C'est l'été, et Sirius est allongé sur son lit et s'ennuie ferme. Il déteste les vacances. Ils n'ont jamais rien le droit de faire. Enfin, si. Mais pas des trucs qui l'intéressent. Alors, Sirius prend une balle et la fait rebondir sur son plafond et son mur. Ca fait tap-tap, tap-tap, tap-tap. De l'autre côté du pallier, il entend Regulus souffler bruyamment. Alors, un sourire se dessine sur ses lèvres et il continue.
Tap-tap, tap-tap, tap-tap.
Leurs parents sont chez Lucius Malefoy qui a demandé Narcissa en mariage. Toute la famille est en effervescence pour que le mariage se fasse vite, et surtout pour que la bonne société sorcière parle plus de cette alliance que de la fuite d'Andromeda il y a quelques mois.
Tap-tap, tap-tap, tap-tap.
Leur mère a effacé le nom d'Andromeda de la tapisserie, et cela a amené tellement de questions à Sirius. Regulus n'en a pas posé parce que c'est trop un bébé. Sirius a demandé pourquoi ce n'était pas bien qu'Andromeda soit amoureuse d'un Né-Moldu, parce qu'il a entendu ça dans les conversations des grands. Et sa mère était en colère qu'il pose la question, oh, tellement en colère ! Il a eu droit à un sermon sur leur devise, Toujours Pur, et sur la Noble et Très Ancienne Famille des Black. Elle l'a ensuite traîné dans la bibliothèque, et Regulus aussi, même s'il n'avait rien fait, et elle leur a fait réciter le nom de ceux dont on ne doit pas prononcer le nom, ceux qui ont leur nom enlevé de la tapisserie. Brûlé. Réduit en cendres. Oublié et balayé sous le tapis. La honte des Black.
Tap-tap, tap-tap, tap-tap.
Iola Black s'est enfuie pour épouser un Moldu.
Phineas Black, renié par les siens pour supporter les Moldus.
Marius Black, un Cracmole. La honte de ses parents.
Cedrella Black, qui a épousé un Weasley, un traître-à-son-sang.
Et maintenant Andromeda, qui a épousé un sorcier Né-Moldu.
Des hontes ôtées de l'arbre généalogique, brûlures sur la tapisserie. Des hontes que l'on doit taire et pourtant que l'on montre. Des hontes répétées, gravées au fer rouge dans la fierté de la famille, pour que rien de cela ne se reproduise.
Sirius aime bien Andromeda, elle est gentille. Pas comme Bellatrix qui porte une colère en elle. Pas comme Narcissa qui est une pimbêche.
Tap-tap, tap-tap, tap-tap.
Sirius n'aime pas Rodolphus, le mari de Bellatrix. Il a une colère semblable à Bellatrix, et Sirius s'en méfie, tout comme il se méfie de Rabastan qui regarde son grand-frère avec cette espèce d'admiration qui le gêne.
Et puis Lucius Malefoy, il l'aime pas non plus.
De toute façon, ils parlent tous de la même chose, et c'est barbant.
Tap-tap, tap-tap, tap-tap.
Sirius récupère la balle entre ses mains habiles, et saute de son lit qu'il a froissé. Il passe une main dans ses cheveux trop longs, sa mère a beau les lui couper, ils poussent trop vite et cachent ses yeux, alors que ceux de Regulus sont toujours impeccables.
« Regulus, je m'ennuie, viens jouer avec moi dans le jardin ! »
Traînant des pieds, et faisant rebondir la balle sur le plancher, Sirius crie. Sirius ne sait pas parler, il crie. Il ne sait pas marcher, il regimbe ou court. Il ne sait pas s'assoir, il se vautre. Sa mère le lui reproche tout le temps, et elle ne reproche jamais tout ça à Regulus.
Parce que Regulus est toujours sage et il fait toujours ce qu'on lui dit. Il est barbant aussi.
Sirius met un coup de pied dans la porte de la chambre de Regulus qui est assis sur son fauteuil, un épais livre sur les genoux.
« Allez, Reg, j'ai envie de jouer dehors, viens, il fait beau ! »
Regulus secoue la tête, et ses cheveux reviennent à leur exacte place.
« Maman m'a dit de lire ce chapitre, elle va me demander ce soir ce que j'ai compris. »
Sirius trépigne, râle, souffle.
