— Vous voici donc, Madame la malapprise ! Sans parler de vos différents accoutrements plus incongrus les uns que les autres, vous faites preuve d'un mutisme qui me laisse bien perplexe et pantoise la plupart du temps…
Lisa Turpin, perchée sur le toit, arrêta la musique dans ses oreilles. La moldue, d'en bas, avait un fort accent américain, plus incompréhensible que jamais. Madame Perderson était sa voisine depuis juin 1997. Une drôle de dame. Les parents de Lisa avaient loué l'une de ses dépendances pour qu'ils y vivent le temps de la guerre.
— Votre père m'a appelée. Il m'a fait savoir que le téléphone de la maison était encore dysfonctionnel et s'est enquis de votre état de santé. J'ai bien évidemment rapporté à monsieur votre père que vous vous comportiez en petite friponne…
Lisa hocha la tête en ignorant le regard désapprobateur de sa voisine. Elle appuya de nouveau sur son walkman et fredonna les paroles, sa canette de soda dans les mains, et le soleil se couchant à l'horizon…
Elle observa le ciel en feu, avec ses nuages rouges, oranges, et cette bande de bleu nuit qui gagnait du terrain petit à petit. Elle mit ses mains en visière et plissa les yeux pour admirer le soleil le plus longtemps possible, jusqu'à avoir des points noirs dansant devant ses yeux.
Merlin, qu'elle aimait voir le soleil se coucher…
« Arrête de faire ça, Lisa… Tu vas t'abîmer les rétines ! » pestait Susan dans sa tête.
Lisa se recroquevilla sur elle-même. Elle aurait aimé que Terry et Padma soient là. Quand ils étaient à Poudlard, ils regardaient tous les couchers de soleil, perchés au sommet de la Tour de Serdaigle. Mais Terry n'était pas là. Padma non plus. Ils étaient en Grande-Bretagne. Ils étaient vivants.
C'était tout ce que Lisa savait.
« Menteuse, tu ne sais rien » ricanait Justin dans sa tête. « Pourquoi tu ne rentres pas à la maison ? » lui demandait Hannah. « T'as peur ? » enchaînait Wayne.
Susan. Terry. Padma. Justin. Hannah. Wayne. Ses amis. Tous vivants. Tous des combattants, des survivants. Et elle… une froussarde de sang-mêlé, une fugitive qui survivait planquée depuis plus d'un an maintenant, et qui avait été incapable de retourner se battre à Poudlard.
Alors, oui, tant qu'elle était ici, au Texas, elle fuyait, la guerre n'était pas finie, mais au moins elle n'avait pas à affronter sa lâcheté en face à face.
Lisa souhaitait rester dans cet espace-temps où, même si elle vivait dans la crainte, au moins, tout le monde vivait également.
De nouveau sur le perron de sa maison, assise sur la balancelle, Madame Perderson surveillait Lisa comme une délinquante. Les bras en balance, elle joua les équilibristes sur le bord du toit. Elle éclata de rire avant d'entendre un grand fracas venant de l'intérieur de la maison. Elle perdit l'équilibre un instant mais se rattrapa bien rapidement. Elle se tétanisa un moment, avant de se rappeler que la maison était protégée par une multitude de sorts que sa mère avait elle-même posés. Son père, moldu, avait même fait installer un système d'alarme qui n'avait pas tenu deux jours à cause de toute la magie présente sur les lieux… Lisa avait consacré trois mois à le triturer pour le rendre opérationnel. En fait, Lisa avait passé son temps à faire en sorte que l'électricité fonctionne correctement. Les plombs sautaient régulièrement. La lumière s'éteignait d'un coup d'un seul. Le frigo rendait l'âme tous les deux jours.
Elle détestait cette maison.
Elle fronça les sourcils en entendant un nouveau bruit de verre cassé, suivi de plusieurs marmonnements.
Lisa n'était pas quelqu'un de rationnel. Elle flippait tout le temps, pour pas grand-chose. Padma la taquinait souvent à ce sujet.
Elle pivota sur elle-même, et constata que Madame Perderson n'était plus là. Elle escalada la fenêtre, serra sa baguette dans ses deux mains jointes et descendit les escaliers sur la pointe des pieds.
