Mélopée susurrée.
La chanson à son oreille coule comme du miel, suave, écœurante et rassurante.
Elle se laisse porter par le bercement de ces bras familiers, de cette odeur, de cette voix, de ces cheveux parfumés qui lui couvrent le visage…
Elle inspire profondément et ses pauvres muscles crispés se relâchent.
Sécurité, elle se murmure maladivement à elle-même, tout va bien. Tu es en sécurité.
Le miel déborde, sucré, trop sucré.
Et comme chaque fois, les mots sont creux et cet instant de douceur bien trop éphémère.
Si facile à briser
Elle a beau serrer les paupières de toutes ses forces, lutter comme elle peut, comme chaque fois l’eau amère s’infiltre dans les failles, couvre de sel ses plaies, ravive la douleur et l’océan soudain la submerge de nouveau.
Brûlure.
Noir. Il fait noir. Tellement noir que le soleil ne reviendra jamais. La chanson s’éloigne, elle crie, elle veut la rattraper, se blottir à nouveau dans l’étreinte maternelle, pleurer comme un bébé. Trop tard. Elle est seule. Submergée. Elle appelle. Elle se tord en tous sens, elle essaye de s’échapper. La peur perfide est trop immense, elle l’écrase de sa silhouette, elle annihile tout le reste.
Encore vaincue.
Tu échoues tu échoues tu ne fais qu’échouer
La peur prend le dessus. C’est une terreur qui n’a rien de rationnel, une terreur qui hurle dans ses entrailles, une terreur primitive et immonde qui la fait vomir d’horreur, qui lui crie de fuir, de fuir, et son cerveau ne pense plus, tout n’est plus que douleur. Elle perd le contrôle, elle perd pied, elle vacille, elle tangue, elle est trop frêle dans la tempête qui se déchaine, elle n’a pas d’équilibre, elle tombe.
Elle hurle. A s’en déchirer la gorge et les poumons. Elle n’est plus rien, plus rien que ténèbres folles.
Elle entend les cris, les cris qui peuplent ses cauchemars. Les rires. Leurs mains sales. Ils la touchent. Ils la frappent. Ils lui font mal. Elle appelle mais personne ne vient. Elle se recroqueville mais les coups ne cessent pas. Ils lui arrachent son sourire, son innocence, ils la piétinent à leurs pieds. Elle tremble. Elle convulse sur le sol.
Elle bat des mains elle cherche l’air il n’y en a pas
Elle suffoque
Désespérée, elle libère ce qu’elle a enfoui si profond que ça la ravage. Les griffes du monstre la déchirent quand elle accouche de lui. Son bébé hideux, son bébé ignoble, cette partie d’elle qui se révolte. Elle a trop peur. Et le monstre se déchaine.
Le brouillard ne se dissipe pas. Elle pleure, elle supplie, elle reste longtemps à sangloter dans le sang et la peur qui a tout tâché.
Elle sent le monstre frapper, et à travers lui c’est elle qui frappe. Elle frappe sans voir, terreur aveugle.
Il n’y a plus de miel.
La chanson s’est éteinte.
Quand Albus et Abelforth arrivent enfin dans la pièce, ils ne trouvent que leur sœur au visage déformé d’épouvante, qui fixe sans la voir leur mère immobile.
Kendra a cessé de chanter. Elle a tout tenté pour la protéger. Par amour, elle a offert au monstre une victime sur laquelle se déchainer. Elle n’a pas frappé sa fille, elle n’a pas pris sa baguette pour lui lancer un sort, elle ne s’est pas débattue. Elle ne pouvait pas risquer de blesser sa petite.
Elle a chanté jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus et elle a ouvert ses mains. Si le monstre ne détruit rien il se détruira lui-même alors
Regarde, monstre. Je suis venue en paix. Je suis ta proie.
Parce que Kendra le sait, au fond. Sa fille n’est pas un monstre. Les monstres, c’est ceux qui l’ont meurtrie si fort, ceux qui l’ont mutilée.
Kendra gise, maintenant, dans le sang et les larmes.
Ariana n’a plus de voix pour hurler mais sa bouche s’ouvre quand même
Mélopée cassée.