Depuis fort longtemps, un être d’exception s’est établi dans les tréfonds du Lac Noir. Je suis sûr que vous le connaissez.
Il est grand. Très grand.
Il est charmant. Et puis éclatant.
Il change de couleur. Selon son humeur.
Car il est magique. Et puis aquatique.
Non, ce n’est pas Moby Dick.
Ni Poséidon, on n’est pas dans ces romans de fantasy qui assassinent l’industrie du grimoire.
Je vous parle du Lac Noir, en Écosse, à Poudlard, dans le monde de la magie !
Voyons, personne ne connaît le Calmar Géant ? Ahh. Et est-ce que l’un ou l’une d’entre vous lui a déjà parlé ?
Est-ce que vous connaissez son prénom ? C’est fou, tout de même, que tout le monde parle sans cesse du Calmar Géant, mais que personne ne sache qui il est ! Il a un cœur, vous savez, et il était là bien avant vous autres. Il mérite un peu de respect.
Par exemple, l’autre jour, j’ai appris que les canalisations du château de Poudlard rejetaient les eaux usées dans le Lac Noir. J’en ai parlé au Calmar Géant – il s’appelle Hijkdinginkin d’ailleurs, mais je sais que vous autres vous en fichez alors je vais continuer à dire Calmar Géant, mon pauvre ami, puisses-tu me pardonner – l’autre jour, assez surpris qu’il ait laissé se faire une construction pareille. C’est un Calmar soigné, vous savez. Son aquagrotte est la plus propre qu’il m’ait été donné de visiter. Il ne laisse jamais une miette tomber au sol. Et il aère sa chambre tous les jours. Sans parler du fait qu’il fait sa vaisselle aussitôt après le repas et qu’il ne laisse jamais traîner un cadavre de Bièreàeau. Il est méticuleux et particulièrement organisé.
Donc, je lui ai parlé des eaux usées de Poudlard qui étaient évacuées dans ses eaux pures et limpides. Et voilà ce qu’il me répondit :
« Hinjinksingtimiro phrinigrovik pougnifact, rififiti… »
Ce qui veut à peu près dire en langue humaine :
« Hélas, hélas, mon noble ami ! J’eus beau guerroyer et faire montre de mon impérial pouvoir, feu le directeur Ambrose Swott ignora moult requêtes de mes partisans et, de surcroît, l’audience que je lui priais de m’accorder. Mais les déjections et autres immondices qui conchient la Fosse Putride rendent impures mes douces ondes et enfument mon conduit nasal de fumets nauséabonds ! »
Il me rappela ensuite son histoire dramatique. Les Calmars Géants viennent des contrées reculées du Kamtchatka. Ils vivent en parfaite harmonie avec les Crabes Royaux que l’on nomme de nos jours, Crabes Staline – sombre histoire. Mais lui, Hijkdinginkin, fils de Ramnirkratiif – les Calmars Géants ont une société matriarcale et ils se définissent par la lignée de leur mère – fut victime d’une malédiction. Quelques secondes après sa naissance, il cria à l’agonie.
« C’eût été de même si l’on m’avait touché avec des mains de feu, si l’on m’avait contraint à inhaler les émanations d’une charogne, si l’ont m’avait forcé à goûter des braises ardentes ! Mon teint infantile de lait s’empourprait contre mon gré sous l’afflux sanguin et l’irritation ! »
Traduction de « Yarticulfgh ayhytprulm arcgloup… » pour les curieux.
Or un Calmar Géant peut vivre au moins deux mille ans. Sa mère l’emmena donc voir la Grande Calmar Géante, Doctemar suprême en Médicolamar, et la sentence fut sans appel : lorsque le sel de l’eau des mers entrait en contact avec la peau blanche et grise de bébé Hijkdinginkin, une réaction allergique le faisait souffrir mille maux et changer de couleur. Un voyageur que vous connaissez tous – oui, Salazar Serpentard, vous raccrochez un peu, c’est bien – passa dans la baie de ces géants, et accepta d’emmener Hijkdinginkin avec lui. C’était encore un bébé Calmar Géant, il put aisément le contenir dans un tonneau d’eau douce qu’il allégea avec un peu de magie et qu’il chargea sur son dos.
Maintenant que vous avez fait connaissance avec Hijkdinginkin le Calmar Géant, vous irez lui serrer les mains. Oui, toutes ses mains-tentacules. Ne vous plaignez pas, ce ne sont pas les pinces des Crabes Staline. Son toucher ventouseux caressera votre paume avec des bruits de succion, et vous pourrez sentir son parfum à l’algue marine absolument stupéfiant – c’est un bon stupéfiant, si vous ne l’aviez point compris.
