Jeudi 1er août 2013
Confortablement installé dans le salon de ses amis Angelina et George, Lee feuilletait tranquillement la Gazette du Sorcier du jour. Il tournait les pages du journal un peu machinalement car il ne trouvait pas beaucoup d'informations passionnantes. Comme toutes les éditions depuis le début de la semaine, une double-page était consacrée au débat autour de la volonté d'interdire les jeunes sorciers et sorcières de pratiquer la magie avant la fin de leur enseignement à Poudlard. Cela faisait plusieurs mois que ce débat faisait les gros titres de la presse sorcière. Olivia Bailey la figure de proue à l'origine de cette proposition était redoutable et avait su au fil des mois rallier de nouvelles personnes à sa cause. Leur argument principal était que les jeunes d'aujourd'hui étaient moins responsables que ceux d'avant. Cette rengaine du « c'était mieux avant » avait le don d'irriter Lee. On leur reprochait leur insouciance, mais pouvait-on réellement les blâmer de ne pas avoir connu la guerre et des temps plus sombres. Pouvait-on réellement les blâmer alors que c'était les générations précédentes qui les avaient élevés ainsi, les protégeant, les épargnant de la pression, de la crainte et des sombres temps qu'eux-mêmes avaient connus. Lee n'était pas certain que c'était une bonne façon d'aborder la question.
C'était une belle journée d'été, Lee ne travaillait pas, alors il comptait bien en profiter. Il espérait que son filleul aurait envie de passer du temps dehors, pour le moment il ne s'était pas montré au rez-de-chaussée. La maison était silencieuse. George avait rejoint sa boutique sur le Chemin de Traverse avant le lever du soleil. Le matin même ils devaient recevoir une grosse livraison qui viendrait réapprovisionner les stocks afin d'éviter la pénurie lorsque tous les futurs élèves de Poudlard viendraient faire leurs emplettes. Angelina quant à elle travaillait au Ministère de la Magie pour le département des jeux et sports magiques, Lee l'avait croisée quand il était apparu dans leur cheminée vers 8h30. Il était désormais presque 10h et aucun bruit ne lui parvenait du premier étage. Décrétant qu'il n'apprendrait rien de plus de ce journal, il le replia et le déposa sur la table basse du salon et quitta le douillet fauteuil pour rejoindre la cuisine. D'un coup de baguette il fit léviter la bouilloire, la remplit d'eau et la mit à chauffer. Il choisit un thé à la bergamote. Il aimait bien cette saveur et la prenait à chaque fois qu'il venait chez ses amis, cependant il ne pensait jamais à en acheter pour chez lui. C'était un thé qu'il buvait uniquement chez ses amis. Il savourait sa tasse de thé lorsque la plus jeune de la famille Johnson-Weasley arriva toute guillerette dans la cuisine.
- Bonjour Lee !
- Bonjour Roxy ! Qu'est-ce qui te met de si bonne humeur de bon matin ?
- Aujourd'hui je passe la journée avec Priya, ça fait longtemps que je ne l'ai pas vue, je suis trop contente.
- Mais je croyais que vous vous étiez vues en début de semaine ?
- Hum, en effet, sourit Lee. Ça fait au moins une éternité.
Lee savait que Priya était la meilleure amie de Roxanne depuis qu'elles étaient toutes petites. Priya était la fille d'une des jumelles Patil qui étaient de la même année que Ron, Harry et Hermione. Les deux fillettes s'étaient rencontrées dans le square voisin. Leur première rencontre ne s'était pas faite sans difficulté puisque Priya en jouant avait écrasé le pied de Roxanne. Cette dernière avait beaucoup pleuré sur le coup. Finalement les deux fillettes s'étaient reparlé par le biais de leurs parents respectifs et ne s'étaient plus jamais quittées.
- Qu'est-ce que tu veux pour ton petit déjeuner ?
- Heu, qu'est-ce que tu me proposes ? répondit la jeune fille.
D'un délicat coup de baguette Lee ouvrit le frigo pour en observer son contenu.
- Alors, je peux te proposer des œufs brouillés...
- Avec du bacon grillé, ajouta la plus jeune en désignant le paquet de charcuterie.
