Il y avait quelques minutes que Harry avait refermé la porte du grenier du Terrier sur son fils cadet. Assis sur un vieux matelas recouvert d’un plaid à carreaux, Albus fulminait ! Tout ça, c’était la faute de James, ce frère rebelle et flamboyant que tout le monde adorait ! Le préféré de ses parents, il en était sûr ! La preuve : c’était lui qui était puni alors qu’il avait essayé de se montrer juste et raisonnable… Et personne ne prenait jamais son parti à lui, Albus, même pas sa grand-mère Molly, même pas sa cousine Rose qui semblait pourtant l’apprécier. Pas même sa mère qui prétendait aimer ses enfants à égalité…
Albus se roula en boule sur la couverture et fronça le nez devant le tapis de poussière qui recouvrait les meubles cassés ou bancals entreposés dans la sous-pente. Une unique lucarne laissait voir le jardin plongé dans la nuit… Plusieurs étages en-dessous, le bruit lointain des conversations et des rires était par instant couvert par les grognements inintelligibles de la goule de maison. Voilà, pensa-t-il avec amertume, je suis logé à la même enseigne que la goule ! Et je ne manque à personne…
Même l’oncle Percy qui s’était fâché autrefois avec toute la famille était en bas avec les autres, ce soir ! Tout le monde était si bien à sa place… Sauf Albus ! Il sentit sa gorge se serrer. James avait peut-être raison : il irait sans doute à Serpentard, la maison rivale de celle par laquelle passaient tous les membres de sa famille…
Une colère sourde et vengeresse monta dans la poitrine du jeune garçon…
« Par Merlin, je voudrais me retrouver tout seul, je voudrais qu’ils disparaissent tous de ma vie ! marmonna-t-il, son cœur battant si fort qu’il eut un peu peur de la puissance de ce sentiment »
Au moment où Ginny, Arthur et Charlie se levaient pour aider Molly à débarrasser la table, Harry suggéra à Hermione qu’ils aillent ensemble s’occuper des sorts de protection à jeter sur le Terrier.
« Tu as raison, répondit-elle en sortant dans le jardin enneigé. Allons-y ! »
Elle recula jusqu’à la clôture qui délimitait le terrain des Weasley et leva sa baguette. Une paroi lumineuse, semblable à celle d’une gigantesque bulle de savon, se forma autour de la propriété… Lorsque le dôme fut tout à fait établi, d’une clarté parfaite, Hermione baissa la main :
« Ça devrait largement suffire… déclara-t-elle. Seules les personnes présentes dans l’enceinte du Terrier pendant le sortilège seront en capacité de franchir la protection à partir de demain… »
Harry acquiesça et ses yeux tombèrent sur la tête chauve et grisâtre d’un gnome de jardin sortant d’un bosquet. Il le chassa d’un coup de pied. Il pensait à ses fils, à leur travail inutile de l’après-midi pour dégnomer le jardin, à leurs disputes continuelles… Il avait tant rêvé d’une famille unie et solidaire !
« Ce ne sont que des enfants, Harry… tenta de le rassurer Hermione qui devinait toujours si bien ses pensées. Ça s’arrangera avec le temps, j’en suis certaine »
Au même instant de l’autre côté de la maison, tapis derrière le pommier des Weasley, deux hommes échangeaient des paroles inaudibles. Ils avaient suivi des yeux les deux célèbres amis depuis le début de leur travail de mise en sûreté du domaine. Et ils restèrent encore immobiles le temps de les laisser franchir le seuil de la maison dans l’autre sens...
L’un des deux intrus était petit et replet. Sa redingote mangée aux mites était ornée de boutons de nacre témoignant qu’il avait connu des jours meilleurs. L’autre, grand et mince, affichait une mine bienheureuse, un sourire naïf et deux grands yeux bleus nébuleux. Il semblait s’inquiéter de son allure, passant constamment une main dans ses cheveux blonds et époussetant à chaque pas sa robe de sorcier d’une teinte lilas défraichie…
Harry et Hermione n’avaient pas eu le temps de retirer leurs capes lorsqu’on frappa à la porte. Molly leur demanda d’ouvrir et dans un premier temps, Harry ne reconnut pas les deux personnages qui se tenaient en face de lui… Hermione, Ron et Ginny se pressèrent à sa suite.
