Il y avait un seul endroit dans le 12, Square Grimmaurd où Regulus savait qu’il ne devait absolument pas et sous aucun prétexte aller.
Il n’avait pas le droit de se rendre dans le bureau de son père, c’était évident. Orion Black interdisait à ses deux enfants de mettre le moindre orteil dans son bureau s’il ne les avait pas conviés au préalable.
Il n’avait pas le droit d’aller au dernier étage qui servait de grenier. Il y avait de vieux objets aux sortilèges détraqués avec lesquels il pourrait se blesser.
Il n’avait pas le droit non plus d’entrer dans la chambre de ses parents, ni dans celle de son Oncle Cygnus et sa Tante Druella. Il s’agissait de leurs quartiers. Le quartier des parents.
Il lui arrivait encore, à cinq ans, d’entrer dans la chambre de son frère la nuit lorsqu’il y avait de l’orage, et de se cacher avec lui sous la couette. Sirius n’avait peur de rien, et Regulus se sentait plus fort avec lui. Ses parents ne devaient pas le savoir parce qu’ils n’aimaient pas beaucoup le voir pleurnicher de cette manière et surtout pas dans la chambre de son frère en pleine nuit.
Il lui arrivait aussi de jouer avec Cissy dans sa chambre. Ils allaient parfois en expédition dans la chambre d’Andromeda, même si Andromeda ne le voulait pas.
Mais lorsque Cissy lui demanda avec son petit ton impatient et contrarié de le suivre dans la chambre de Bella, là, Regulus secoua vivement la tête.
Parce que plus que tout, il ne devait pas entrer dans la chambre de Bella. C’était une question de vie ou de mort.
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« Regulus, je suis la grande, tu dois m’obéir, finit par lui dire Cissy en tapant du pied au sol.
— Mais Cissy, bredouilla-t-il en se sentant déjà trembler. Pourquoi veux-tu aller dans la chambre de Bella ? Tu… Tu sais très bien que si elle nous voit, elle va… Et puis que veux-tu faire dans la chambre de Bella ?
— Tu poses trop de questions pour ton âge, Regulus, s’exaspéra Cissy en venant s’asseoir à côté de lui. »
Ses longues boucles blondes tressautèrent de chaque côté de son visage et dans son dos lorsqu’elle détourna dramatiquement le regard. Regulus remarqua le bleu de ses yeux prendre une teinte gris orage, cet orage qui l’effrayait tant.
« Mais tu peux y aller sans moi si tu…
— J’ai besoin que tu viennes avec moi, le coupa Cissy en se levant d’un saut de son lit. C’est pour un nouveau jeu, je suis certaine qu’il te plaira. »
Elle lissa les plis de sa robe bleu roi et remit la dentelle blanche de ses manches sans prêter attention à la panique grandissante de Regulus.
« Mais Cissy…
— Regulus, c’est mon anniversaire aujourd’hui, j’ai douze ans, tu pourrais me faire plaisir tout de même. »
Regulus prit une grande inspiration, parce que Bella était effrayante lorsqu’elle criait, lorsqu’elle faisait son regard noir, lorsqu’elle prenait la parole pour faire un discours merveilleux sur l’histoire sorcière et lorsqu’elle ne faisait même qu’entrer dans une pièce, et parce que surtout, il devait dire oui à Cissy et braver le plus grand interdit et le plus grand danger.
Il hocha la tête.
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Le pas de Cissy était souple et assuré. Il savait toujours obtenir ce qu’il voulait discrètement. Un pas de Cissy, c’était un geste exubérant de Bella. Un silence de Cissy, c’était tout un discours de Bella. Mais un sourire de Cissy c’était plus réconfortant et plus doux que tout ce que Bella ne pourrait jamais faire. On voulait aimer Cissy. Il fallait adorer Bella, la vénérer, comme une déesse ou une idole, et la craindre aussi.
Le pas de Regulus était timide et hésitant. Il était parfois maladroit là où celui de Sirius était souvent impertinent. Un pas de Regulus, c’était l’une des rares chutes de Sirius. Une maladresse de Regulus, c’était une impertinence de Sirius. On admirait la posture et le maintien de Sirius. On oubliait Regulus qui se cachait derrière.
Quant au pas d’Andromeda, il était tantôt l’un, tantôt l’autre. La cinquième roue du carrosse luxueux de l’ultime génération de la Maison des Black. Souple, silencieux et discret, mais assuré et prétentieux. Hésitant au début, impertinent à la fin.