« Mais il fait beau, allez, viens, juste quelques minutes, Kreattur ne dira rien. »
« Kreattur dit toujours tout à maman... »
Sirius fait rebondir plusieurs fois la balle sur le sol dans un boucan assourdissant alors qu'ils entendent tout en bas Kreattur qui est en train de faire à manger dans un grand renfort de bruits de casseroles et de vaisselle, tout en chantonnant. Les Maîtres auront faim à leur retour.
« Et si Kreattur ne dit pas toujours tout, c'est toi qui le fais. »
Sirius souffle, gonflant ses joues de frustration et expulsant longuement toute cette énergie qui déborde constamment chez lui. Faisant toujours rebondir la balle, ce qui agace Regulus, il se dirige vers la fenêtre et regarde avidement derrière les rideaux, la rue animée. C'est l'été, des familles de moldus se promènent, et Sirius repère un groupe d'enfants qui a un ballon. Ils doivent avoir leur âge.
« Allez, viens, Regulus, on va jouer dehors, il fait beau. Si on ne dit rien et que Kreattur ne nous voit pas, mère n'en saura rien. »
Regulus continue de l'ignorer en lisant avec application son chapitre.
« T'es vraiment nul. Je vais y aller tout seul. »
Et Sirius quitte la chambre de Regulus qui se sent abandonné, referme soigneusement son livre, et court derrière son grand frère. Ils descendent les escaliers à toute vitesse et le plus silencieusement possible, mais le cœur de Regulus manque un battement quand il voit Sirius ouvrir la porte d'entrée et sortir. Il l'arrête quand il est au portail.
« Non, mais on ne va pas aller dans la rue, maman sera furieuse. »
Sirius range sa balle dans sa poche, jette un œil à leurs vêtements puis les compare à la manière dont sont habillés les Moldus, puis hausse les épaules. Pantalons à pince et chaussures vernies, chemise blanche et gilet noir. Les enfants sont habillés en short et en baskets, avec des tee-shirts de toutes les couleurs.
« Ce qu'elle ignore ne va pas la contrarier. »
Alors, il ouvre le portail et sort, et Regulus reste là, perdu du haut de ses huit ans, ne voulant pas que Sirius le laisse seul, et ne voulant pas sortir. Mais sur une impulsion, il suit son frère, et chuchote.
« Mais comment on fait si on fait de la magie devant eux ? »
Sirius pouffe.
« On n'en fera pas, c'est tout... »
Et Sirius se met à courir sur le trottoir pour rattraper le groupe d'enfants, Regulus peinant à courir aussi vite.
« Hey, les gars ! On peut jouer avec vous ? »
Le groupe d'enfants se retourne d'un même élan. Ils sont cinq. Le plus grand a peut-être douze ans, et il y a une fille avec eux, qui doit avoir l'âge de Sirius.
« Je m'appelle Sirius, et c'est mon petit frère Regulus ».
Le bras de Sirius vient envelopper les épaules de Regulus qui n'en mène pas large, muet comme une tombe. Le grand s'avance et serre la main de Sirius.
« Moi c'est Gerald, elle c'est Chelsea, ma petite sœur, et Matt, mon petit frère. Victor et Martin sont nos voisins. On va au parc au bout de la rue jouer au foot, vous venez ? »
Sirius sourit, l'air sûr de lui, alors que Regulus se tourne et regarde l'endroit entre le 11 et le 13 Square Grimmaurd, mais leur maison a disparu, et Regulus se sent complètement perdu, même s'il est avec son frère.
« Mais vous êtes à quelle école, à Berkley ? »
Sirius secoue la tête, pensant qu'un demi-mensonge n'est pas loin de la vérité.
« Non, on fait l'école à la maison. Bon, on y va dans ce parc ? »
Et Regulus se perd dans le poids rassurant du bras de son frère qui repose sur ses épaules.
Ils passent l'après-midi à jouer au foot. Malgré leur grande maladresse du début, les deux frères se débrouillent plutôt bien. La petite taille de Regulus qui est presque le plus jeune du groupe, et sa rapidité, font qu'ils lui passent facilement le ballon pour qu'il mette un but. Devant la ligne tracée dans la poussière et les deux vestes posées au sol se tient Chelsea, grande, blonde et solide, la peau tannée par le soleil. Regulus a peur de lui faire mal en envoyant le ballon trop fort, mais quand il se reçoit la balle en plein visage, et que cela lui fend la lèvre qui se met à saigner, il porte sa main à sa bouche, les yeux agrandis par la surprise et la douleur. Sirius est tout de suite près de son frère à s'assurer qu'il va bien.