« Par le caleçon de Merlin ! s’écria enfin Ron »
Il tapait frénétiquement du coude contre les côtes de Harry :
« Tu vois ce que je vois ? Est-ce que tu peux le croire ?! Sérieusement ?! »
Hermione, visiblement abasourdie, se tourna vers Ginny comme pour vérifier qu’elle n’était pas victime d’un sortilège de confusion. A présent, tous les quatre avaient reconnu les traits précieux de Gilderoy Lockart, l’ancien professeur-escroc devenu amnésique et, à ses côtés, l’ex-membre de l’Ordre, voleur de profession, qui avait fui en pleine débâcle, Mondingus Fletcher !
Les deux crapules formaient certainement le duo le plus pitoyable et le plus inattendu qu’on pouvait imaginer… Harry n’en revenait toujours pas, trop ahuri pour se demander ce que ces deux-là pouvaient bien leur vouloir, quand une plainte lui déchira les oreilles !
« LAAAAAAAAAaaaaaaaa… »
Lockart ouvrait à présent grand la bouche, comme pour avaler les flocons de neige qui continuaient de tomber ! Puis, presque aussitôt, Mondingus l’imita ! Enfin les deux compères se lancèrent dans une entreprise que personne n’avait anticipée : ils se mirent à chanter !
Oui, à chanter ! Il ne s’agissait pas d’un véritable cantique de Noël, bien que Harry crût reconnaître une mélodie traditionnelle dans ce goût-là… Les paroles, en tout cas, étaient pour le moins originales :
C’est le temps du Sauveur Potter, du béni Harry,
Depuis son berceau jusqu’à son tombeau,
Avec courage il combattra,
Du mage noir il nous délivrera…
Molly et Arthur arrivèrent au pas de course au moment où le duo entamait un Il est né le Divin Potter… Harry sortait déjà sa baguette !
« Comment osez-vous venir ici ?! s’emporta Hermione. Après ce que vous…
— Oh oui, interrompit la voix gémissante de Lockart qui baissait les yeux, il parait que nous avons fait des choses horribles…
— …que nous regrettons terriblement, ajouta précipitamment Mondingus, Et c’est pour cela que nous essayons d’offrir un peu de gaité aux sorciers en chantant devant leur porte, maintenant ! »
Harry remarqua la corbeille où quelques noises avaient été jetées. Derrière lui, Mr Weasley essayait de retenir son épouse Molly et son fils Charlie, tous deux visiblement décidés à en découdre ! Le teint d’Hermione devint blême et elle sortit à son tour sa baguette.
« Très bien, très bien… trancha Mondingus en rangeant la corbeille dans un pli de sa cape. Gilderoy, allons-nous-en !
— Déjà ? s’étonna l’autre »
Mais son compère le tirait si vigoureusement en arrière qu’il le fit trébucher sur le perron verglacé. Harry ne put réprimer un sentiment de pitié qu’il s’efforça de contenir en regardant les deux sorciers transplaner aussi vite qu’ils le pouvaient !
Une longue discussion occupa Harry, Ron, Hermione et Ginny pour déterminer si Lockart et Mondingus méritaient meilleur accueil. Après tout c’était Noël ! Mais tous, y compris Molly et Arthur, estimaient qu’ils s’en tiraient à bon compte. Harry en particulier, aurait eu mille bonnes raisons de leur jeter un sort ! Ron, pour sa part, jugeait qu’il aurait fallu les envoyer à Azkaban, ne fussent que pour leurs fausses notes et les paroles de leurs chansons…
Après une ultime tasse de thé, tout le monde regagna sa chambre pour boucler ses valises et se coucher. Ginny essaya de ne pas penser à Albus, seul dans le grenier peu hospitalier. Elle ferma la valise qui contenait les affaires de son plus jeune fils et alla vérifier que celle de James était prête aussi.
