1 - La Salle en cendres
Parcourir les couloirs sombres de Poudlard la nuit n'effrayait plus vraiment Maggie. Elle ne faisait des rondes qu’une fois par semaine, de toute façon, et toujours accompagnée de Damian, le préfet de Gryffondor. Et puis, il y avait un côté grisant à se trouver dans le château au beau milieu de la nuit alors que tous les élèves dormaient. Même les tableaux, d’habitude si joviaux et bavards, se taisaient. Elle avait l’impression que voir une facette de Poudlard que peu de gens avaient dû connaître - quoi qu’à bien y réfléchir, vu le nombre d’élèves qu’elle avait surpris essayant de sortir des dortoirs…
“J’ai entendu un bruit, dit soudain Damian alors qu’ils s’avançaient dans un couloir du septième étage.”
Maggie brandit sa baguette devant elle, cherchant à percer l’obscurité avec le mince filament de lumière qui s’en échappait. Mis à part une tapisserie qu’elle n’était pas certaine d’avoir déjà vu, sur laquelle un petit sorcier pirouettait encore et encore devant une bande de trolls des montagnes, elle ne voyait rien du tout.
“Il n’y a rien, adressa-t-elle à son camarade, tu as dû…
-Maggie ? l’interrompit un chuchotement sur sa droite.”
Surprise, la jeune fille fit volte-face et tomba nez-à-nez avec son amie Rose Weasley sortant de derrière un renfoncement du mur. Aveuglée par la lumière de sa baguette, Rose mit une main devant ses yeux pour se protéger. Derrière elle, deux silhouettes sortirent à leur tour de l’obscurité et Maggie reconnut Neela Miller, une Gryffondor en cinquième année comme elle, et Augustus Londubat, qui était avec Rose et elle à Serdaigle. Elle leva les yeux au ciel. Bien sûr que ce bellâtre pompeux était là ! Il ne manquait jamais une occasion de lui pourir la vie, de toute façon.
“Qu’est-ce que vous fichez là ? demanda-t-elle d’un ton pressant. Vous savez très bien que vous n’avez pas le droit de vous promener dans les couloirs la nuit !
-Relax, répondit Augustus d’une voix un peu trop détendue. On profitait justement que ce soit toi qui fasse la ronde, ce soir, pour éviter de se faire choper.
-Quoi ?! Parce que c’était prémédité, en plus ?! chuchota-t-elle frénétiquement en se tournant vers Rose.
-C’est Augustus ! protesta cette dernière en levant les mains. Il m’a dit qu’il avait un truc à me montrer, que c’était spectaculaire, que je n’allais pas en revenir… Il m’a presque forcée à sortir de la Salle Commune, si tu veux tout savoir, ajoute-t-elle en haussant les épaules comme pour s’excuser.
-Eh ! C’est toi qui m’a supplié de venir, tu veux dire ! répondit Augustus, outré. C’est même toi qui a dit qu’on n’avait qu’à y aller maintenant, parce que c’est Maggie qui patrouille ce soir !
-C’est faux ! s’exclama Rose.
-Il y a des tableaux qui essayent de dormir, jeune fille ! lança une toile sur leur gauche d’un ton désagréable.
-Pardon, souffla Rose.
-Et toi, demanda Damian d’une petite voix à Neela, qu’est-ce que tu fais là ?
-J’avais cours d’astronomie, dit la jeune femme d’une voix désolée, et je me suis encore faite avoir.
-On l’a retrouvée en haut d’un escalier, expliqua Rose en passant un bras réconfortant autour de ses épaules. Ça fait une heure qu’ils la baladent, d’après ce que j’ai compris.
-Je ne sais pas pourquoi ils me détestent à ce point, gémit Neela en secouant la tête. Ça fait cinq ans, et je ne peux toujours pas les prendre seule !
-Je lui ai dit qu’on la ramènerait dans son dortoir après avoir vu ce qu’on avait à voir, ajouta Augustus. Mais si vous voulez l’escorter maintenant…
-Quoi ?! Pas question, déclara Maggie fermement, je veux savoir ce que vous trafiquez ici à cette heure-ci. Si on doit enfreindre le règlement, je veux au moins savoir pourquoi.
-Comme tu voudras, répondit Augustus, indifférent.”
D’un pas léger, il s’avança alors vers le mur qui leur faisait face et se mit à faire des aller-retours devant, passant et repassant trois fois. Maggie haussa les sourcils, se demandant ce qu’il était encore allé inviter. Augustus avait ce côté m’as-tu-vu agaçant qui le poussait à se faire remarquer en permanence, et c’était l’une des choses qui énervait le plus Maggie chez lui. Elle savait que c’était un grand ami de Rose, mais elle n’arrivait pas à se faire à son besoin compulsif d’être au centre de l’attention.
