Bien sûr qu'un jour s'en va pour l'un et pour l'autre s'en vient
Bien sûr les étoiles se meurent quand le ciel s'éteint
Fou de rage, Sirius jeta ses vêtements en vrac, dans la malle ouverte sur son lit. C’en était trop. Impossible de rester une heure de plus dans cette maison de fous. Au rez-de-chaussée, la voix de sa génitrice continuait de crier des insanités à son encontre. Longtemps, il avait supporté la déception de ses parents. Oh, avec le temps, il s’en était même délecté. Mais aujourd’hui, il avait atteint ses limites. Repoussant une mèche de cheveux d’une main fébrile, il saisit tout ce dont il aurait un jour besoin. La malle s’alourdissait à vue d’oeil, mais il n’en avait cure. Il n’était pas question d’oublier quoique ce soit, car il ne remettrait jamais les pieds ici. Jamais. Enfin, il referma d’un coup sec l’imposant bagage, et le jeta au sol, sans se préoccuper du bruit sourd qu’il provoqua.
« SIRIUS ! » La voix stridente se rapprochait. « Cesse de te cacher, immédiatement ! Jusqu’au bout, tu as décidé de déshonorer ta famille ! Oh, mes pauvres aïeux, s’ils te voyaient aujourd’hui… »
Le jeune homme ferma les yeux et serra les dents. Il avait décidé qu’elle n’existait plus. Pas après l’énième discussion qu’ils venaient d’avoir. Ses mains tremblèrent à nouveau à cette pensée. Soufflant un bon coup, il écouta les pas de Walburga Black qui se rapprochaient.
« Sirius Black ! » Elle s’arrêta devant la porte. Il devina qu’elle tentait de jeter des sorts sur le verrou afin de forcer l’entrée. « Sirius ! Sors immédiatement ! Nous n’en avons pas terminé ! »
Le Gryffondor embrassa la pièce du regard. La nostalgie étreignit son coeur alors qu’il avisait les posters moldus et les photos, suspendus au mur, masquant presque entièrement l’hideuse tapisserie. Il regretta un instant de ne pas pouvoir tout emmener avec lui, mais trop tard : il avait utilisé de la Glu Perpétuelle. Il haussa les épaules, un sourire amer sur les lèvres. Cela aurait au moins le mérite d’énerver ses parents, ce qui était parfait. A moins de brûler la maison, ils ne pourraient pas se débarrasser de ses traces si facilement.
« Espèce de lâche, sors d’ici immédiatement ! »
Ignorant le sang qui bouillonnait dans ses veines, il ensorcela sa malle et ouvrit grand la porte. La matriarche recula, stupéfaite. La colère avait teinté ses joues pâles et ses yeux noirs le poignardaient du regard. Sans un mot, Sirius quitta sa chambre à grands pas et s’engagea dans les escaliers à la suite de son bagage, sa baguette fermement ancrée dans sa main.
« Où crois-tu aller comme ça, vaurien ? Je te répète que nous n’en avons pas terminé ! »
Sirius aurait pu jurer que ses hurlements faisaient vibrer le bois des marches d’escalier, autant qu’ils meurtrissaient ses tympans. Il s’arrêta soudain, se tourna vers elle et, d’une voix basse et menaçante, articula :
« Oh que si, nous en avons terminé. Une bonne fois pour toutes. »
Sans attendre sa réponse, il dévala les escaliers de la maison, sans se préoccuper du bruit qu’il causait ainsi. Derrière lui, Walburga ne répondit pas immédiatement, stupéfaite par le ton employé par Sirius. Cela lui donna quelques secondes de répit pendant lesquelles il rejoignit le hall d’entrée à grand fracas.
« SIRIUS BLACK ! Ne t’avise pas de quitter cette maison ! »
Seul le claquement de la porte d’entrée lui répondit.
C'est notre amour qui n'aura jamais de lendemain
Mon frère
Regulus attendit patiemment dans le salon, situé au premier étage, que sa mère se calme. Il avait appris depuis longtemps que dans ces moments-là, il ne servait à rien de vouloir la raisonner. Posté devant une fenêtre donnant sur la rue, il contempla la silhouette de Sirius qui disparut rapidement au coin du square. Derrière sa façade indifférente, un certain nombre d’émotions violentes se bousculaient en lui. Il peinait à les identifier. Pas une seule fois, Sirius ne se retourna vers la maison. Pas une seule fois, il ne se retourna vers lui.
