neuf heures moins le quart, je sors de mon bureau et descends de trois étages vers le département de la justice magique. En me dirigeant vers la salle 4A7, j’adresse quelques saluts de la main à des avocats que je croise, tout en me demandant qui je verrai aujourd’hui. Un elfe de maison, peut-être, ou un centaure. On n’a encore vu personne que j’ai aidé pendant ma décennie passée au département de contrôle et de régulation des créatures magiques.
Dobby me manque cruellement.
Avant d’entrer dans la salle, je sens un regard me peser sur le dos. Je me retourne et, après quelques secondes, croise le regard fermé d’une femme assise un peu plus loin, son sac à main sur les genoux. Elle a une cinquantaine d’années, porte des vêtements propres, mais bon marché, et ses cheveux blonds sont striés de gris. Son visage lisse et ordinaire ne me dit rien ; elle n’est sans doute pas là pour moi. Je lui souris poliment, mais elle ne bronche pas, ses yeux restant fixés sur les miens jusqu’à ce que je me détourne, légèrement mal à l’aise, et entre dans la salle 4A7.
Un chatouillement me caresse l’arrière du cou, comme si je venais de traverser un voile invisible. Et, en quelque sorte, c’est ce que je viens de faire ; depuis notre incursion sous Polynectar, à Harry, Ron et moi il y a plus de vingt ans, le ministère a cru bon d’augmenter ses mesures de sécurité dans l’immeuble. Ils ont muni toutes les portes des salles publiques de sortilèges anti-magie, destinés à annuler toutes les mesures artificielles de camouflage et de truquage.
Au moins ils ont réussi sans douche froide, contrairement à Gringotts.
Quelques têtes se lèvent à mon arrivée, m’accueillent avec un sourire. Des membres du Magenmagot, d’autres employés curieux qui n’ont rien de mieux à faire. Une demi-douzaine de journalistes sont alignés contre le mur du fond, ceux qui feront le lien entre ces procédures et le public ; je reconnais un correspondant de la Gazette du sorcier, une du Chicaneur. Kingsley lui-même est assis au centre de la première rangée de sièges, en grande discussion avec Daniella Goshawk, la juge responsable des séances.
J’occupe les quelques minutes qu’il me reste en me servant une tasse de café, pendant que quelques derniers observateurs entrent et s’installent sur les dernières chaises libres. Je m’assieds à ma table, face à celle, libre, où s’installeront les témoins du jour. Finalement, à neuf heures pile, madame Goshawk se lève et s’installe derrière son podium.
— Nous sommes le mercredi 14 novembre 2029, commence-t-elle. Bienvenue au troisième jour de témoignages sur la personne d’Hermione Jean Granger, actuellement directrice du département de la coopération magique internationale, candidate au poste de ministre de la Magie.
Elle se tourne pour s’adresser à la petite trentaine de sorciers assis derrière elle.
— Je vous rappelle les règlements de la séance. Vous ne ferez aucun bruit, vous ne poserez aucune question, ni à madame Granger ni au témoin. Cela vaut pour les journalistes aussi !
De légers rires parcourent l’assemblée quand un jeune journaliste, envoyé par Sorcière Hebdo, rougit jusqu’à la pointe des cheveux ; lors du témoignage de Fleur Delacour, la veille, il n’a pu s’empêcher de lui crier une demande en mariage.
C’est dans cette atmosphère légère que madame Goshawk invite le premier témoin à entrer. Je tourne le visage vers la porte ouverte, le sourire aux lèvres, et suis étonnée de voir approcher la dame que j’ai remarquée plus tôt. Elle passe par l’embrasure de la porte ensorcelée et je vois la palpitation translucide qui signifie qu’un sortilège a été annulé. Le changement est à peine perceptible, mais la peau lisse et douce de la dame se marque de traces rouges, de vieilles cicatrices adolescentes. Mais c’est sa posture, plus que ses marques, qui me laissent deviner son identité. Les épaules rentrées, les bras croisés, les yeux baissés, comme si elle voulait être invisible. Je sens mon visage se vider de son sang.