Alors qu’Augustus repassait pour la dernière fois devant le mur, une aspérité apparut sur la pierre et une porte massive se dessina sous les yeux ébahis des cinq adolescents. Là où il n’y avait rien se tenaient deux immenses battants en bois clair, avec d’énormes poignées en fer. Jubilant, Augustus se retourna et leur adressa un regard triomphant.
“Ah ! Tu vois, dit-il en pointant Rose du doigt, je savais que j’avais raison !
-C’est pas possible, balbutia la jeune fille dont les yeux s’étaient arrondis sous la surprise. Papa m’avait dit que c’était une légende…
-Eh bien mon père m’a dit que c’était bien réel, et il avait raison ! exulta Augustus. Mesdames, Messieurs, la Salle sur Demande ! ajouta-t-il en désignant la grande porte.
-La quoi ? demanda Maggie, toujours incrédule.
-Tu vas voir ! Papa dit que c’est l’endroit le plus fantastique du château, une salle qui te donne tout ce que tu demandes, sans limite et qui sait toujours exactement ce que tu veux trouver ! Attention les yeux ! lança-t-il en tirant une des deux poignées.”
Dans un chuintement à peine perceptible, la porte glissa contre le mur. Instantanément, le visage d’Augustus s’assombrit. Dans la salle qui leur faisait désormais face, tout était dévasté. Une épaisse fumée planait dans l’air et des morceaux de colonnes et de pierres traînaient sur le sol dans un amas de débris encore fumants. Par endroits sur les tentures déchirées qui habillaient encore certains pans de mur, quelques flammes dévoraient encore les tissus et les tapisseries. L’ensemble donnait l’impression d’un endroit désolé qui aurait été ravagé par un ouragan. Puis un incendie. Et un deuxième ouragan.
“Non, murmura Augustus en s’avançant dans la salle dévastée, ce n’est pas possible… Mais mon père a dit…
-Je ne sais pas exactement ce que c’était, dit Damian en levant sa baguette, mais c’est une magie très forte qui a provoqué ça. Il reste des traces dans l’air.”
À petits pas prudents, Maggie fit quelques pas dans la salle à son tour, gênée par les cendres et la fumée qui lui emplissaient les poumons et brouillaient sa vision. Cherchant quelque chose qu’elle pu identifier des yeux, elle avisa une étagère renversée dont s’échappaient des livres déchirés, aux couvertures marquées de traces de brûlures et de trous. Parmi les débris qui jonchaient le sol, elle pouvait apercevoir des objets de toutes sortes sans réussir à en nommer un seul. Tout étaient détruit, des globes en verre avaient explosé, des balances en métaux précieux s’étaient tordues, des bijoux s’étaient brisés. Elle n’eut pas besoin de pousser plus avant son exploration pour comprendre qu’il n’y avait rien de récupérable dans cette salle désolée.
“On ne devrait pas traîner ici, finit par dire Rose une fois le choc de cette triste découverte passé. Ça n'a pas l’air stable, j’ai peur qu’on se prenne un truc sur la tronche.
-Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle soit dans cet état, soupira Augustus. Mon père en parle toujours comme l’endroit le plus merveilleux qu’il ait connu pendant sa scolarité… S’il voyait ça…
-C’est pas grave, le rassura Rose en posant une main bienveillante sur son épaule. L’important, c’est que tu avais raison. Elle existe, ta salle magique !”
Maggie laissa son regard vagabonder sur la pièce tandis que les autres adolescents rejoignaient la porte, décidés à éviter tout accident. Lorsqu’elle jette un dernier coup d'œil devant elle, un éclat sombre attira son attention. Là, posé sur une table renversée comme s’il n’avait rien connu du désastre qui l’entourait, il y avait un grimoire assez petit. Elle s’approcha un peu pour l’examiner de plus près. Il devait faire la taille de son avant-bras et sa couverture noire semblait faite d’écailles qui reflétaient par moment la lueur des flammes. Ce qui frappa Maggie, c’est que ce livre n’avait l’air d’avoir subi le traitement que les autres avaient connu : sa couverture luisait, comme s’il avait été astiqué la veille, et il n’y avait aucune marque de brûlure ou trace de poussière dessus. Intriguée, elle avança sa main pour tenter de l’ouvrir, mais le grimoire resta fermé. Elle s’y reprit plusieurs fois, ne voyant aucun verrou qui pourrait l’empêcher de consulter le livre, mais il restait obstinément fermé.
“Maggie, lança Rose depuis la porte, tu viens ? Il est presque deux heures !
-J’arrive, répondit Maggie d’un ton absent.”
D’un geste fluide, elle attrapa le grimoire et le fourra dans sa robe de sorcière, bien à l’abri dans la grande poche intérieure de la doublure. Elle essayerait de l’ouvrir plus tard. Pressant le pas, elle se dirigea vers la porte et laissa derrière elle la salle en cendres.