Dans le fond de la cour arrière de la petite maison des Ombrage, en banlieue de Londres, Orford s’était construit un cabanon secret et privé. Celui-ci semblait à peine assez grand pour contenir une chaise et un bureau, n’avait aucune fenêtre, et Orford y passait presque tout son temps libre. Il en verrouillait la porte chaque fois qu’il en sortait, même si ce n’était que pour passer se chercher une collation dans la cuisine.
Depuis qu’elle était assez vieille pour comprendre le concept d’un mystère, Dolores ne rêvait que d’une chose : savoir ce que cachait ce mystérieux cabanon. Elle suivait son père quand il y entrait mais ne voyait que du noir quand il ouvrait la porte. Elle passait la journée assise contre le mur mais n’entendait jamais rien de ce qui se passait à l’intérieur, même quand elle y collait son oreille.
Peut-être son père allait-il y faire des siestes.
Puis, enfin, vint le jour, lors de sa neuvième année, où sa magie se manifesta. Sa mère lui avait servi pour déjeuner un scone accompagné de gelée à l’orange. Elle détestait la gelée à l’orange, mais Robin, son frère de six ans, l’adorait, alors leur mère en faisait tout le temps. Elle ferma les yeux, serra les poings, et se mit à hurler son outrage. Orford, qui pour une fois n’était pas dans son cabanon secret, fit irruption dans la cuisine.
— Qu’est-ce que c’est que ce vacarme ? jappa-t-il.
— Maman a encore fait de la gelée aux oranges, et j’aime pas ça ! sanglota Dolores.
Orford s’approcha de la table en deux grandes enjambées, s’empara du pot de confiture, y plongea le petit doigt et se le fourra dans la bouche. Après un instant, il rejeta le pot sur la table, où Dolores put voir que la gelée était rouge, et non orange comme elle l’avait été deux minutes auparavant.
— C’est de la fraise ça, fille, dit Orford.
Ellen s’approcha à son tour et jeta un regard perplexe à la gelée.
— Mais… Elle a raison, j’avais fait de l’orange, pour Robin… Je ne comprends pas…
Le regard d’Orford passa de sa femme à sa fille, puis son visage s’éclaira d’un grand sourire. Il serra une main autour du bras de Dolores et la tira avec lui vers la porte, ne lui laissant même pas le temps d’attraper son scone. Celle-ci ouvrit la bouche pour protester, mais se ravisa quand elle vit qu’ils se dirigeaient droit vers le cabanon secret. Allait-elle enfin voir ce qui se cachait à l’intérieur ?
Orford s’arrêta devant la porte et lâcha le bras de sa fille pour s’emparer du lourd cadenas qui la barrait. Il murmura un mot que Dolores n’entendit pas, et elle écarquilla des yeux avec un sursaut quand le cadenas s’ouvrit dans la main de son père. Celui-ci lui jeta un regard amusé en biais, ouvrit la porte, et l’invita à entrer avec un grand geste de bienvenue.
Soudain gênée, Dolores avança à petits pas, s’attendant à voir une toute petite cabane obscure, peut-être même avec des toiles d’araignée sur les murs. Ce qu’elle découvrit plutôt était un vaste salon au moins aussi grand que celui de leur maison, qui contenait un bureau couvert de papiers et une chaise, ainsi qu’un petit fauteuil encadré de bibliothèques croulant de vieux tomes. Dolores s’en approcha, émerveillée, et lut quelques-uns des titres. Histoire de la magie. Magie théorique. L’histoire de Poudlard.
— C’est quoi Poudlard, papa ?
— Une école de magie, Dolores. La meilleure école de magie du monde entier. C’est là où j’ai tout appris, et c’est là où tu apprendras tout toi aussi.
Dolores fronça les sourcils, confuse.
— Je vais apprendre la magie ?
— Tu es sorcière, fille, répondit fièrement Orford. Comme moi.
Quand elle comprit, Dolores sourit de toutes ses dents.
— Il faut le dire à maman ! s’exclama-t-elle.
— Non !
Orford s’agenouilla devant sa fille, le visage sérieux, et posa une main lourde sur chacune de ses épaules. Trop surprise pour réagir, Dolores attendit l’explication
— Ta mère n’est pas sorcière, dit Orford. Elle est ce qu’on appelle une Moldue.
Il avait presque craché le mot, comme s’il avait un mauvais goût.
— La magie sera notre secret à tous les deux. Ma magie, ta magie. Tu es d’accord ? On ne dit rien à Ellen ni à Robin ?
Dolores réfléchit quelques secondes, puis ses lèvres s’étirèrent en un mince sourire.
Elle aimait les secrets.