Bien. Où en étais-je ? Oui, les eaux usées des canalisations.
« Kigbhtleub gidztsjlsah (j’ai toujours du mal avec ce mot, je crois avoir fait une faute d’orthographe, pardonnez-moi d’avance) shedughskut… »
Ce qui signifie à peu près :
« Mais Fortune semble avoir dirigé ses yeux sur nous, nobles âmes qui siégeons dans le Lac Noir. Les humains s’adoucissent en été lorsqu’ils souhaitent se baigner et savourer une onde saine, quand ils dégustent par mégarde une goutte de notre H2O. »
Le Calmar Géant est un grand spécialiste en chimie moléculaire, impressionnant n’est-ce pas ? Il donne des cours à l’Académie des Arts Subaquatiques de Poudlard. Vous ne connaissez pas l’Académie des Arts Subaquatiques de Poudlard ? Elle est pourtant très réputée chez les êtres de l’eau, et même chez les populations aquatiques du monde entier !
Pour plus de facilité, je ne vais plus retranscrire la langue marine commune que parle le Calmar Géant. Et puis, je suis un peu rouillé. À l’oral j’y arrive, mais à l’écrit… Bref.
« Je faisais ma promenade postprandiale, accompagné de la Reine des Sirènes, lorsque je perçus avec force les vibrations de l’onde, nullement dues au brassage de mes tentacules. Je pris congé de la Reine des Sirènes avec maintes démonstrations de mon respect et de mon affection pour la noble dame qu’elle est à mon cœur, puis remontai doucement vers mon troisième tentacule gauche, celui qui avait senti la perturbation lacustre. J’oyais l’agitation de surface avec l’appréhension de la proie croyant entendre un chasseur. Mes doubles paupières me permettaient de distinguer nettement une masse noire au bout de laquelle une petite masse blanche pendait disgracieusement dans mes écossaises ondes... »
Je n’ai malheureusement pas retenu la suite de son récit dans tous ses détails – la Bièreàeau doit y être pour beaucoup. Mais clairement, Hijkdinginkin s’en souvenait avec émotion. Ce qu’il avait vu l’avait grandement perturbé puisqu’il martela des « Ventre-saint-Gris », des « Truandailles » et autres joyeusetés que notre langue vulgaire ne saurait traduire à sa juste valeur. Je l’ai écouté attentivement, je vous le jure, mais ses yeux émerveillés m’ont un instant distrait.
Il avait tendu l’oreille et le tentacule pour saisir les mots et la masse blanche de ce qui s’avérait être un bras d’humain.
« Je m’appelle Ernie Macmillan, Seigneur Hijkdinginkin, fils de Ramnirkratiif, Grand Gardien du Lac Noir de Poudlard », l’avait solennellement salué le gamin de Poufsouffle.
C’était la première fois en cinq siècles qu’un humain s’adressait à mon ami avec autant de respect et en l’observant sans crainte ni moquerie.
Il avait été conquis.
Et il l’avait été d’autant plus lorsqu’Ernie Macmillan lui avait fait part de son désir de nettoyer la Fosse Putride et d’aménager l’évacuation des eaux usées de Poudlard d’une manière plus saine et plus commode. Il avait seulement besoin des conseils du Grand Maître Conférencier ès chimie moléculaire de l’Académie des Arts Subaquatiques de Poudlard et d’échantillons d’eaux des différents courants du Lac Noir, pour soutenir son Projet auprès de la récente directrice Minerva McGonagall. Je ne me souviens plus très bien de la suite de la discussion et de la soirée. Mais Hijkdinginkin est si content, qu’il m’a invité à le rejoindre ce soir pour fêter cette nouvelle encore une fois.
.
« Choixpeau, me rabroue-t-il le lendemain matin en me secouant à me faire tomber comme un Choixteau de cartes. Que Dieu me porte assistance ! Dégusteras-tu un jour la Bièreàeau d’une manière qui ne soit guère excessive ? Si nuisance olfactive il y a, c’est à cause du chiabrena que tu es ! »
J’ai oublié de vous dire : Hijkdinginkin est un peu susceptible. Et dire qu’on se connaît depuis mille ans. J’aurais dû m’y être fait depuis le temps.
« Ernie va te la nettoyer ton eau », je ronchonne en replongeant dans le sommeil et le matelas aqueux du maître de ces lieux.
Qu’il me laisse encore un peu m’échoixpper dans mes rêves de belles Choixpelles. Grrr.