Ignorant la crampe qui lui grignotait l’estomac, il entendit finalement les pas de sa mère descendre lentement l’escalier. Prudemment, il attendit que la porte de la chambre parentale claque avant de se faufiler au dernier étage. La petite plaque au nom de Sirius accrocha son regard et ses poings se serrèrent convulsivement.
Sale traître.
Son départ n’avait toujours été qu’une question de temps. Et il avait entendu les derniers mots de son frère. Une bonne fois pour toutes. Bon débarras. Il avait fini par choisir son camp, pour de bon. Les hurlements de Mrs Black résonnèrent à nouveau, cette fois dans le salon. Regulus soupira. Super. Sa mère allait encore être d’une humeur massacrante pour un bout de temps… Il entra dans son espace soigneusement rangé et se laissa tomber sur le lit.
« Vous vous rendez compte, Orion ? Il a choisi de faire allégeance à ces traîtres à leur sang et ces Sang-de-Bourbe. Oh mes pauvres aïeux, il brise notre coeur… »
La réponse de Mr Black resta inaudible. Contrairement à sa femme, il ne haussait jamais le ton. Même avec Sirius. Surtout avec Sirius. Il avait renoncé depuis longtemps à le remettre dans le droit chemin, et n’opposait à son frère qu’une froide indifférence.
« Je suis d’accord. » Regulus haussa un sourcil à la réponse de Walburga. Cela arrivait rarement que sa mère et son père aient le même avis. « Il ne fait plus partie de la famille ! »
Un léger bruit d’explosion parvint jusqu’à sa chambre. Regulus soupira. Mrs Black avait sans doute brisé un vase ou il ne savait quel objet pour extérioriser sa rage.
« Kreattur ! », appela-t-il. Il savait déjà que la famille ne se réunirait pas pour le dîner. C’était le cas chaque fois que Sirius provoquait leurs parents, c’est-à-dire très souvent.
L’elfe de maison apparut devant lui et s’inclina profondément. Un léger sourire flottait sur ses lèvres. Il n’avait jamais aimé Sirius, qui le lui rendait bien.
« Oui, Maître Regulus ?
— Monte-moi le dîner ce soir. Je crois que c’est plus prudent que nous mangions chacun de notre côté », lui dit-il avec un sourire de connivence.
L’elfe s’inclina et disparut aussitôt. Quelque part dans la maison, il entendait sa mère maudire son aîné et se lamenter à grands cris.
Bien plus qu'un monde qui s'ouvre à l'un et pour l'autre chavire
Bien plus qu'une mer qui supplie quand la source est tarie
Lorsque Sirius arriva chez James Potter, il fulminait toujours de rage. La longue marche, traînant sa lourde valise, ne l’avait pas calmé, pas plus que le trajet en Magicobus. Son meilleur ami ne prononça pas un seul mot et lui indiqua l’étage. Il était bien trop énervé pour le remercier ou l’enlacer. Dans les escaliers, il ne prit même pas la peine de soulever sa malle avec délicatesse, la faisant tambouriner contre les marches. Toujours aveuglé par la colère, il ouvrit la porte de la chambre d’amis à grand fracas et y abandonna son bagage, avant de se laisser tomber sur le lit.
Sa première pensée fut pour Regulus. Il avait quitté la maison familiale sans un mot pour son frère. Il balaya la culpabilité en se persuadant que, de toute façon, son cadet le haïssait. Il avait toujours mangé dans la main de leurs parents, adhérant sans réserve à leurs vues étroites et puritaines. James apparut dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Oui, c’était lui son frère. Depuis leur arrivée à Poudlard, Sirius et James étaient comme deux doigts de la main, unis par un amour bien plus puissant que celui qui liait les membres de la famille Black.
« Que s’est-il passé, Patmol ?
— J’en ai eu marre, c’est tout. »
Il rit, sans joie, et contempla les tentures rouges du lit à baldaquins. Il avait toujours aimé la chambre d’amis des Potter. Elle était chaleureuse, bien plus que n’importe quelle pièce de la maison du square Grimmaurd.
« Je n’en pouvais plus, j’étouffais… Les hurlements de ma mère, le silence de mon père… Je n’y retournerai plus jamais.
