Elle se regarde dans le miroir, et elle voudrait s’arracher la peau. Cette peau si pâle, d’un blanc si pur, elle voudrait la prendre à pleines mains, la tirer avec ses ongles, et puis la lacérer, la décoller de ses os, en faire des lambeaux. Ses pommettes, ces pommettes hautes et sculptées, ce nez droit, la courbe parfaite de ces lèvres, ces yeux, ces yeux exorbités ourlés de longs cils qui se reflètent avec horreur dans le miroir… elle voudrait tout découper. Se défigurer, repeindre cette œuvre d’art, ce visage parfait, cette immonde beauté. Tout repeindre de sang. S’en barbouiller.
Elle entend des pas derrière elle et elle sait qu’il est là, mais elle n’a pas la force de se retourner. Elle tremble si fort et ses mains qui s’accrochent au lavabo ont les jointures blanchies sous l’effort. Si elle fait un geste, elle s’écroulera. Elle glissera sur le carrelage, ses bras à lui la rattraperont, et elle fondra en sanglots hystériques.
Elle est folle. Tarée, folle à lier, à enfermer. C’est une malédiction, dans la famille. Elle ne peut pas y échapper. Elle s’est enfuie, mais elle est marquée. Ça grésille comme une marque au fer rouge sur sa chair, ça sent le brûlé. C’est plus fort que tout, plus fort que l’amour inconditionnel de Ted, plus fort que ses bras autour d’elle, plus fort que ses étreintes qui chassent pourtant les ténèbres. Ça coule dans son sang comme un poison indélébile. Elle est des leurs.
Ce visage que Ted adore embrasser, qu’il redessine patiemment des heures durant, elle le hait.
Elle hait cette beauté qui se transmet de générations en générations, ce visage qui porte sur lui les traits de sa mère, de son père, et surtout ce visage qui ressemble tellement au visage de la folie, au visage de son ainée, au visage de Bellatrix.
Elle le hait parce que cette beauté héréditaire c’est la beauté des monstres. Une beauté qui donne la nausée. Et elle donnerait tout pour ne plus leur ressembler, pour ne plus lui ressembler.
Elle se regarde et ce n’est plus elle, c’est sa mère à la moue sévère, c’est le rictus de son père, c’est les cils de Narcissa, c’est les traits tordus de Bella. Elle lui ressemble tellement qu’on les confond. Soudain devant elle, c’est Bellatrix, son tic de la mâchoire, ses paupières lourdes, son sourire dément. Bellatrix rit.
Andromeda hurle.
Sans sentir ce qu’elle fait, elle se griffe désespérément, mais Bellatrix continue de la regarder, continue de rire, continue de dire qu’elle ne peut pas s’échapper. Elle ne pourra jamais. Elle ne pourra jamais oublier, jamais avoir la paix. Pas tant qu’il y aura des miroirs. Alors sa magie explose, et, suivant l’ordre qu’elle hurle, sa peau change. Les muscles bougent, les traits fondent et se réorganisent, Andromeda force tout son visage à s’effacer. Elle gomme la beauté Black, elle se fait blonde, rousse, brune, elle déforme son nez, ses joues, ses lèvres. Elle devient milles inconnues qui lui sont plus familières qu’elle-même. Milles visages rêvés, milles identités, milles filles de papier.
Tout s’entrechoque en elle, tout cogne, les larmes brouillent sa vue. Les bras de Ted l’enserrent, il la colle contre son torse, et elle reste là, enfouie dans cette étreinte rassurante, pendant des minutes qui semblent être des siècles. Il lui soulève doucement le menton et la force à le regarder.
- Andromeda, souffle-t-il, Andy… Ne te regarde pas à travers leurs yeux.
Elle s’abandonne. Elle laisse son don se retirer, sa peau à elle revenir, ses traits se redessiner.
Quand elle se regarde de nouveau dans le miroir, elle ne voit qu’un visage défait, maculé de larmes, les lèvres tremblantes et les cheveux collés aux tempes. L’illusion est dissipée. Elle touche son reflet du bout des doigts, elle regarde cette fille aux airs de fantôme, mais elle ne s’écroule pas, parce qu’il y a Ted et ses bras. Elle se regarde, elle se regarde jusqu’à ce que ses yeux se floutent à cause du sel qui colle ses cils, et elle arrête de trembler.
Alors toutes les voix qui hurlent dans son crâne, les voix qui hurlent qu’elle est laide, qu’elle est folle, qu’elle est un monstre et qu’elle mérite la mort, les voix se taisent parce que finalement, l’amour de Ted est le plus fort.