Outre les villages exclusivement magiques de Grande Bretagne, de nombreuses localités abritaient des familles de sorciers vivant plus ou moins regroupées et parfois au sein de petites communautés de quartiers.
Et le village de Battle dans le Sussex, petite localité mais grande histoire juste à côté de la ville côtière d'Hastings dans le sud de Angleterre, en faisait justement partie. Pour les moldus, c'était avant tout un endroit touristique où s'était déroulé, au milieu du Moyen Age, une des plus importantes batailles de l'histoire du Royaume Uni.
Pour les sorciers également l'histoire de cette localité était importante, en particulier pour les sorciers conservateurs, souvent anciens opposants au Secret Magique, et en particulier pour une certaine famille Malefoy qui puisait à Battle ses plus profondes racines.
Battle, où leur ancêtre Armand Malefoy s'était illustré par ses talents magiques lors de la Bataille de Hastings, était donc située à 89 kilomètres au sud-sud-est de Londres et à 8 Kilomètres au nord-ouest de la ville côtière d'Hastings, à la fois non-loin de la mer et au cœur de la région boisée du Weald.
On ne le dira jamais assez : mais la localité avait ceci de remarquable qu'elle accueillait le site de la très célèbre bataille d'Hastings, remportée par Guillaume le Conquérant sur Harold Godwinson en 1066. Un événement historique capital donc, que ce soit pour l'histoire européenne, britannique, et même pour les plus anciennes familles de sorciers européennes.
Un événement qui avait fait couler, en plus du sang, des milliers de litres d'encre tant ceux qui la relataient pouvaient entrer en divergence, voire en franche opposition. Et là encore il était impossible de dire qui des sorciers ou des moldus étaient les plus enclins à la polémique.
Sans surprise, ce sont bien les alentours de ce site, et de l'abbaye qui lui avait été consacrée, qui nous intéressent pour toute cette histoire.
L'abbaye de Battle et le champs de bataille qui la jouxtent se trouvent en effet tous les deux au croisement de la Rue principale et de Park Lane, pas si loin d'un semblant de centre-ville et les boutiques s'y concentrent encore aujourd'hui, vendant principalement des souvenirs du lieu. Si ceux-ci sont surtout prisés des moldus et méprisés par les sorciers de hautes familles, il n'est pas rare que, par provocation, des individus plus progressistes en achètent également afin de les exhiber avec fierté.
De telles entreprises provoquent souvent des moments assez cocasses lors des paiement dans les boutiques moldues et depuis le temps les commerçants s'y sont habitués, attribuant ces confusions souvent gênantes à une forte proportion d'étrangers et d'illuminés sur le site.
Bref, en cette fin d'année 1990, l'arrivée imminente de l'hiver venait mettre un terme relatif à la saison touristique et aux visites incessantes du site. Ainsi la ville de Battle était-elle plongée dans un certain calme le jour où commença notre histoire.
L'abbaye de Battle occupait une hauteur qui surplombait le champs de bataille en lui-même, et son domaine qui descendait en direction du Sud était entouré de hauts murs impénétrables sur ces frontières urbaines, et bordé de haies tout aussi hautes côté campagne.
Si la configuration des lieux avait quelque-peu changé depuis le Moyen Age, l'importance de la pente entre le nord et le sud du champs de bataille restait nettement perceptible.
Une abbaye, un musée, un immense terrain descendant vers le sud depuis les hauteurs, entre pâture et bosquet, tout ceci donnait aux lieux un charme simple et une ambiance presque méditerranéenne puisque ce versant-ci était bien exposé et souvent battu par les vents.
Quelques étangs aux alentours et quelques différences d'essences modéraient tout juste cette vision.
Quiconque entrait dans le domaine afin de visiter les lieux, puis poursuivait encore en s'éloignant de l'abbaye et traversait totalement le champs de bataille, finissait automatiquement par tomber sur les haies hautes et touffues qui enserraient le domaine. Et là, il fallait trouver un moyen de les traverser sans encombre, ce qui n'était pas gagné à moins de posséder une solide cisaille... Ou alors une baguette magique.