- Oui, je peux faire ça et il reste même de quoi te faire quelques toasts bien chauds si tu veux ?
- Parfait, je vais me régaler ! s'exclama la jeune fille.
Lee se mit en action et quelques minutes plus tard il déposa une assiette bien garnie devant Roxanne.
- Bon appétit !
- Merci Lee !
Roxanne savourait les dernières bouchées de son assiette lorsque son frère pénétra à son tour dans la pièce en traînant des pieds.
- Bonjour Freddy !
-'jour !
- Réveil difficile ?
- Mouais, marmonna-t-il en s'asseyant le regard rivé sur la table.
Roxanne se leva de table et disparu à l'étage pour terminer de se préparer. Un silence pesant envahit la cuisine.
- Tu souhaites manger quelque chose Freddy ?
Le jeune homme finit par relever péniblement la tête, comme si cette dernière pesait une tonne, d'un regard circulaire il scruta les aliments qui se trouvaient sur la table.
- Je veux bien des tartines s'il-te-plaît Lee.
- La confiture d'abricot est toujours ta préférée ?
Fred hocha la tête pour confirmer. Lee tartinait les tranches de pain grillé lorsque Roxanne réapparut vêtue d'un short en jean, d'un tee-shirt bleu, ses cheveux mi-longs tirés en une queue de cheval.
- Lee, tu restes manger avec nous ce soir ? questionna-t-elle en enfilant ses baskets.
- Ta mère ne m'a pas vraiment laissé le choix.
- Oui, elle sait se montrer très convaincante et papa a décidé de cuisiner ton plat préféré.
- C'est ce que j'ai cru comprendre.
- On voulait être sûr que tu resterais, rigola-t-elle.
La jeune fille se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue.
- A ce soir Lee !
- Amuse-toi bien !
- Oh pour ça il ne devrait pas y avoir de problème. A ce soir Fred !
- Salut, répondit froidement le garçon.
Lee perçut de la tristesse dans les yeux de Roxanne lorsqu'elle quitta la maison. Il eut un pincement au cœur en repensant à la complicité qui unissait les deux enfants un an auparavant. Une fois les tartines terminées il les envoya devant Fred qui s'empressa de les savourer.
- Tu vas finir par me le dire ? demanda Lee.
- Te dire quoi ?
- Ce qui tourmente ton esprit comme ça.
Fred attrapa une nouvelle tartine de pain, l'inspecta sous toutes les coutures avant de décider par quel bout la manger.
- Y'a rien Lee.
- Oui c'est sûr que c'est habituel pour toi de te montrer froid avec ta sœur et de tirer une tronche de trois mètres de longs, ironisa-t-il.
- Elle a essayé de m'aider pour que la magie se déclenche en moi, mais ça n'a strictement rien fait.
- Et c'est ça qui te contrarie ? Enfin je veux dire pour la magie je comprends que ça te contrarie mais sur le fait que ta sœur essaie de t'aider.
Fred fit une petite moue avec sa bouche, il paraissait gêné d'un coup.
- Il s'est passé autre chose, c'est ça ?
- Je me suis énervé, je lui ai dit qu'elle était nulle et...
- Et quoi ?
- Et qu'elle sera bien contente d'être débarrassée de moi quand elle sera à Poudlard. Et elle, elle a fini par me dire que si la magie ne s'est pas déclarée en moi c'est parce que je passe trop de temps avec des enfants moldus. Je ne voulais pas la croire mais j'y ai pensé toute la nuit et ça m'a empêché de dormir. Tu crois que c'est possible Lee ?
- Mais non Fred, ce n'est pas possible. Regarde il y a des nés-moldus qui sont sorciers et leurs pouvoirs se manifestent un jour même s'il n'y a pas de magie autour d'eux.
- C'est vrai tu as raison, je n'avais pas pensé à ça. Et Roxanne, tu crois qu'elle m'en veut ?
- Je crois que pour elle c'est oublié, mais ton « salut » froid de ce matin lui a fait de la peine.
- C'est vrai que je n'ai pas été sympa, mais je me suis souvenu qu'elle allait voir son amie qui vient d'une famille de sorciers. Elle elle a des amis sorciers et moi des amis moldus, j'ai trouvé ça injuste du coup, surtout avec ce qu'elle m'a raconté hier soir.