— Et Regulus ?
— Quoi Regulus ? », riposta-t-il d’une voix dure.
James comprit le message et se tut.
« Tu seras toujours le bienvenu ici, tu le sais. Viens, on va voler un peu. Tu me lanceras des pommes, ça te défoulera. »
Sirius acquiesça. Plus il se calmait, plus l’image de son frère se dessinait dans son esprit. Il avait beau se convaincre que Regulus le détestait, qu’il serait ravi de son départ, au fond de lui, il savait qu’il serait blessé. Dans leur enfance, il était aussi calme que Sirius était indomptable, aussi réfléchi que l’aîné était impulsif. Combien de fois l’avait-il protégé de l’ire de leurs parents ? Non. Il ne devait pas prendre cette voie. La culpabilité n’avait pas sa place dans son esprit. Il avait eu raison de partir. Son frère était chéri par leurs parents, il ne lui arriverait rien. Regulus avait choisi la voie de la facilité, de la lâcheté. Et lui, Sirius, n’y pouvait rien.
« J’arrive. »
C'est tout notre amour qui s'éloigne des rives et se perd
Mon frère
La nuit était tombée depuis deux bonnes heures lorsque la porte de la chambre de Regulus grinça légèrement. Précautionneux, celui-ci descendit les marches d’un pas souple, peu désireux de réveiller Orion et Walburga Black. Il avait besoin d’air. Pour une raison inconnue, il ne parvenait pas à trouver le sommeil. D’abord, il avait tenté de se plonger dans un ouvrage, mais il était devenu rapidement clair que La Pureté à travers les Âges ne parviendrait pas à le distraire. Puis, il avait décidé de nettoyer son balai de Quidditch, ce qui n’eut pas l’effet escompté non plus. Seule la crainte de réveiller ses parents l’avait dissuadé de lancer le nécessaire de nettoyage contre le mur. Et pourquoi l’aurait-il fait ? Regulus ne le savait pas vraiment.
Et pourquoi le saurait-il ? Il avait toujours été si calme, si raisonnable et si silencieux. Contrairement à Sirius, il n’avait jamais ressenti le besoin de hurler et de briser des choses. Son frère ressemblait tant à leur mère sur ce point… Et pourtant, ce soir-là, une douleur non identifiée lui prenait les tripes et il ne parvenait pas à s’en débarrasser. L’émotion sourde l’empêchait de se reposer, de se distraire. Il lui semblait entendre, encore et toujours, les derniers mots de Sirius.
« Oh que si, nous en avons terminé. Une bonne fois pour toutes. »
Où était-il à présent ? Certainement chez Potter. Depuis qu’il l’avait rencontré à Poudlard, ils étaient devenus inséparables. Aux yeux de Sirius, Regulus avaient cessé d’exister. A cette pensée, il fit une pause sur le palier du premier étage, le coeur lourd. Un rayon de lune illuminait la grande tapisserie des Black, leur arbre généalogique. Une légère odeur de brûlé s’échappait de la pièce. Intrigué, le jeune homme franchit le seuil du salon et se figea aussitôt.
Là, à côté de son propre portrait, un trou noir laissait encore dégager une légère fumée. Sirius avait disparu.
Ainsi, c’était vrai. Il était parti, pour de bon.
Sa réaction aurait dû être l’indifférence. C’était logique. Depuis des années, Sirius clamait ses envies de départ et provoquait leurs parents par tous les moyens. Alors, à quoi s’attendait-il ? Mais ce petit trou dans la tapisserie déclencha autre chose en lui.
Mû par un instinct irrépressible, Regulus tourna les talons et grimpa à nouveau les escaliers. Cette fois, il n’eut cure des grincements de protestation émis par les marches à son passage. Aveuglé par la colère, il remonta vers son étage et franchit la porte de l’antre de Sirius. Nargué par les posters immobiles de jeunes filles dénudées et par les photos animées d’étudiants de Gryffondor souriants, le dernier des Black se laissa tomber à genoux au sol, les poings tremblants.
Le sale traître.
Jamais Regulus n’avait haï quelqu’un auparavant. Non, la haine était pour les faibles d’esprit. Et pourtant, elle lui brûlait les veines à présent. Seule une vie de self-control l’empêcha de détruire la chambre de son frère. Seule une unique larme roula le long de sa joue et alla s’écraser au sol.