Illustration faite par mes soins
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Un délicat fumet sucré, parsemé de notes fumées et boisées venait chatouiller les narines de Hermione alors qu’elle sortait doucement du sommeil sans rêve dans lequel elle avait sombré après la soirée de la veille et sa discussion avec Cédric. Des chuchotements parvenaient à ses oreilles, étouffés en partie par des bruits de mastication enthousiastes. La jeune-fille ouvrit un œil, distinguant sans peine le sapin chichement décoré de la Salle de travail des préfets, et se retourna en soupirant, se heurtant soudainement à quelque chose de chaud et mouvant. Elle se colla contre Cédric et ce dernier réprima un gloussement.
« C’est ma jambe, ça, Hermione. »
La Gryffondor ouvrit les yeux en grand et se détacha de son petit-ami comme s’il s’était soudainement métamorphosé en magma. Non loin d’eux, Maisie et Charlie esquissèrent un rictus moqueur. Hermione rougit. Il ne fallait définitivement plus qu’elle dorme contre le Poufsouffle, l’un d’entre eux finissant toujours par se retrouver dans une position ou à adopter une attitude fort embarrassante. Frottant mécaniquement ses yeux tout en dégageant ses boucles traîtresses derrière ses oreilles, Hermione se redressa et avisa plus finement l’origine de l’odeur qui l’avait arrachée aux bras de Morphée. Sur les genoux de Charlie, se trouvait un plat rempli de scones aux pépites de chocolat que le jeune-homme tartinait généreusement de marmelade avant de les engloutir en quelques bouchées.
« Salut ! s’exclama-t-il en captant son regard, ma mère nous a envoyé cela ce matin et Percy a fait un crochet par les cuisines pour nous ramener toutes sortes de confitures. Sers-toi, si tu as faim ! »
Les yeux de la jeune-fille papillonnèrent, elle ne parvenait toujours pas à visualiser Percy Weasley en tant que personne susceptible de lui apporter des croissants au lit. Et pourtant, au vu de la garnison de pots de formes diverses sur la grande table, elle devait se rendre à l’évidence : de nombreux mystères trottaient encore autour des membres de la famille de Ron. Cédric, guidé par les gargouillements de son estomac et les injonctions impérieuses de Maisie, mit beaucoup moins de temps qu’elle avant de se lever afin de s’attaquer au festin, il semblait d’excellente humeur et le sourire sur le visage de la préfète-en-chef, ainsi que celui se dessinant également sur le sien, n’y étaient certainement pas étrangers.
« Nymphadora et Rolf sont déjà repartis ? questionna Cédric en trempant sa cuillère dans une compotée de framboises. Je n’entends plus les ronflements de notre métamorphomage préférée.
- Il y a quelques heures déjà, répondit Charlie en dérobant à Maisie une bouchée de scone. Tu sais comment est Andromeda Tonks avec sa fille, toujours à s’inquiéter. Je ne dis pas qu’elle a tort, Dora est un danger public et Rolf n’est guère mieux, mais elle examine toujours sous les moindres coutures ces deux-là, pour vérifier qu’ils n’ont pas perdu un bras ou une jambe sans l’en avertir, lors d’une de leurs aventures respectives. Mais après tout ce n’est qu’une mise en jambe pour le repas chez les Dragonneau. Porpentina fait subir un véritable interrogatoire à Rolf, convaincue qu’il oublie parfois de se nourrir et de dormir tant il est absorbé par son travail. Ce qui est vrai, bien entendu. Ensuite, il faut survivre au tête-à-tête entre Norbert et Thésée, qui se révèle souvent bien plus périlleux que de soigner une carie chez un dragon. Mais tout cela n’est rien à côté de ce que ma propre mère me réserve...
- Tu dramatises, soupira Maisie. »
Hermione déglutit cependant, Mrs Weasley avait l’air d’être une personne tout à fait charmante, mais également parfois aussi excessive que Maisie lorsqu’elle évaluait les quantités de biscuits à préparer.