- Je te l'ai dit cette explication n'est pas possible.
- Oui je sais mais sur le coup je n'arrivais pas à penser à autre chose. A ton avis c'est plus facile d'être un sorcier dans une famille de moldus ou alors un cracmol dans une famille de sorciers ?
- Je ne sais pas trop Fred, c'est une très bonne question. Les moldus ne connaissent pas le monde des sorciers alors que les sorciers peuvent connaître plus facilement le monde des moldus car il n'est pas caché.
- Et j'avais une autre question mais en fait je ne sais pas trop si j'ai envie d'entendre la réponse.
- Tu m'intrigues-là ! Tu en as trop dit ou pas assez.
- J'me demandais, si tu... si tu m'... situmaimerastoujourssijesuiscracmol ?
- Si je t'aimerais toujours si tu es cracmol, c'est bien ça ta question ?
Fred hocha la tête puis riva ses yeux sur son parrain, guettant avec attention sa réponse.
- Mais bien sûr mon chéri, comment peux-tu croire que cela changerait quelque chose pour moi.
Lee s'approcha de son filleul et le serra chaudement dans ses bras, il sentit ses épaules se relâcher un peu. Il prit conscience à quel point cette histoire mettait sous pression le jeune garçon. Les deux enfants Johnson-Weasley avaient moins d'un an d'écart. L'aîné Fred était né le 21 septembre 2002 tandis que la cadette s'était montrée le 28 août 2003. Ils avaient rapidement compris qu'ils effectueraient leur entrée à Poudlard la même année et cela les enchantaient au plus haut point. Une forte complicité unissait les deux enfants depuis leur plus jeune âge. Puis Roxanne avait réalisé un premier sortilège et quelque chose s'était un peu délité entre eux. Ce n'était pas vraiment palpable, mais Lee l'avait rapidement senti. Roxanne avait déjà sa place à Poudlard et Fred avait peur de ne jamais avoir la sienne. La question des pouvoirs magiques, de Poudlard étaient rapidement devenus des discussions sujettes à tension au sein de cette famille. Puis les sujets à tension s'étaient métamorphosé en sujets tabous.
Le jeune Fred avait toujours pu trouver une oreille attentive auprès de son parrain. Lee savait que cette situation était compliquée à vivre pour lui. S'il avait pu il n'aurait pas hésité à se transformer en la version masculine de cette marraine de conte de fée moldu qui réalise le rêve de sa filleule grâce à sa baguette magique. La baguette de Lee ne lui serait malheureusement d'aucune utilité face au désarroi de Fred. Depuis que les pouvoirs de Roxanne s'étaient déclarés, Lee se montrait encore plus attentif à son filleul qu'il ne l'était déjà avant. Ils se voyaient au moins une fois par semaine pour le plus grand bonheur du jeune garçon. Et cela faisait aussi un bien fou à Lee car il s'évadait ainsi de son travail et des tensions qui y régnaient.
Lee était psychomage à l’hôpital Sainte-Mangouste depuis huit ans. Il adorait ses collègues, il avait un très bon contact avec ses patients. Lors de sa prise de poste, il avait été accueilli par Maggie Walker, la psychomage-en-cheffe. Elle l'avait épaulé et soutenu durant ses premières années. Il vouait une grande admiration pour cette femme. Il aimait sa façon de travailler, ce calme qu'elle gardait même face à des patients irrespectueux et colériques. Elle était partie à la retraite l'année passée et cela se passait beaucoup moins bien avec son successeur, Tim Hayes. Lee et lui ne partageaient pas du tout les mêmes valeurs et la même vision de leur travail. Lee pensait avant tout au bien-être des patients quand son chef parlait rentabilité. De nouveaux outils de contrôle avaient émergé peu à peu. Il fallait faire des rapports encore plus qu'avant pour tout et pour rien, justifier tout ce qui était fait. Parfois Lee se demandait si un jour on ne leur demanderait pas de justifier leur pause toilettes. Cette lourdeur administrative était pesante. Lee passait moins de temps avec ses patients et cela le contrariait beaucoup. Mais lorsqu'il prenait plus de temps avec eux il prenait du retard sur l'administratif et sortait tard le soir de Sainte-Mangouste.