Puis Adrian Pucey apparut en bas des escaliers, à moitié appuyé contre le mur comme si toute la maison allait s'effondrer sans lui, les bras croisés sur sa poitrine…
— Et que comptes-tu faire avec ta baguette ? Me crever un œil ? Comment penses-tu pouvoir lancer un sort si tes deux mains tremblent aussi fort ? la questionna-t-il en haussant un sourcil.
— Petit con…, murmura-t-elle en se jetant dans ses bras.
Elle rata la dernière marche, et il manqua de la rattraper de peu. Il s'éclata presque la tête contre le mur en fait, mais s'en ficha pas mal sur le moment. Lisa s'éloigna rapidement de son ami pour mieux le regarder. Elle effleura de ses doigts les traits de son visage, posant ses deux pouces sous ses yeux rieurs.
— T'as bonne mine.
— Je suis venu te chercher et je ne partirai pas sans toi cette fois.
Elle recula davantage et l'ignora quand il se mit à la poursuivre jusque dans la cuisine. Sur la table traînait une maquette inachevée d'un train électrique avec tous ses accessoires. A côté de celle-ci, gisaient les cadavres des maquettes qui n'avaient pas survécu aux expériences de Lisa.
La dernière fois qu'il était venu, Lisa avait tenté d'en faire fonctionner un autre, et Adrian avait pu constater que la magie avait perturbé tout le système : le train avait déraillé, les signalisations s'étaient mises à clignoter et plusieurs wagons avaient terminé leur course dans les murs de la cuisine, projetés par la vitesse incontrôlable. Les rails étaient déformés, cassés et inutilisables.
— T'as réglé le problème ?
— Non. Il y a trop de magie ici. Ça bousille tout … Il faut que je trouve un sort de protection pour isoler les circuits. Il doit être assez puissant pour fonctionner, mais pas trop non plus pour ne pas les endommager.
— Lisa… A la recherche de l'équilibre parfait !
— C'est la cinquième maquette que j'achète en deux semaines.
— Je vais t'aider à monter celle-ci.
Il s'attabla et commença à assembler les rails. Elle alluma la lumière de la cuisine pour qu'il puisse mieux y voir. Elle le trouva beau et le voir se concentrer dans sa tâche la fit s'adoucir.
— Poudlard va rouvrir à la rentrée prochaine, l'informa Adrian. Tu pourras y faire ta septième année. Avec tes ASPICS en poche, tu pourras toujours faire… tes petites expériences pour que la technologie moldue fonctionne chez les sorciers.
Devenir chercheuse en adaptation des technologies moldues dans le monde magique était un rêve que Lisa avait fait grandir dans son cœur depuis toute petite. Il s'était un peu effrité pendant la guerre. Une sang-mêlé avec une telle ambition n'avait pas d'avenir dans un pays guidé par l'idéologie de la pureté du sang…
Adrian cherchait les bons rails et les imbriquait les unes à la suite des autres sous le regard de Lisa. Sa maquette laissée à l'abandon ne ressemblait pas à grand-chose et l'esprit naturellement désorganisé d'Adrian n'y arrangeait rien.
— Je préfère rester ici, répondit enfin Lisa.
— Toute seule ?
— Toute seule.
C'était sûrement la seule compagnie qu'elle méritait.
Adrian lâcha les rails et se leva en direction de la fenêtre. D'un coup de baguette, celle-ci s'ouvrit. Les volets en bois se fracassèrent contre le crépi de la maisonnée. Adrian fit un grand pas jusqu'à Lisa, la prit par les épaules et la força à le suivre. Penchés au-dessus de la fenêtre, ils sentirent l'air frais s'engouffrer dans la maison. Posté derrière elle, Adrian était immobile.
— Tu vois, ça, Lisa, c'est le monde extérieur. La guerre est terminée depuis deux mois maintenant. Tes amis sont en vie. Tout se reconstruit. Tu peux revenir. Tu ne crains plus rien. La guerre est terminée ! insista Adrian.
— L'année dernière, tu es toi-même venu me demander de fuir avec mes parents. Tu voulais que l'on se réfugie ailleurs…
Elle sentit les épaules d'Adrian se raidir.