« Allez, Reggie, enlève ta main, je vais regarder. »
Regulus enlève sa main qui est pleine de sang, et Sirius l'essuie avec un pan de sa chemise.
« Ma dent... »
« Ben oui, elle est tombée. Elle bougeait, non ? La fée des dents va passer ce soir... »
Sirius sourit, et Regulus aussi, la bouche en sang dans laquelle il manque une dent.
Regulus commence à s'inquiéter quand il voit le ciel s'assombrir. Il doit être super tard !
« Sirius, ils sont rentrés tu crois ? »
Sirius blêmit, juste un instant. Il est bien, là, à jouer au foot avec les copains. Et Regulus est fort, il court vite et il a mis trois buts, même si c'était contre une fille. Les gilets sont par terre dans la poussière, et Sirius a enlevé sa chemise, le dos doré par le soleil, la peau luisante de sueur.
« Hé, quelqu'un a l'heure ? »
Chealsea, mâchant un chewing-gum, regarde sa montre qui est en forme de souris noire aux grandes oreilles. Elle fait une bulle et la fait éclater, avant de la gober.
« Cinq heures trente-cinq. Nos parents nous ont dit de rentrer avant six heures, et vous ? »
Regulus s'approche de Sirius et lui tire le bras, le regard suppliant. Il court depuis des heures dans la poussière du parc, et sa chemise est à peine froissée. Sirius esquisse un sourire résigné. Il n'aime pas quand ça s'arrête. S'amuser, ça devrait durer toujours.
« Faut qu'on y aille, on reviendra. »
Regulus secoue la tête, pétrifié. Sirius dégage son bras de la prise de Regulus, et va ramasser leurs gilets qu'il secoue avant de tendre le sien à son petit frère. Les enfants restent plantés là. Et la question fuse.
« Vous êtes à un mariage ? »
Sirius se tourne, interloqué.
« T'es pas habillé pour faire du sport. »
Sirius sourit, alors que Regulus enfile son gilet et regarde vers la rue d'un air franchement affolé.
« Oui, c'était le mariage de notre cousine, mais c'était barbant, alors on est venu faire un foot, mais là faut qu'on y retourne. »
Sirius met son bras autour des épaules de Regulus et fait un signe de tête en guise d'au revoir au groupe d'enfants. Il a hâte d'être à Poudlard pour avoir de vrais copains, pas comme son petit frère qui est trop un bébé obéissant, et pas comme ces Moldus qu'il ne reverra probablement jamais. D'une bourrade, il rapproche la tête de Regulus de lui.
« Alors, tu t'es amusé, au moins ? C'est mieux le foot que lire La Pureté du Sang Expliquée aux Enfants, non ? »
Sirius sourit quand il sent Regulus se retenir de rire. Mais de sa voix grave, il prévient.
« Par contre, pas un mot à Kreattur ou aux parents. Sinon, on n'a pas fini d'en attendre parler, d'accord ? En plus, je suis sûr qu'à cette heure-là ils sont pas rentrés. Donc, ce qu'ils ne savent pas ne peut pas les contrarier. »
Il raffermit sa prise autour de Regulus.
« Et s'ils l'apprennent, Kreattur sera puni alors qu'il n'y est pour rien, Reggie. »
Ils avancent dans la rue, laissant passer les moldus qu'ils croisent, puis s'arrêtent entre le numéro 11 et le numéro 13 du Square Grimmaurd, attendant que leur maison se fasse une place entre les deux maisons moldues. Sirius n'aime pas sa maison. Elle est sombre, elle est moche. Il n'aime pas non plus la maison d'oncle Cygnus et de tante Druella, qui est sombre et moche aussi. Il se demande d'ailleurs comment ses cousines ont réussi à être aussi jolies dans une maison si sombre et si moche. D'ailleurs, il n'aime pas trop oncle Cygnus et tante Druella, non plus. Ils parlent toujours de la même chose, ils sont barbants, comme tous les autres.
Ils remontent doucement l'escalier. Regulus est toujours trop un bébé et avec ses grands yeux qui tournent dans tous les sens et son air coupable sur le visage, Père ou Mère n'auraient à rien demandé que déjà ils sauraient qu'ils ont fait une bêtise. Et ça retombera sur Sirius. Encore. C'est Sirius qui a les bonnes idées, Regulus qui suit et se fait prendre, Sirius qui se fait punir. Encore.
Mais là, la maison est silencieuse. Sirius chuchote à Regulus.