Marietta Edgecombe.
Elle prend place face à moi, pose son sac à main à côté de sa chaise et croise les mains devant elle, le tout sans croiser mon regard, sans même tourner la tête vers moi. Je sens un malaise curieux traverser l’assemblée. Tous sentent la froideur qui se répand dans la salle, la tension qui émane de cette témoin. Personne ne la reconnaît, ne l’a vue dans les nombreux, nombreux livres, journaux et reportages qui ont raconté tous les aspects de la vie des héros de la dernière guerre. Alors qui est-elle ?
C’est à madame Goshawk de régler la question. Elle se racle la gorge, enfile ses lunettes pour lire le papier sur son bureau, et demande :
— Votre nom, s’il vous plaît
— Marietta Elinor Edgecombe.
— Votre relation avec Hermione Jean Granger ?
— J’ai été dans l’Armée de Dumbledore avec elle en 1995.
Quelques murmures traversent la salle. Je vois des hochements de tête. Ils ne reconnaissent pas Marietta Edgecombe, mais l’AD, ils savent ce que c’est. Ils ont entendu toutes les histoires sur ce groupe de jeunes combattants héroïques, sur le magnifique professeur Potter, sur ses loyaux assistants Weasley et Granger. Ils croient savoir sur quoi portera le témoignage de cette inconnue, qu’elle n’ajoutera que de l’admiration à ce qu’ils ont déjà pour moi.
Je déglutis. Ils ne savent pas encore ce qui les attend.
Sans attendre la prochaine question, Marietta lève la tête et ajoute d’une voix forte :
— C’est elle qui m’a donné ces cicatrices.
Les murmures sont coupés en plein vol et un silence de plomb tombe sur l’assemblée. Après un instant, madame Goshawk prend la parole, la voix hésitante :
— Pouvez-vous… élaborer ?
— J’ai rejoint l’AD, pendant ma sixième année, seulement pour faire plaisir à ma meilleure amie Cho Chang. Elle avait le béguin pour Potter, et ne voulait pas y aller seule, alors je me suis rendue avec elle à cette première réunion, même si je n’en voyais pas encore trop l’utilité, et j’ai signé mon nom sur le parchemin qui listait les inscrits. Ce maudit parchemin qu’elle avait ensorcelé sans nous le dire.
Là, pour la première fois depuis qu’elle est entrée, Marietta se tourne vers moi et me fixe d’un regard dur. Cette histoire, à laquelle je n’avais plus pensé depuis des années, me revient tout d’un coup. J’étais tellement fière de ce maléfice, de ce qu’il pourrait faire. Je n’avais même pas pensé à avertir les signataires ; je croyais naïvement que personne ne nous trahirait, qu’il ne serait jamais activé. Je l’avais traité comme un devoir, un problème abstrait à résoudre, quelque chose qui n’aurait pas de conséquences dans le monde réel.
— Au printemps, continue-t-elle, j’ai révélé l’existence du club à la professeure Ombrage. Je n’en suis pas fière, mais il semblait que toutes les semaines on contrevenait à un nouveau règlement, et personne ne semblait s’en faire. On se rassemblait alors qu’on n’avait pas le droit, quand on ne le devait pas et où on ne le devait pas non plus. On ne nous avait pas permis d’apprendre ce que nous apprenions. Alors un jour j’en pouvais plus de la pression, de l’inquiétude de nous faire découvrir, des conséquences que ça aurait sur moi, sur Cho, sur ma mère qui travaillait au ministère… alors j’ai parlé.
Elle pose une main sur sa joue.
— Et le maléfice de Granger s’est activé. D’énormes pustules sont apparues sur mon visage. Sur mes joues, mes pommettes, mon nez. Pas moyen de les cacher. J’avais le mot « cafard » imprimé sur la peau. Comme si les gens pourraient oublier ce que j’avais fait… Ils m’ont tous rendu la vie dure pendant le reste de ma scolarité, et je n’ai jamais eu de remède pour me débarrasser de ces marques.