Quoi qu’il en soit, le pas timide et hésitant de Regulus suivit le pas souple et assuré de Cissy. Il n’y eut ni maladresse dans le couloir, ni impertinence de bruit, ni discrétion du serpent.
Il y eut simplement deux enfants un peu rebelles, un peu décidés, et surtout, prêts à s’amuser.
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Cissy avait voulu entrer dans la chambre de Bella, le sanctuaire inviolable et inviolé de la déesse guerrière, et ce… pour jouer.
C’était tout innocent et très simple, finalement.
Elle voulait simplement jouer à la poupée avec Regulus. Elle voulait jouer à la maman, comme une enfant de son âge qui rêvait encore et toujours du prince charmant. Elle n’était qu’en première année à l’École de Sorcellerie Poudlard, elle avait encore tout loisir pour être une enfant rêveuse et en émoi devant le prince charmant qu’elle s’était déjà choisi. Elle rêvait encore de tous les enfants qu’elle voulait avoir pour s’occuper d’eux et rendre heureux et fier ledit prince charmant. Elle n’avait que douze ans, et l’ambition d’une petite fille pétrie par les espoirs d’une mère belle et habile dans l’art de briller en société au bras d’un époux.
Elle voulait simplement jouer à la maman.
Et Regulus était le plus jeune et le plus influençable parmi ses sœurs et ses cousins. Bella était trop grande et se serait moquée d’elle. Andromeda était le nez dans ses livres bizarres. Sirius parlait trop et trop fort.
Regulus était doux et gentil.
« Tu es certaine que Bella passe la journée chez les Lestrange avec Rodolphus ? Tu es certaine qu’elle ne va pas revenir tout de suite ? Dis Cissy, tu es certaine ?
— Oui je suis certaine, Regulus. Tiens-toi tranquille, je n’arrive pas à…
— Aïe, tu me tires les cheveux !
— Cesse de pleurnicher comme un bébé. Tu as cinq ans, tu es un grand garçon.
— Mais tu me fais mal… Ah non, pas ça !
— Regulus, c’est mon anniversaire, lui rappela Cissy d’une petite voix. »
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Et voilà comment Bella, seize ans, trouva sa chambre lorsqu’elle rentra plus tôt de chez Mr et Mrs Lestrange. Rodolphus était un idiot de toute façon. Ce serait lui qui viendrait ramper à ses pieds le lendemain. C’était elle qui décidait si elle avait envie ou nom de quitter sa chambre pour aller se promener. Qu’est-ce qu’elle en avait à faire de sa surprise ? Elle était venue pour qu’ils puissent prendre leur bon temps hebdomadaire. Elle trouverait mieux ailleurs si ça continuait.
Elle trouva sa chambre sans dessus-dessous. Elle trouva ses robes, ses dessous et ses étoles sorties de son armoire éventrée par l’empressement de Cissy à essayer les vêtements de grande de sa sœur.
Elle trouva Cissy dans sa future robe de fiançailles, un air coupable sur le visage.
Elle trouva Regulus qui, en plus d’avoir osé poser un pied dans sa chambre, avait revêtu sa robe de cérémonie noire en dentelle. Elle le trouva, en outre, les cheveux nattés avec ses pinces à cheveux, et le visage maquillé avec son rouge, sa poudre et son crayon.
« Bella ! eut-il le culot de la supplier en voulant faire un pas vers elle. »
Mais en plus de tout cela, il se cassa religieusement la figure parce qu’il avait glissé ses pieds sales de petit garçon pleurnichard dans ses escarpins, qu’il déchiqueta en même temps que sa robe de cérémonie noire en dentelle.
Et pire que tout : il tâcha son tapis – le tapis ancien, vert, aux cercles bleus concentriques, ramené d’un pays lointain par ses ancêtres – il tâcha donc son tapis avec le rouge qu’il s’était étalé sur les mains.
« TANTE WALBURGA ! hurla Bella en commençant à étrangler son cousin. »
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Parce que Bella se prenait souvent le bec avec Sirius,
Parce que Bella s’en prenait aussi à Andromeda,
Parce que Bella malmenait également Narcissa,
C’est pourtant à cause de Regulus qu’elle fut complètement hors d’elle ce jour-là.
Et ce, parce qu’il avait eu l’outrecuidance d’outrepasser ses droits en glissant une simple main sur le sanctuaire tant craint et respecté.
(Le sanctuaire tant craint et respecté, c’est-à-dire, le tapis de Papy Black - son tapis ancien, vert, aux cercles bleus concentriques, ramené d’un pays lointain – son tapis, quoi)