« Ce n’est pas toi qui subis cette humiliation, répliqua Charlie, l’air grave.
- Elle te coupe juste les cheveux. Et je t’ai toujours vu les faire repousser dans l’instant. »
La Gryffondor en lâcha sa tartine.
« Tu vois, Maiz’ ! Même Hermione s’offusque devant tant de barbarie capillaire. »
Cédric pouffa et Maisie leva les yeux au ciel tout en servant un chocolat chaud à la troisième année qui peinait, en réalité, à émerger totalement du sommeil. Elle avait l’impression de ne pas avoir aussi bien dormi depuis des lustres. Avec plus d’efforts que ceux qu’elle fournissait pour survivre aux cours de divination, Hermione se redressa en posant sa tête sur sa paume, appuyant son coude contre la table à quelques millimètres d’une assiette de biscuits qui ne dut sa survie qu’à l’intervention rapide de Cédric qui la décala d’un coup de baguette. Hermione lui adressa un regard mi gêné, mi reconnaissant qui fit sourire Maisie et Charlie, à présent assis l’un contre l’autre.
« Quel est le programme ? finit-elle par questionner les trois plus âgés.
- Je comptais commencer à ranger, répondit Cédric. Je ne pense pas en avoir pour très longtemps et je me disais qu’ainsi, tu pourrais retourner dans ton dortoir chercher quelques affaires de cours. »
Hermione hocha la tête, il était particulièrement vrai que son devoir de métamorphose n’allait pas se rédiger par enchantement.
« Je dois ramener Ginny chez mes parents, indiqua Charlie en posant sa tasse de café. Et je me disais qu’Ellie et toi pourriez peut-être vous joindre à nous ce midi ? ajouta-t-il en donnant un léger coup de coude à sa petite-amie. »
Maisie semblait dubitative et cessa un instant de jouer avec les doigts du dragonologiste, noués autour des siens.
« Je suis certain que ma mère serait ravie de vous avoir. Elle a l’air de plutôt bien t’apprécier, ce qui est à mi-chemin entre un miracle et malédiction. Un miracle car elle attache une attention toute particulière au choix de nos petites-amies et une malédiction car une fois que tu es tombée dans le filet Weasley, tu ne peux en réchapper. Peut-être même auras-tu un pull de Noël. »
Hermione en aurait presque tremblé. Mais elle devinait également que ce n’était certainement pas le caractère de Mrs Weasley qui rendait Maisie aussi muette qu’une carpe.
« C’est gentil, finit-elle par murmurer sur un ton grave, mais il y a une chose que je dois faire aujourd’hui, et je dois le faire seule, et à Poudlard. Je suis désolée, insista-t-elle en pressant la main de Charlie. Mais emmène Ellie, cela lui changera les idées.
- Comme tu veux, répondit Charlie en haussant les épaules. Mais si tu changes d’avis, n’hésite pas à demander à Dumbledore de te laisser utiliser sa cheminée, je pense qu’il ne s’y opposera pas.
- Merci, souffla-t-elle en lui adressant un regard soulagé. »
Pour toute réponse, Charlie embrassa la jeune-fille sur la tempe, faisant détourner le regard à Hermione, gênée. Cédric, lui, se contenta de rosir tout en jetant son dévolu sur ses tartines.
« De toute façon, je reviendrais te chercher demain, pour aller chez toi, prendre des affaires. »
Maisie hocha la tête et Hermione vit très distinctement l’ombre du chagrin passer sur son visage à l’instant où elle songea à sa maison. Charlie sembla s’en rendre compte car il afficha un air désolé et se répandit en excuses. La Poufsouffle balbutia quelque chose que la troisième année ne saisit pas et l’instant suivant, le futur dragonologiste l’enfouissait dans ses bras, son épaule accueillant son visage. Hermione ne mit pas très longtemps à comprendre qu’elle sanglotait et faisait tout pour le cacher, mais ses épaules tremblantes la trahissaient. Son regard croisa celui du frère de Ron, et sans un mot de plus, elle attrapa la main de Cédric pour le traîner vers la porte.