Il était à ce moment de sa vie où il se posait beaucoup de questions sur son travail. Continuait-il toujours à s'y épanouir ? Il essayait de trouver un équilibre pour pas que son travail devienne trop néfaste pour son moral.
Fred et Lee passèrent une bonne partie de la journée au square à profiter de cette belle journée ensoleillée. Fred était content de s'amuser avec ses amis. Cela faisait du bien à Lee de se retrouver au milieu d'un square avec des enfants dont le seul mot d'ordre était de s'amuser le plus possible.
La soirée s'était très bien déroulée. Fred et Roxanne avaient pu discuter et apaiser leur relation. Chacun s'était excusé pour les mots qui avaient dépassé leur pensée. Le repas s'était passé dans la joie et la bonne humeur. Puis lorsque les bâillements des deux plus jeunes se firent très rapprochés, l'heure du coucher fut déclarée.George monta avec les deux petits monstres pour leur lire une histoire et les border dans leur lit tandis qu'Angelina proposa à Lee de s'installer dans le salon. Elle le rejoignit quelques minutes plus tard, munie de chopes remplies de Bièraubeurre. Elle lui en donna une, en garda une pour elle et glissa la dernière vers le fauteuil qu'occuperait bientôt George. Elle s'installa sur le canapé à côté de Lee.
- Lee, est-ce que tout va bien ? s'intéressa-t-elle.
- Je...heu...oui.
- Tu sembles préoccupé dernièrement. On trouve que tu as changé.
- On ?
- Oui, George et moi. Enfin je suppose qu'il ne t'a rien dit, il n'est pas très à l'aise avec tout ça, alors il est dans l'évitement. Tu nous le dirais si quelque chose n'allait pas ?
- C'est vrai que ça ne va pas en s'arrangeant côté travail.
- Ah zut, ton chef vous mène toujours la vie dure ?
- J'essaie de ne pas me laisser submerger par tout ça, mais ce n'est pas toujours facile, en plus en ce moment Lindsay travaille sur un gros dossier, elle part tôt et rentre tard. On se croise à peine. Tout ça cumulé c'est vrai que ce n'est pas top.
- J'en ai entendu parler de ce fameux dossier. J'ai croisé Lindsay en début de semaine dernière et elle paraissait en effet crouler sous le travail. Elle ne m'a même pas vue.
- Normalement ce sera bouclé à la fin de l'été, donc on se verra un peu plus et les choses rentreront dans l'ordre.
- Oui tu as raison, même si je n'aime pas y penser, la fin de l'été va venir vite.
Lee prit une gorgée de bièraubeurre, la fraîcheur de la boisson lui fit du bien. Ses yeux se posèrent sur une photo de Fred et Roxanne qui devaient dater de l'hiver précédent. On voyait les deux enfants s'amuser dans la neige, ils riaient aux éclats et la complicité entre eux crevait les yeux.
- J'espère qu'ils ne perdront jamais cette complicité, fit remarquer Angelina qui regardait dans la même direction que son ami.
- Même s'ils ont des hauts et des bas, ils finissent toujours par se réconcilier.
-Je voulais te remercier pour tout ce que tu fais pour Fred. Il n'aurait pas pu espérer un meilleur parrain.
-Avec plaisir, tu sais que je l'adore ce gosse ! Mais en ce moment ce n'est pas facile. Enfin tu le sais aussi bien que moi, tu vis au quotidien avec lui. J'ai toujours peur de lui dire quelque chose qu'il ne faut pas.
- Je ne te cache pas que c'est difficile à gérer au quotidien, ça l'obsède complètement et en même temps je comprends. J'aimerais lui dire qu'il n'y a pas que Poudlard dans la vie. D'un côté je me dis qu'il faut envisager cette éventualité et de l'autre je me trouve horrible.
- C'est ton côté réaliste qui s'exprime. Le plus important c'est d'être présent pour lui.
George les rejoignit, ils discutèrent un long moment de tout et de rien, refaisaient le monde à leur manière. C'était une belle façon de conclure une belle journée d'été. Lorsqu'il franchit la cheminée pour rentrer chez lui, Lee se fit la réflexion que la vie pouvait être simple parfois et ça lui fit beaucoup de bien.