De l'autre côté, s'étendait la route B2095, aussi nommée Powdermill Lane, étroite, d'allure parfaitement campagnarde et bordée de hautes haies de tous les côtés.
Et poursuivant vers l'Ouest et en s'éloignant de Battle au prix de quelques minutes de marche supplémentaires, le visiteur pouvait dépasser un ou deux domaines fermiers, avant qu'un chemin de terre ne se dessine soudain sur sa droite, côté champs de bataille.
Du moins, ce chemin se dessinerait à lui s'il faisait partie des rares sorciers privilégiés à pouvoir y accéder. Car l'accès à ce lieu, on ne peut plus magique, était très encadré par les familles y résidant.
En tout cas, pour tout visiteur ayant la chance d'être invité, ce chemin dont l'entrée était encadrée de deux piliers de grès et bordé de murs de briques portait un nom, fièrement exhibé sur le panneau d'entrée :
« Phantom Alley »
Phantom Alley coupait une vaste prairie qui remontait vers les hauteurs, semée de bosquets et de quelques cottages un peu décalés dans cet environnement. Et tout au bout du chemin qu'il fallait encore gravir, entouré de hautes grilles et de haies, un petit manoir se dressait fièrement au milieu d'une propriété de toute évidence très bien entretenue et un œil attentif pouvait même y discerner des fondation très anciennes.
Le Manoir Malefoy de Battle, ainsi que l'appelaient ceux qui avaient vent de son existence, par opposition à celui du Wiltshire, était la plus petite des deux demeures de la famille Malefoy, mais également réputé être leur plus ancienne possession puisqu'on racontait que le domaine leur aurait été donné par Guillaume le Conquérant en personne, au lendemain de la Bataille de Hastings.
Et si, en titre, le manoir appartenait encore à Abraxas Malefoy, le patriarche de la famille, il etait dans les fait occupé par son plus jeune fils et l'épouse de celui-ci : Mr Ignacius Malefoy et son épouse Hortense, née Nott.
Depuis leur mariage de nombreuses années auparavant, ils étaient devenus les maîtres des lieux : déchargeant Abraxas de l'entretien de la demeure et bénéficiant pour eux-même d'une autonomie parfaitement appréciable et d'une plus grande liberté de mouvement que la branche aînée.
En effet, Lucius Malefoy, le fils aîné d'Abraxas, vivait dans le Wiltshire avec femme, enfant... Et parents, ce qui supposait une grande capacité à faire preuve de diplomatie en toutes circonstances, Abraxas et son épouse Nephtis étant d'un naturel plutôt contrôlant, voire carrément irascible lorsque les choses n'allaient pas dans leur sens. Narcissa était d'ailleurs la cible régulière de la mauvaise humeur chronique de sa belle-mère, ce qui n'arrangeait pas son propre moral.
Loin de tout ces tumultes, le jeune couple que formait Ignacius et Hortense pouvait donc d'une certaine manière apprécier sa solitude.
Cependant, ce matin-là, aucun n'avait vraiment le cœur à se réjouir et pour cause : Hortense Malefoy venait de faire un malaise en se levant, ce qui avait nécessité en urgence la venue d'un médicomage.
Encore une preuve, s'il en fallait, de la précarité extrême de sa santé. Hortense Malefoy née Nott souffrait en effet d'une malédiction du sang, très courante dans sa famille du fait de la consanguinité et qui la condamnait sans aucun doute possible à une mort prématurée.
Ignacius et Hortense végétaient donc dans leur manoir depuis le petit-déjeuner. Hortense, calée sur une chaise longue et une couverture sur les jambes, buvait son thé en essayant de se remettre de ses émotions. Jaody, l'elfe de maison, lui avait également apporté un chandail mais elle avait refusé de le mettre, ayant trop chaud pour cela.
Il faut dire qu'en ce mois de novembre, elle avait bien des raisons de se sentir mal. Déjà, pour miner son moral encore un peu plus, elle avait perdu un bébé environ un an plus tôt, après quatre mois et demi de grossesse et elle se sentait toujours aussi malheureuse que si le drame était arrivé la veille.
