Les talons aiguilles de Narcissa claquèrent sur le sol de pierre, humide et froid. Le hurlement de terreur qui déchira l’air la fit sursauter et elle manqua de perdre l’équilibre. Merlin. Elle respira profondément – inspiration, expiration, inspiration, expiration – les mains gantées sur le mur luisant d’humidité et de moisissure. De moisissure.
Elle enleva avec précaution sa main du mur pour regarder le satin blanc, mouillé de pluie et de poussière. Sa mère n’aurait pas toléré la grimace qui tordit sa bouche. Bellatrix en aurait fait une pire encore. Et les autres… Andromeda, Sirius, Regulus étaient morts – ou partis, mais c’était la même chose.
Parmi eux cinq, il ne lui restait que Bella, l’aînée, la seule qui n’était pas tombée et qui ne l’avait pas quittée. La seule qui, trois mois plus tôt, venait encore la voir au Manoir. La seule qui avait connu Drago. La seule qui gardait les idées claires. La seule qui…
Le hurlement lui vrilla l’oreille droite. La face sale et luisante, au sourire sardonique la fit détaler à l’autre bout du couloir et buter contre les barreaux d’une autre cellule. Une chose gluante et puante s’enroula comme un serpent autour de son cou et la fit crier. Merlin ! Aidez-la !
Un sortilège la libéra. Elle chassa l’ombre de la chose en frottant son cou étranglé et s’enjoignit au calme. Du calme. Le gardien d’Azkaban, un vieil homme criard et sale était là. Un arriviste répugnant mais efficace que Lucius avait grassement payé pour qu’elle puisse entrer dans la prison incognito.
« Tu sais qui tu as touché, McTavish ? chuinta le gardien d’Azkaban, la main autour du cou du prisonnier au bras gluant et puant. Je tolère pas ton attitude ! Tu restes dans ta case et pas bouger ! Tu sais qu’elle peut te donner le baiser du Détraqueur, la dame ? Tu le sais, ça ?
— Runcorn, hé, Runcorn, je la connais la dame, je la connais je te dis, chougna ledit McTavish. Black, hé, Black, tu te souviens de moi, hein, dis ? Sors-moi de là, Narcissa, gémit-il alors qu’elle s’éloignait. Narcissa ! hurla-t-il et elle l’entendit secouer les barreaux de sa cellule. BLACK ! »
Le hurlement se répercuta contre la pierre de la forteresse, encore et encore. Il fut reprit en cœur par les autres prisonniers du couloir qu’elle traversa. Elle marchait, la tête haute, répugnée et inquiète à pleurer pour Bella. Tarquin McTarvish avait été idiot. Mais pas fou et lamentable à se traîner par terre.
Là, dans la cellule de droite, ce devait être Antonin Dolohov qui parlait tout seul au coin de sa cellule. Là, à côté, c’était Thorfinn Rowle, agenouillé sur le sol, comme s’il suppliait l’univers de le tuer. Là, Augustus Rookwood, toujours répugnant. Puis Mulciber. Et là, encore plus loin, c’était...
« Bella, souffla-t-elle avec soulagement en se précipitant devant les barreaux qu’elle empoigna de chaque côté de son visage. Bella, c’est Cissy, comment vas-tu ? Je t’ai apporté des… Voulez-vous reculer, Mr Runcorn ? Cette conversation sera privée, s’interrompit-elle sèchement pour faire s’éloigner le gardien d’Azkaban. »
Le gardien, avide et cupide, hésita un instant à reculer. Le regard impérial de Narcissa, malgré l’angoisse, le convainquit d’obtempérer sans tarder. Narcissa écouta son pas furtif s’éloigner tout en détaillant la cellule de Bella. Trois mètres d’obscurité sur trois mètres d’obscurité. Des barreaux devant et sur les côtés.
Le regard farouche de Bellatrix la cloua sur place. Pétrifiée, Narcissa regarda sa sœur se lever dans la lumière insufflée par le Patronus du geôlier. Un spectre. Sa sœur était devenue un spectre. Maigre à faire peur : plus de joue, plus de chair, le corps noyé dans une robe difforme barrée de rayures horizontales.
« Ah, Cissy. Te voilà enfin, l’accueillit Bellatrix avec une condescendance remplie de mépris. La petite princesse sait se faufiler comme un serpent, piqua-t-elle en s’approchant. La vie est douce, n’est-ce pas ? Comment se porte ce cher Lucius ? », susurra-t-elle sans que Narcissa puisse faire un seul bruit.
Ce n’était plus Bella. Les yeux étaient noirs de peur, les mains agitées de haine, la voix railleuse, méchante et accusatrice. Le corps était cassé, désarticulés, il avançait spasmé et tordu. Il était balancé par la musique infernale du cachot, défiant toute loi de l’équilibre. Ce n’était plus sa sœur, Bella.
Narcissa sursauta lorsque la main rêche et crasseuse de Bellatrix s’enroula autour de la sienne. Sa sœur serra fort le barreau de la prison avec elle. Narcissa couina lorsque les ongles longs de Bellatrix s’enfoncèrent dans son gant fin et blanc. Le regard de Bellatrix ne dévia pas. Sa bouche se tordit.
