— Un cornet avec deux boules s'il vous plait.
— Vous voulez lesquelles ?
— Myrtilles et mascarpone.
Sans conteste, ce sont ses préférés. Quelques fois, il aime tester les nouveautés mais aujourd'hui il n'a pas envie de risquer une déception. Sa séance d'occlumancie avec sa cousine Bella a été suffisamment éprouvante, il a bien mérité une consolation. Lui qui a grandi avec les parfums extravagants de Florian Fortarôme - vanille explosive, citrouilles dirigeables, pépites de chocolat crépitantes et autres curiosités - s'est étonamment pris d'affection pour les saveurs classiques de ce glacier traditionnel de Covent Garden. Et puis, le vendeur en costume de marin a une tête plutôt sympathique avec ses taches de rousseur. Depuis le début des vacances d'été, il vient ici dès qu'il peut. Pas aussi souvent qu'il aimerait avec son emploi du temps millimétré mais c'est la seule liberté qu'il se permet dans sa morne routine alors il y tient. Sa glace à la main et son porte-monnaie en peau de dragon coincé sous le bras, le jeune homme fait tinter la clochette en sortant de la boutique pour tomber nez à nez avec une sorcière qui ne lui est pas inconnue.
— Regulus ! s'exclame-t-elle médusée.
Pris en flagrant délit.
Il se sent coupable et pas seulement de gourmandise. Il sait bien qu'il ne devrait pas être ici, en territoire Moldu dans cet endroit qu'elle lui a fait découvrir.
— McKinnon, répond-il sobrement.
Il a beau feindre l'impassibilité, face à son regard d'aigue-marine tout lui revient en bloc. Leur escapade londonienne ce jour où Sirius a définitivement quitté Square Grimmaurd. Le goût sucré de leurs baisers. La douceur de ses caresses. Son rire et ses idées farfelues. Leurs questions existentielles. Cette sensation d'être à sa place et l'espoir qu'il a ressenti à ses côtés. Et puis cette année de calvaire à Poudlard qui a suivi où ils ont scrupuleusement respecté leur accord initial : ne jamais reparler de cette après-midi. L'indifférence de la demoiselle l'a rendu fou. Et pourtant, il est le seul à blâmer... C'est lui qui a exigé son silence. Seulement, il ne pensait pas que cela serait aussi dur et qu'elle lui manquerait autant. Qu'il guetterait le moindre de ses gestes. Que le souvenir de ses lèvres reviendrait le hanter à toute heure du jour ou de la nuit. Il s'était senti tellement vide. Il s'était détesté aussi. De rester passif. D'attendre un signe ou une ouverture quelconque de sa part. Il aurait pu être celui qui ose le premier pas, lui envoyer un hibou ou l'aborder lorsqu'elle était seule à la bibliothèque mais après... qu'aurait-il fait ? Il ne pouvait décemment pas fréquenter cette Gryffondor à l'ascendance controversée, une mère de l'East End Née-Moldue et un père irlandais Traîte à son Sang - oui, il s'était renseigné.
Il a donc tenté de l'oublier. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, il a couru trois tours de stade tous les soirs. Sur le terrain, il a redoublé d'ardeur en attrapant le Vif d'Or à chacun de ses matchs ce qui leur a permis de remporter la Coupe de Quidditch. Il s'est noyé dans les révisions et ses professeurs n'ont pas tari d'éloges sur ses excellents résultats. Il a même poussé le vice jusqu'à inviter plusieurs jeunes filles de bonne société à Pré-au-Lard, toutes blondes évidemment. En vain. Malgré sa détermination à avancer, son esprit a refusé de céder en le ramenant sans cesse à ces instants volés en compagnie de Marlene. Il a donc accueilli la fin de l'année scolaire avec un soulagement sans nom. Une fois ses ASPIC en poche, l'étudiante n'aurait aucune raison de revenir à Poudlard et il ne la reverrait plus. Une aubaine pour l'effacer définitivement de sa mémoire. Malheureusement, le cruel destin semblait en avoir décidé autrement.
— Ta glace coule.
Reprenant contact avec la réalité, Regulus réagit trop tard pour éviter les gouttes pourpres qui s'écrasent sur son tee-shirt immaculé.
— Enfer et damnation, marmonne-t-il en constatant les dégâts.
Le voici enfin face à la fille de ses rêves et tout ce qu'il réussit à faire c'est perdre tous ses moyens. Et dire qu'il est réputé pour son élégance... De son point de vue, c'est un fiasco mais McKinnon semble plutôt amusée. Elle cache son hilarité derrière ses doigts aux bagues argentées.
— Serais-tu en train de te moquer ? s'offusque-t-il en haussant les sourcils.
— Je n'oserais jamais !
— Ça ne serait pas très charitable de ta part.
— Tu sais bien que je suis l'amour incarné, se défend-elle en pouffant.
— Innocente tant qu'on n'a pas prouvé le contraire j'imagine, déclare-t-il beau joueur en lui rendant son sourire. Je t'offre ta glace ?
— Pourquoi pas.
S'effaçant pour la laisser entrer, son odeur de myrtille lui chatouille délicieusement les narines lorsqu'elle passe devant lui. Elle lui a tellement manqué. Quelques secondes en sa présence et il se sent revivre...