Je baisse les yeux, rouge comme une pivoine. Si elle n’a jamais eu de remède, c’est parce que je n’en ai jamais créé. Je croyais que le maléfice n’allait jamais être activé. J’ai bien commencé à tenter de créer un contre-sort, mais les événements de la fin de cette année-là me l’ont fait sortir de la tête. J’ai repris le projet en début de sixième année, après avoir croisé Marietta dans le train, mais j’ai vite été débordée par d’autres préoccupations. Je l’ai oubliée.
— J’ai beaucoup hésité à venir aujourd’hui.
Maintenant qu’elle est lancée, Marietta ne s’arrête plus. Sa voix a pris de l’assurance, je sens tout l’auditoire pendu à ses lèvres. Personne ne parle, on n’entend que les plumes des journalistes qui grattent frénétiquement leurs parchemins. Préparant des articles qui me peindront d’une toute nouvelle couleur, plus sombre que d’habitude. Moins angélique. Moins hermionesque.
Je n’en mérite pas moins.
— À Poudlard, avant l’AD, je voulais être professeure d’arithmancie. Je voulais travailler avec des gens, je me sentais bien quand j’étais en public, quand je parlais à des groupes. Mais, comme vous voyez, mes cicatrices n’ont jamais disparu. Pendant des années, même si les pustules n’étaient plus aussi prononcées, on lisait encore aisément ce mot sur mon visage. Cafard.
Elle passe à nouveau une main sur sa joue, sur laquelle on devine les silhouettes rosées d’un R et d’un D.
— Elle avait bien fait son coup, Granger. Aucun maquillage, ni moldu ni sorcier, ne tenait plus sur ma peau. Aucun des sortilèges que je connaissais ne pouvait y faire quoi que ce soit. Tout, absolument tout, était repoussé par ces pustules magiques. Elles voulaient être vues.
J’ai envie de cacher mon propre visage dans mes mains. Comment ai-je pu être aussi fière d’avoir inventé quelque chose de si affreux ?
— Cho a bien essayé de m’encourager à devenir professeure quand même, mais je me souvenais de ce qu’on faisait subir au professeur Rogue pour son nez crochu, à Trelawney pour ses immenses lunettes. C’est cruel, les enfants. Alors j’ai décidé de vivre ma vie cachée. Je faisais ce que je pouvais, les contrats qui me permettaient de travailler chez moi, loin d’yeux moqueurs. Un jour, j’ai découvert un sortilège qui me permettait de masquer mes cicatrices pendant presque douze heures d’affilée, mais il était trop tard pour que je poursuive la carrière de mes rêves.
Marietta se tourne à nouveau vers moi.
— Alors ce n’est pas une exagération quand je dis que ma vie a changé. Par la faute de Granger.
Elle refait alors face à l’assemblée devant elle.
— Mais ce n’est même pas le pire que j’ai subi cette journée-là.
Les yeux s’écarquillent, les sourcils se haussent, les mâchoires tombent. Qu’est-ce qui pourrait être pire que ce que cette femme a déjà raconté ?
Moi-même, je me tourne vers elle, surprise. Y a-t-il quelque chose que je ne sais pas ? Harry m’a raconté les événements qui ont suivi la découverte de l’AD dans le bureau de Dumbledore, mais… m’a-t-il tout dit ? Soudain, en regardant le visage marqué de Marietta, j’en doute.
— J’étais allée tout dire à la professeure Ombrage, continue Marietta d’une voix de plus en plus forte et posée. Quand les pustules sont apparues, j’ai eu peur. Et honte. Je ne voulais plus parler, plus rien dire. À personne. Je voulais me cacher, disparaître. Mais la professeure m’a traînée jusqu’au bureau du professeur Dumbledore, et m’a obligée à tout répéter devant la foule qu’il y avait là. Des professeurs, des Aurors, même le ministre de la Magie lui-même…
Elle jette un rapide coup d’œil vers Kingsley.