« Je l’ai terminée ce matin ! assura ce dernier en voyant sa mère inspecter la chambre.
— Formidable… fit Ginny, et ta baguette magique ?
— Ma ba…quoi ? Papa m’a dit de la laisser ici… »
Ginny leva sa propre-baguette :
« Et bien entendu, pour la première fois de ta vie tu as décidé d’écouter ton père ? »
Elle ponctua sa phrase d’un accio baguette qui révéla que l’objet avait été dissimulé dans une chaussette au fond du sac de voyage de James. L’adolescent soupira.
« De toute façon tu n’as pas le droit de t’en servir, James… argua Ginny. Range-là dans son étui et n’en parlons plus. Bonne nuit… »
Elle quitta la pièce après l’avoir embrassé.
Dehors, malgré l’obscurité, on voyait les flocons épaissir et tourbillonner sous les rafales d’un vent glacial. Les pauvres gnomes de jardin n’eurent pas d’autres choix que de se serrer les uns contre les autres pour se tenir chaud mais, attirés par la maison, ils parvinrent à s’engouffrer par un soupirail et tout à leur joie, se lancèrent dans un sabotage sournois de tous les objets qui passaient à leur portée !
Le sortilège de réveil de la formidable pendule de Mrs Weasley s’en trouva brisé et de sonnerie matinale, il n’y eut point…
Quand Hermione ouvrit les paupières, elle s’étonna d’abord de ne pas les trouver aussi lourdes qu’elle aurait cru. Puis elle remarqua la lueur rose du ciel et les traits dorés qui filtraient d’entre les nuages…
« RONALD ! cria-t-elle en sautant du lit. ON NE S’EST PAS REVEILLES ! »
S’ensuivit une telle cavalcade que ni Ron, ni Harry, ni Ginny, ni même aucun des enfants arrachés à leur sommeil n’aurait pu en faire le récit chronologique ! La seule chose certaine était que le réveil n’avait pas sonné ! A présent, il fallait courir d’une valise à l’autre en implorant Merlin de leur permettre d’attraper…
« Le porto… Le porto… hoquetait un Percy désespéré, le portoloin ! »
Tiraillé entre la recherche de sa chaussure droite et celle de sa chaussette gauche, Arthur lançait quant à lui des jurons depuis les quatre coins de la salle à manger.
« Les valises ! lança Audrey à Hermione. Prenons les valises et partons ! Maintenant ! »
Harry acquiesça : mieux valait oublier une cape ou une paire de gants que de rater le portoloin ! Molly II, James et Rose se précipitèrent à la suite des adultes tandis que Hugo courait derrière eux dans sa robe de chambre !
Dehors, l’air était aussi froid que la veille sous les pâles efforts d’un soleil timide… La tempête faiblissait mais des amas de neige rendaient la progression difficile, surtout pour les enfants. Charlie prit soin de seconder sa mère. On arriva bientôt devant une grosse pelle à neige, abandonnée au beau milieu d’un champ désert. Les pas de toute la famille se lisaient aisément dans la neige fraiche…
« Vite ! cria Arthur en consultant sa montre. Plus que quatre minutes !
— Le voilà ! cria Percy en pointant du doigts la pelle à neige plantée dans le sol, juste devant eux »
Lilly pleurait dans les bras de Harry. Il tenta de la calmer sans cesser de la protéger du froid. Hermione comptait une nouvelle fois les valises et les sacs répandus autour d’eux.
« Vite ! gronda Charlie
— Je veux être sûre de ne rien oublier ! coupa-t-elle sèchement avant de reprendre le compte des bagages.
— Maman ! lança Hugo, désemparé »
Ginny et Mrs Weasley ramassèrent autant de sacs que possible. Charlie, Ron, Percy et Harry se chargèrent des plus grosses valises.
« Cette fois Il faut y aller, annonça Audrey avec un calme qui ne laissait pourtant pas de place à la réplique »
Les mains se tendirent les unes après les autres pour s’accrocher le long du manche de la pelle… Et la campagne enneigée de Loutry Sainte-Chassepoule se mit aussitôt à tourner, tourner, tourner…