« COMMENT AS-TU PU TRAHIR LE MAÎTRE ! hurla Bellatrix en enfonçant encore plus ses ongles et le gant se teinta de rouge. COMMENT LUCIUS A-T-IL PU TRAHIR LA CAUSE ! hurla-t-elle et Narcissa tenta de reculer. COMMENT AVEZ-VOUS PU L’ABANDONNER ? Il faut l’aider, il faut le chercher. Il…
— Mais il est mort. Il est… Et puis j’ai Drago, bafouilla Narcissa et les mots se précipitèrent hors de sa bouche. Le Seigneur des Ténèbres est mort, il n’est plus, il est vain de l’attendre. Lucius dit que nous pouvons enfin vivre après le combat que nous avons mené et la…
— Lucius dit que, répéta méchamment Bellatrix en secouant les barreaux métalliques. Lucius est un traître, tu m’entends ! Le combat que nous avons mené ? Tu n’as jamais rien fait, bébé Cissy ! Tu es inutile pour la cause, tu as tout juste su produire enfin un enfant qui lui, se battra pour la cause ! »
Narcissa, tremblante et en pleurs, attendit, malgré les années, qu’Andromeda intervienne et dise à Bellatrix qu’elle devenait méchante. Mais rien. Seul le hurlement du prisonnier d’à côté répondit à la diatribe de Bellatrix. Tout était cassé, tout était détruit. Plus de sœurs Black, plus de cause, plus de rire, plus de…
« Bella ! Bella ! gémit le prisonnier d’à côté en tendant les mains vers Bellatrix à travers les barreaux et Narcissa se rendit compte que c’était Rodolphus. Bella, ma Bella, viens, ils reviennent. Viens, aide-moi, s’il te plaît, je n’arrive plus à penser, je n’arrive plus à respirer. Ma Bella ! »
En deux enjambées, Bellatrix se retrouva face à Rodolphus. Elle passa les mains entre les barreaux et s’empara de sa tête qu’elle colla fermement à la sienne. Ils restèrent front contre front. Narcissa hoqueta un sanglot. Rodolphus, une barbe noire et sale, le teint cadavérique, maigre et tremblant qui gémissait après Bella.
« Reprends-toi, Rodolphus, et pas de ma Bella, lui ordonna sèchement Bellatrix. Il va venir nous libérer, il va venir, tu le sais, je le sais. Le Maître ne nous abandonnera jamais. Nous sommes ses plus fidèles Mangemorts, nous sommes ses meilleurs généraux, nous servons la cause, nous. Narcissa fait gentiment repousser les Détraqueurs. »
Bellatrix repoussa la tête de Rodolphus qui partit s’écraser sur le sol de pierre de sa cellule. Il continua de gémir des litanies de ma Bella. Le dégoût qui déchira le visage anguleux de Bellatrix acheva de faire reculer Narcissa. Bellatrix revint la regarder. Deux pas plus tard, elle était devant les barreaux.
« Cissy, ne me dis pas que tu pleurniches, reprit-elle avec un soupir dramatique. Un peu de nerf, ne deviens pas pitoyable comme Rodolphus. Il me fait honte à se traîner au sol comme un cafard. Dire que je lui ai accordé ma main, il pourrait s’en montrer digne. Alors, que veux-tu ? »
La voix de Bellatrix était tour à tour méprisante, hystérique et lasse. Ce n’était pas nouveau. Enfin pas trop. C’était plus poussé en tout cas. Et effrayant parmi tous ces cris, cette crasse, cette obscurité et cette lourdeur angoissante diffusée par les Détraqueurs malgré le Patronus en forme de Rottweiler du gardien.
Narcissa s’accroupit et ouvrit largement son sac à main. Elle l’avait soumis à un discret Sortilège d’Extension Indétectable. Elle avait toujours été douée en Enchantement. Un côté beau et artistique qui l’avait toujours apaisée. Elle plongea les mains dedans, le regard obstinément dirigé vers le puits sans fond du sac.
« Je t’ai apporté des couvertures, bafouilla Narcissa en poussant le duvet entre les barreaux. Cette boîte est remplie de vivres, continua-t-elle. Je suis allée quérir ta lotion favorite et d’autres accommodations que j’ai disposées dans cette mallette. J’ignore si tu as reçu mes colis. Alors j’ai aussi…
— Bien, bien, bien, la coupa distraitement Bellatrix. Tu veux que je te dise quoi ? Merci ? Je ne t’ai rien demandé, je peux me passer de savon à bulles pour le Seigneur des Ténèbres. Il va revenir et la première chose qu’il fera, ce sera de me libérer moi, sa plus fervente fidèle. »
Bellatrix s’éloigna et Narcissa, toujours au sol, releva pitoyablement la tête. Elle regarda Bellatrix se mettre à tourner en rond dans sa cellule avec endurance et refaire le monde toute seule. C’était sa sœur, là, encore un peu, encore. Jusqu’à ce qu’elle hurle à nouveau. Ce n’était plus Bella.
Elle n’était déjà plus la même, plus elle-même non plus. Elle était torturée et déjà sur le chemin de la mort. Le corps était rongé par la prison, par Azkaban, par les Détraqueurs qui rôdaient et faisaient frissonner Narcissa. Le corps était déjà rongé par la folie. Ce n’était plus Bella.
Narcissa prit sa baguette au fond du sac, ainsi que la pochette qui renfermait la photographie de sa famille. Sa famille : Drago et Lucius. Bella n’était pas là, Andromeda non plus, Sirius encore moins, Regulus plus jamais. Mais il y avait Drago et son visage d’ange. Elle caressa et embrassa la photo.
Elle sauta bien droite sur ses pieds lorsque Bellatrix hurla un Maître déchirant. Narcissa abandonna tout avec Bellatrix. Baguette dans une main, photographie dans l’autre, elle traversa le couloir pour rejoindre le gardien d’Azkaban. Il n’y avait plus de larmes dans ses yeux. Il n’y en aurait plus pour Bella.