Depuis cet événement qui avait bien failli l'emporter, elle et son mari avaient renoncé à essayer d'avoir des enfants, surtout car Ignacius voulait à tout prix préserver la santé de sa femme, quitte à devoir se priver d'une succession et du réconfort de fonder une famille pour l'accompagner dans sa vieillesse, qu'il passerait sans doute bien seul.
De toute manière, disait-il pour essayer de cacher sa propre peine à sa femme, même si celle-ci ne se faisait guère d'illusions, ils avaient bien déjà un neveu...
Il était dix heure du matin lorsque Hortense soupira imperceptiblement et eut un pauvre sourire en voyant apparaître devant elle et Ignacius la forme pâle et translucide du petit fantôme qui habitait également leur demeure.
Âgé d'une dizaine d'années et répondant au nom de Conan Malefoy, il avait donc décidé de leur rendre visite dès le début de la matinée, percevant sans doute leur morosité. A présent, il la contemplait avec beaucoup d'inquiétude et de tristesse tandis qu'il les saluaient tous les deux.
- Nous ne t'attendions pas si tôt Conan, lui fit remarquer Ignacius avec douceur.
Le petit fantôme haussa les épaules et négligea de répondre à la remarque, comme souvent lorsqu'il ne jugeait pas utile de se justifier.
De toute manière, ils le voyaient pratiquement tous les jours, mais rarement aussi tôt car Conan préférait souvent les rejoindre alors qu'ils buvaient le thé en fin d'après-midi, étudiaient à la bibliothèque ou se promenaient dans le jardin. Personne d'autre qu'eux, y compris les autres Malefoy, ne connaissait son existence ni ses secrets. Ignacius ne l'avait découvert que trois ans plus tôt, peu après la première fausse couche d'Hortense, alors que le petit spectre errait perdu dans la salle aux armoiries du manoir comme s'il avait pleuré lui aussi la perte d'un être cher.
Depuis, ils l'avaient un peu comme adopté, le comptant comme l'un des leurs à défaut d'un véritable enfant et parce qu'ils éprouvaient à l'égard du petit spectre une affection sincère. S'il avait vécu au-delà de ces onze ans, Conan aurait été le grand-oncle d'Ignacius, le frère aîné de son père Abraxas et ainsi l'héritier de l'immense fortune des Malefoy. Eux-même n'auraient été qu'une de ces innombrables branches cadettes qui vivaient dans l'ombre des aînés des grandes familles.
Mais une dragoncelle foudroyante avait emporté Conan Malefoy dans la fleur de l'âge à en croire les membres les plus anciens de la famille. Et aujourd'hui, il ne restait plus de cet héritier éphémère qu'un petit spectre errant dans le manoir de Battle, là où il avait passé son enfance.
Comme quoi, le destin tenait parfois à bien peu de choses.
Ils en étaient là, à discuter avec Conan, lorsque la cheminée du salon se mit soudain à flamboyer, se parant de belles couleurs vertes :
- Qui est-ce ? Souffla Hortense en se redressant avec difficulté pour contempler l'âtre d'un air inquiet.
En effet, ils n'attendaient strictement personne ce matin-là et le flamboiement de la cheminée avait donc de quoi les intriguer, voire les inquiéter franchement :
- Qui est là ? Demanda Ignacius à son tour en s'approchant avec précaution, baguette brandie.
Au milieu des flammes, le visage de sa belle-sœur apparut soudain et il sursauta tandis que, prudent, Conan s'évanouissait dans une nuage de brume :
- Narcissa ? Demanda Hortense qui s'était levée avec difficulté derrière lui.
Dans les flammes, le visage de la sorcière hocha la tête et répondit :
- Bonjour, puis-je venir vous voir tout de suite ? Je suis en compagnie du Ministre Fudge et nous aurions besoin de vous.
Surpris, Ignacius n'en acquiesça pas moins tandis qu'Hortense appelait Jaody tout en se rasseyant avec précautions. Après tout, une visite ministérielle ne se refusait pas.
Pourquoi Fudge, le tout nouveau ministre de la Magie, venait-il les voir à l'improviste ? Et surtout, qu'est-ce que Narcissa avait à voir là-dedans ?