« Je déteste la voir comme ça, commenta Cédric en s’adossant contre un mur. Mais d’un autre côté, je suis content qu’elle “ouvre les vannes” avec Charlie. Cela l’angoissait beaucoup que sa magie soit incontrôlable à cause de ses émotions, si elle “lâche du lest”, cela devrait être moins pénible de ce côté-là. »
Hermione opina, tout en jetant de petits coups d’œil dans le couloir, elle ne tenait pas particulièrement à ce que Ron et Harry les voient, Cédric et elle, en pyjama, espérant que sa nuit hors du dortoir passerait inaperçue. Elle ne souhaitait pas qu’ils s’imaginent des choses et que toute la tour de Gryffondor l’apprenne, les rumeurs allaient toujours bon train une fois lancées, et elle détestait les ragots.
Heureusement, le couloir était désert et froid, soufflé par les courants d’air. Pas l’ombre d’une âme ne se profilait à l’horizon et les habitants des tableaux semblaient tous encore endormis. Hermione n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait bien être et se questionna sur le temps dont elle disposerait ce jour pour avancer ses devoirs. Elle avait pris du retard, et même si cela était pour la bonne cause, elle se sentait coupable et anxieuse, comme si elle risquait de décevoir la Terre entière en étant imparfaite. Pourtant, ses parents, même s’ils étaient ravis que leur fille soit si brillante, ne lui avaient jamais imposé la réussite, Hermione avait toujours, d’elle-même, travaillé bien plus que la majorité des enfants de son âge. Ce fait s’était singulièrement accentué lorsqu’elle avait rejoint Poudlard, de peur d’avoir trop de lacunes en magie, elle avait œuvré nuit et jour pour combler son retard. Et à présent qu’elle était bien au-dessus du lot de ses camarades, elle ne pouvait se résoudre à se relâcher. Souvent, elle s’épanouissait dans le travail, mais bien des fois, elle s’y sentait également aspirée et prisonnière.
Le claquement de ses propres dents la sortit de ses réflexions, il faisait beaucoup trop froid et elle sentait à peine ses pieds, nus, sur les dalles de pierre composant le sol. Un bras entoura ses épaules et une douce chaleur l’envahit. Cédric s’était rapproché et l’avait enlacée. Devant eux, flottait un petit morceau de parchemin flamboyant, un sort qu’elle avait déjà vu le préfet utiliser quelques fois pour se réchauffer, elle se sentait de nouveau bien.
« Rejoins ton dortoir, murmura Cédric qui avait collé sa tête contre la sienne, prépara tes affaires, et va travailler un peu. Je sais que cela t’angoisse, et je le comprends.
- Non, répondit fermement Hermione.
- Non ? s’étonna-t-il.
- Mes devoirs n’ont pas besoin de moi maintenant, alors que Maisie, si. Alors, je reste. »
Le visage de Cédric se para d’une rougeur singulière, si lumineuse qu’il semblait irradier. Hermione lui lança un regard circonspect et il lui vola un baiser, la surprenant. Elle porta mécaniquement sa main à ses lèvres et le Poufsouffle raffermit son étreinte, dans son regard brillait la même émotion que dans celui de Charlie lorsqu’il posait les yeux sur Maisie. Et même si Hermione se refusait de mettre un mot sur ce qu’elle percevait, elle ne pouvait ignorer le sentiment de légèreté qui l’envahissait du bout des pieds jusqu’à la racine des cheveux. Elle aurait pu quitter le sol, et ce, sans balai.
Elle ne comprenait pas réellement ce qui l’avait poussé à un tel élan d’affection, elle n’avait fait que dire ce qu’elle ressentait et souhaitait au plus profond d’elle. C’était une chose qu’elle n’aurait jamais pensé dire un jour, et pourtant, elle l’avait pensée si fort : « Les humains, avant les bouquins » c’était si impensable, mais petit-à-petit l’idée faisait son chemin dans son esprit. Peut-être passait-elle à côté de bien des choses à ne voir le monde que couché sur le papier.
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