— Hey Marley ! Ça va la vie, les amours ? baratine le vendeur d'un ton cavalier alors qu'il n'a jamais dépassé la simple politesse avec lui.
— Salut Josh ! Je vais bien et toi ? Tu as réussi à trouver une solution pour ta colloc' ?
— Ah m'en parle pas ma belle ! Toujours rien... Je vais finir par étrangler Robin.
Ma belle ?
De sympathique, ce rouquin passe à détestable. Depuis quand est-ce que les employés se permettent une telle familiarité avec les clients ?
— Et ton stage au journal ? continue le dénommé Josh.
— Je crois que Rita me déteste mais sinon le reste de l'équipe est sympa.
— Elle est jalouse voilà tout.
Un stage au journal ?
Ce vulgaire Moldu en sait décidément beaucoup sur la demoiselle. Regulus est partagé entre la curiosité et l'envie de rabattre son caquet à ce jeune coq. Finalement, son orgueil l'emporte.
— Qu'est-ce que tu veux Marlene ? demande-t-il en lui frôlant le poignet.
Un geste infime qui a des allures irrévérencieuses pour lui qui n'est pas spécialement tactile. La blonde ne semble pas s'en formaliser contrairement au séducteur de pacotille qui le regarde maintenant en chien de faïence. Qu'importe, il a cessé ses bavardages pour enfin faire ce pour quoi il est payé - servir un cornet. Smarties, brownie et ananas. Ce mélange éclectique laisse Regulus dubitatif mais l'air gourmand de McKinnon vaut tous les spectacles. Rejoignant la rue, il s'assoient sur le premier banc à disposition pour savourer en silence leur crème glacée. Le jeune Black pourrait rester là sans rien dire durant une éternité juste en profitant de l'instant tel qu'il est. En même temps, il aimerait faire ses preuves, lui montrer qu'il est toujours pareil... en mieux.
— Alors tu travailles dans un journal ?
— C'est dingue hein ? Je n'en reviens pas que ça ait marché aussi vite...
— Je croyais que le secteur était saturé. Comment tu as réussi cet exploit ?
— J'ai envoyé ma candidature spontanée à plusieurs journaux avec mes articles de Poudlard. Le directeur de la Gazette du Sorcier m'a recontactée. Il a beaucoup aimé mon style, les sujets abordés... C'était dément, il était tellement emballé ! Il n'avait malheureusement pas le budget pour créer un poste, par contre il m'a proposé ce stage. C'est sous-payé mais au moins j'ai un pied dans le milieu et je peux apprendre les ficelles du métier... Et puis peut-être que ça débouchera sur un emploi mieux rémunéré.
— Bravo. Je suis sûr que tu seras une bonne journaliste.
— Merci, dit-elle en inclinant la nuque pour mieux le dévisager. Regulus, qu'est-ce qu'on fait là au juste ?
Par Salazar, il avait oublié à quel point la princesse était directe ! Le coeur soudainement palpitant, il hésite quant à sa réaction. Doit-il jouer cartes sur table ou agir avec prudence ? Elle a peut-être tourné la page depuis longtemps contrairement à un certain adolescent insensé qui s'accroche à des chimères. En même temps, il ne peut se résoudre à ce qu'elle disparaisse à nouveau de sa vie. Il sent qu'il n'aura pas d'autres occasions et il a envie de profiter de cette seconde chance. Tenter le tout pour le tout, quitte à essuyer un affront. Et si elle ne lui accorde que des miettes, il s'en contentera.
— Je n'arrive pas à t'oublier Marlene, avoue-t-il en fixant un point au loin. J'ai essayé, je t'assure, mais je n'y arrive pas.
— Pourquoi est-ce que tu voudrais oublier ?
— Parce qu'il n'y a pas d'avenir possible entre nous.
— Et qu'en est-il du présent ?
— J'aimerais te revoir Marlene, assure-t-il en plongeant enfin dans son regard océan pour la convaincre d'accepter.
— Dans quel but ? souffle-t-elle.
— Pour passer du temps ensemble, apprendre à mieux de se connaître...
S'embrasser fougueusement.
— En toute amitié ? interroge-t-elle en plissant les yeux.
— Je n'ai pas envie d'être ton ami.
— Ah non ?
— Non.
Il ne sait pas quoi dire d'autre. Confesser des sentiments serait prématuré... en a-t-il vraiment ? Il l'ignore. En revanche, il a reconnu ce creux au fond de son âme. Le manque. Douloureux et insatiable. Terre aride brûlée par le soleil du désert. Le manque. Quand elle n'est pas là, le monde lui semble vain. Il a besoin d'elle. De sa présence, de son souffle, de sa voix, de sa peau, de ses lèvres. Il aimerait la serrer contre lui et tenir sa main en déambulant sur les pavés. La faire rire et danser. Prendre soin d'elle et écouter ses confidences. Soupirer face à ses incohérences. Tout. Il veut tout d'elle. Ses réussites et ses échecs. Ses fiertés et ses blessures. Ses qualités et ses défauts. Non, il n'a aucune envie d'être son ami.