L'année dernière… Tout était si différent. Adrian avait eu peur pour Lisa, pour cette petite emmerdeuse de sang-mêlé aux couettes asymétriques. Cette enquiquineuse vivant dans son monde et seulement pour danser et écouter ses musiques débiles sur son walkman qui explosait dans les couloirs de Poudlard… Son amie. Cette fille avec laquelle il était devenu proche par la force des choses, parce qu'il était impossible de résister à Lisa, sa bonne humeur éternelle et ses sourires qui fleurissaient dès que le soleil se levait ou se couchait.
— Plus rien ne sera comme avant, Adrian.
— Alors ce sera mieux.
Lisa émit un rire sarcastique qui lui ressemblait peu.
— Ils vont me détester. Ils ne me comprendront pas et je ne les comprendrai pas. Je serai celle qui est partie, et eux, ceux qui ont combattu les Mangemorts.
— Ils ?
Susan. Terry. Padma. Justin. Hannah. Wayne. Des prénoms que Lisa avait murmuré tous les soirs avant de s'endormir. Des prénoms qu'elle priait en secret pour qu'ils aillent tous bien.
— Ce sont tes amis, Lisa, comprit Adrian. Il faut que tu reviennes. Cet endroit n'est plus ton refuge… C'est ta prison.
Les bras de l'ancien Serpentard se resserrent contre elle. Elle s'en dégagea rapidement, les jambes ramollies et le cœur battant.
— Je préfère rester toute seule.
— Tu es ridicule, soupira-t-il.
— Tu ne comprends pas… Tant que je suis ici, ils ne me détestent pas. Ils n'ont pas à me pardonner, et je n'ai pas à me haïr de les avoir laissé tomber !
— Tu n'as laissé tomber personne ! s'écria enfin Adrian.
Les autres fenêtres de la cuisine s'ouvrirent à la volée et une bourrasque fit s'emmêler les cheveux de Lisa.
Elle n'avait pas vécu cette guerre. Et pourtant elle en portait quelques stigmates qui avaient douloureusement marqué son esprit.
Adrian la contempla. Lisa la candide, la positive, la rieuse, la médiatrice. Lisa qui trouvait des solutions à tous les problèmes. Lisa… Lisa qui n'avait plus rien de Lisa.
Elle donna un coup de pied dans ses anciennes maquettes de petits trains et envoya valser la nouvelle, qui resterait à jamais éternellement inachevée. Elle se mit à pleurer, à complètement craquer, incapable d'affronter sa culpabilité, ses regrets de n'avoir rien fait, de pas avoir été si courageuse qu'elle l'aurait souhaité.
— Reducto !
Elle s'acharna sur les wagons, les locomotives, les rails, les barrières automatiques, ces espèces de petits arbres qu'ils vendaient avec les maquettes, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'un tas de fines poussières.
Adrian resta calme.
La lumière émanant de la cuisine se mit à vaciller jusqu'à ce que l'ampoule s'éteigne, complètement grillée.
— Y'EN A MARRE ! hurla Lisa.
La magie était trop forte pour que l'électricité fonctionne . Elle fit s'annuler tous les sorts de protection que sa mère avait mis des semaines à mettre en place quand ils étaient arrivés ici. Elle les fit sauter, les uns après les autres, essoufflée, épuisée jusqu'à s'arrêter et pleurer davantage.
— L'AMPOULE A GRILLÉ ! C'EST LA SIXIÈME FOIS EN UNE SEMAINE ! Y'EN A MARRE !
Elle s'effondra sur le sol, se recroquevilla sur elle-même et lâcha sa baguette. Adrian s'assit à ses côtés, en restant à une bonne distance.
Étrangement, elle respirait mieux, de savoir ces sorts de protections levés. Elle se massa les tempes. Elle savait qu'Adrian, cette fois-ci, ne repartirait pas en Grande-Bretagne sans elle. Cependant, elle avait encore besoin d'un peu de temps.
Elle chercha son éternelle positive attitude… Celle que tout le monde lui connaissait et qui lui avait toujours tout fait surmonter.
Lisa ne la trouva pas.