— L’ancien, Cornelius Fudge, mais aussi celui qui nous gouvernerait après la guerre.
À mon tour, je regarde le ministre, et le vois se croiser les jambes sur sa chaise, baisser les yeux. Comme s’il était inconfortable. Je fronce les sourcils. Ce que Marietta est en train de nous dire, que Dolores Ombrage était une horrible femme, on le sait tous depuis longtemps, ce n’est une surprise pour personne.
Et encore, elle continue.
— À un moment, elle m’a posé une question, mais… tout était vide. Je me sentais bouger, hocher la tête, j’entendais des voix autour de moi, mais c’était comme si elles venaient de très loin. Je ne contrôlais plus mon propre corps.
Quelques murmures quand les gens dans l’auditoire reconnaissent ce qu’elle est en train de décrire.
— J’ai mis plus d’un an à réaliser qu’on m’avait lancé un Impérium, ce jour-là. Quelqu’un dans le bureau du directeur m’a mis sous Impardonnable, pour protéger Potter. Je n’ai jamais su qui avait lancé le sortilège, mais dans le fond, qu’est-ce que ça change ? Je l’ai reçu. On a violé mon esprit, dans un endroit qui était censé me protéger, après que j’ai été cicatrisée à vie par la personne que tous protégeaient à tout prix.
Je sens les larmes me monter aux yeux, mais ne fais rien pour les arrêter. C’est fou ce qu’on peut oublier quand on le veut. Je m’en suis voulu pour ce maléfice pendant longtemps, mais visiblement pas assez pour le mal qu’il a causé.
— Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai décidé de raconter tout ça aujourd’hui.
Marietta a baissé la tête. Ses yeux sont rivés sur la table devant elle et ses cheveux masquent son visage de ma vue. Sa voix est maintenant à peine plus forte qu’un murmure, mais on aurait pu entendre une mouche voler dans la salle d’audience. Tout le monde, moi la première, est pendu à ses lèvres.
— Depuis que je suis toute petite, on ne connaît de nos ministres que ce qu’ils veulent qu’on sache d’eux. Par conséquent, on en attend parfois trop d’eux. Ils veulent qu’on les croie invincibles, alors on les croit invincibles, et quand ils sont vaincus, on se sent trahis. On l’a vu avec Bagnold, Fudge, Scrimgeour, on le voit avec Shacklebolt… Je ne veux pas qu’on le voie avec Granger.
Pour une dernière fois, elle me fait face, et une ombre de sourire touche ses lèvres quand elle voit mon visage maculé de larmes.
— Est-ce que je vous raconte tout ça pour ne pas qu’elle soit élue ? Non, absolument pas. Au contraire. Ces marques sur mon visage montrent que même à quinze ans, elle était brillante – même si j’aurais apprécié qu’elle pousse sa brillance jusqu’à les faire disparaître aussi. Le monde sorcier britannique serait chanceux de l’avoir à sa tête.
Elle s’empare de son sac à main, se lève, mais reste derrière la table.
— Quand le ministère a ouvert ces audiences, je me suis dit, voilà l’occasion. Pas celle de demander les excuses de Granger, ni de lui exiger un remède. Il est trop tard pour ça. Non, l’occasion de faire voir notre prochaine ministre de la Magie comme la sorcière qu’elle est. Avec ses défauts, ses erreurs, ses regrets. Son humanité.
Dans le silence de plomb de la salle, Marietta passe son sac à son épaule.
— Merci de m’avoir écoutée.
Puis elle sort.
Pendant plusieurs longues secondes, rien ne bouge, pas même les plumes des journalistes. Tout semble figé, choqué par les mots de Marietta.