« Va te débarbouiller, on dira qu'on s'est sali dans le jardin. »
Regulus acquiesce avec ses grands yeux effrayés et va se nettoyer dans la salle de bain, et Sirius l'attend, rêveur, espérant pouvoir rejouer au foot avec les gosses moldus du quartier.
Le bruit familier des casseroles signale que Kreattur n'a sans doute pas bougé de la cuisine, et Sirius n'entend pas les voix sourdes de ses parents. Ils sont en paix, ils ont eu chaud.
Mais deux craquements se font entendre et la porte d'entrée s'ouvre. Puis il y a la petite voix haut perchée de Kreattur qui accueille ses maîtres. Sirius s'engouffre à toute vitesse et s'arrête de surprise en voyant son frère déjà si impeccable, la veste à peine poussiéreuse, les cheveux à peine décoiffés, la chemise à peine froissée. Alors que le reflet que lui renvoie le miroir montre un garçon aux cheveux ébouriffés et à la chemise déchirée au coude. Mère va être furieuse. Sirius se presse pour se débarbouiller, lançant un regard d'envie vers son petit frère qui n'a pas l'air de fournir le moindre effort pour complaire Père et Mère. De toute façon, Regulus a toujours été le préféré de Mère. Sirius essaie tant bien que mal d'aplatir ses cheveux rebelles, et Regulus sort de la salle de bain pour lui laisser de la place, tout en jetant des coups d'oeil inquiets vers les escaliers.
« L'union de Narcissa et de Lucius va faire tant de bien à la famille, Orion. »
Sirius grogne. Narcissa n'a que 14 ans et sait déjà qu'après être sortie de Poudlard, elle va se marier avec Lucius Malefoy. Son unique métier sera de lui faire un héritier. C'est trop barbant. Sirius n'aimerait pas être une fille, et il n'aimerait pas qu'on lui dise avec qui se marier quand il sera grand.
« Dépêche, Sirius. »
Sirius enfile sa veste, passe un dernier coup de serviette sur ses chaussures vernies, mais elles sont éraflées. Mère sera furieuse.
« Les garçons ! Venez ! »
Regulus déguerpit et descend les escaliers rapidement, mais Sirius le rattrape vite dans un vacarme assourdissant. Mère est là, dans une de ses habituelles robes si serrées au cou, à la taille et aux poignets. Sirius se demande souvent comme elle arrive à respirer là dedans. Mère sourit, mais ses sourcils sont froncés en regardant la dégaine de leurs enfants, et avant qu'elle ait pu leur demander ce qui leur est arrivé, Regulus se précipite dans ses bras ouverts et vient enserrer sa taille. Mère n'aime pas ces effusions mais en est avide aussi, tout comme Regulus. Il reste de la place, un de ses bras est encore ouvert, et Sirius vient rejoindre Regulus dans l'étreinte maternelle. C'est chaud et confortable d'être dans les bras de Mère. Ce n'est pas pareil avec Père, il n'a jamais fait de câlins, et si Père et Mère savaient que Sirius pense à des câlins, ils le rabroueraient certainement. Ils le font tout le temps, ils sont barbants.
« Mais que vous est-il donc arrivé ? »
Regulus ouvre la bouche pour s'expliquer, mais Sirius lui coupe la parole, il a toujours été meilleur avec les mensonges.
« On a joué dans le jardin, et j'ai grimpé à l'arbre, mais j'ai déchiré ma chemise, je suis désolé, Mère. »
Les yeux gris de Mère se fronce, et Sirius y lit de la déception. Elle lui dit tout le temps qu'il ne sait pas se tenir, et qu'il devrait prendre exemple sur Regulus, même s'il est plus petit. Regulus ouvre de nouveau la bouche, mais un simple regard de Sirius le dissuade de rajouter quoi que ce soit.
Ce qu'ils ne savent pas ne peut pas les contrarier.
Mère les serre une dernière fois contre elle, fort, très fort, puis les relâche. Père va dans le salon, et Kreattur vient apporter un goûter.
Quand ils rejoignent Père dans le salon pour le thé et les gâteaux, Père s'adresse à Mère et lui parle mal. Sirius déteste quand il fait ça.
« Ma chère, il est temps que vous appreniez à nos fils à se comporter suivant leur rang. Nous ne pouvons pas les sortir dans le monde quand ils ne sont pas capable de se tenir. »
Mère encaisse le coup, couvée par les regards de ses deux fils. Regulus plonge ensuite son nez dans son assiette, mais Sirius laisse ensuite son regard dériver vers celui de son père et ne le quitte pas des yeux.