Je suis la première à reprendre ma conscience de ce qui vient de se passer. J’essuie d’un geste brusque mes joues mouillées en me levant si vite que ma chaise bascule dans un vacarme épouvantable derrière moi. Mais je ne prends pas le temps de la remettre à sa place et me précipite vers la porte en appelant :
— Marietta, attends !
Mais quand j’arrive dans le couloir, celui-ci est vide. Marietta a déjà disparu. Je ne peux pas lui dire ce que je voudrais lui dire. Je ne peux pas m’excuser.
Je ne peux pas la remercier.
*
Bien sûr, les journaux du lendemain ont l’effet d’une bombe. Une histoire sordide de cruauté par la rutilante Hermione Jean Granger, héroïne de guerre et porte-parole de tous les êtres opprimés, vous imaginez ? Toute ma famille l’apprend, avec plus ou moins de surprise, de choc, de honte, de fureur. Rose refuse de m’adresser la parole pendant près de trois mois après avoir lu l’article du Chicaneur.
« Comment osais-tu me punir quand je ne pensais pas aux conséquences de mes actions ? »
Les derniers jours d’audience se déroulent à guichets fermés. Le nombre de journalistes présents a doublé, triplé – l’histoire s’est même retrouvée à l’étranger et des correspondants étrangers s’ajoutent à ceux anglais. Tous attendent que le témoignage de Marietta fasse sortir de l’ombre d’autres histoires sombres sur mon passé, d’autres cruautés que j’aurais cachées ou oubliées.
Mais à leur grande déception – et mon soulagement –, l’épisode de ce mercredi ne se répète pas. Même le vieux Kreattur, qui marche avec une canne maintenant, n’a que des choses élogieuses à dire sur moi. D’un ton grognon, certes, mais au contenu adorable.
Le soir des dernières audiences, je me plonge dans mes boîtes de notes de cours, que j’ai toujours refusé de jeter malgré les supplications de Ron. Au bout de trois heures à fouiller dans mes notes de cinquième année – les plans pour l’AD entre les parchemins sur les guerres de géants, les listes de vivres à envoyer à Sirius sous les devoirs de potions – je trouve enfin ce que je cherchais. Mes notes sur la création de ce maléfice, le maléfice du cafard, que je l’avais intitulé.
J’ai appris hier qu’une entreprise cosmétique sorcière de Londres s’est consacrée au problème de Marietta, tentant de confectionner un onguent, une potion, qui lui rendrait une peau lisse. Je rédige rapidement une lettre expliquant que ces papiers expliquent le maléfice dont elle est victime, les encourageant à s’en servir pour trouver une solution, les priant de transmettre mes regrets sincères et profonds à Marietta.
Elle-même ne m’a jamais contactée, mais l’entreprise cosmétique m’a récrit un peu avant Noël, me disant que, grâce à mes notes, ils ont réussi à créer un onguent qui, si Marietta l’utilisait quotidiennement pendant trois mois, effacerait jusqu’à la dernière trace du mot qui la défigurait.
Cette nouvelle me fait immensément plaisir, mais me donne aussi un peu la nausée. Trois mois. Quelques mois, c’est tout ce que ça prend pour régler un problème que j’ai causé, qui a duré plus que vingt ans.
Finalement, après un vote presque unanime, je deviens ministre de la Magie au début janvier 2030. Je demande à mes assistants d’inviter Marietta Edgecombe à mon inauguration, mais elle ne répond pas, ne vient pas non plus. En fait, je n’entends plus jamais parler d’elle, je ne saurai jamais ce qu’il est advenu d’elle.
Mais je n’oublierai jamais la leçon qu’elle m’a apprise ce jour-là. Les actions ont des conséquences qu’on ne peut pas toujours imaginer. Il ne faut jamais faire quelque chose qu’on pourrait, éventuellement, regretter.
Ce sont des leçons auxquelles je pense tous les jours quand je prends des décisions ministérielles, et je crois qu’elles me rendent une meilleure ministre.
J’espère que Marietta, où qu’elle soit, sait combien je lui suis reconnaissante.