“But the horror... The horror was for love. The things we do for love like this are ugly, mad, full of sweat and regret. This love burns you and maims you and twists you inside out. It is a monstrous love and it makes monsters of us all.”
Crimson Peak (Guillermo del Toro, 2015)
J’ai tué Ariana. J’ai tué Ariana parce qu’elle nous empêchait de partir. J’ai tué Abelforth, aussi, quand il s’est dressé en hurlant sur son cadavre. J’étais prêt à l’épargner. Mais mon idiot de cadet s’est mis à vociférer, perdu dans sa rage, et il a dit qu’il nous dénoncerait tous les deux, qu’il m’enverrait à Azkaban, qu’il t’enverrait à la mort parce que tu n’étais qu’un monstre, un salaud, un meurtrier, et que tu m’avais perverti. Abelforth n’a jamais été très intelligent. Il aurait dû savoir mieux que de te menacer devant moi. Ma baguette a bougé toute seule. Un éclair vert, et je n’avais plus de famille.
J’étais seul. J’étais libre. Je me suis retourné, tu avais les yeux plus brillants que d’habitude, comme si je venais de t’offrir leurs vies en sacrifice et que tu t’en repaissais. Mon Dieu. Tu as souri, et j’ai su que tu étais fier de moi. Tu m’as embrassé, tordu entre tes doigts notre Pacte de Sang, et nous sommes sortis du village.
Dans quelques heures, ta tante Bathilda découvrirait les cadavres, elle s’en évanouirait presque. Après, elle découvrirait notre fuite. Mais qui dépêcherait des Aurors contre deux adolescents tout juste majeurs, déjà disparus dans la nature ?
Ils en ont envoyé deux à nos trousses. Ils se sont volatilisés au fond d’un bois polonais. Tu avais ta main dans la mienne, tu riais. Pourtant, tu n’as jamais aimé les contacts autre que dans le soir, dans le lit se fondant dans le noir.
J’avais rêvé de faire le tour du monde.
Nous avons fait le tour du monde.
Tu es devenu un fabuleux étranger. Pas plus étranger que dans nos moments d’intimité à Godric’s Hollow, pas plus familier alors que nous avons tout partagé, traçant un nouveau chemin. J’avais tout quitté pour toi. Je me réveillais dans ton lit, tu me parlais avec une fascination qui ne s’épuisait pas, je ne m’épuisais pas non plus à m’émerveiller de toi, tu avais des accès de fièvre où tu montais sur les tables pour faire des discours, et le monde basculait dans ton élan, et je basculais aussi. J’étais heureux. J’étais en paix.
Nous avons préparé la révolution.
J’étais calme, droit, j’ai tempéré tes errances, tes ivresses. Tu étais là pour tout renverser, j’étais prêt à t’épauler, à reconstruire. Tu étais éclatant de charisme, tu séduisais tous ceux que nous rencontrions, et j’étais ton ombre, l’ombre la plus solide qui soit. Nous nous sommes lancés dans la quête des Reliques, première étape de la Révolution. Tout en les cherchant, nous en avons propagé le mythe. Les élites se sont pendues à nos langues, le peuple a écarquillé les yeux. Les hommes aiment les légendes.
Avant tout, tu désirais la Baguette de Sureau. Nous nous sommes introduits chez Gregorovitch. Tu riais aux éclats en la tenant enfin dans ta main. Je n’ai pas voulu déranger ton plaisir, je t’ai laissé te réjouir, j’ai tué Gregorovitch moi-même. Le soir, quand nous avons fait l’amour, quand je t’ai dit que tu étais invincible, du ton de la constatation, pour la première fois, tu as paru plus ému que moi. Tu as pris mon menton, féroce.
- Nous sommes invincibles.
J’ai fermé les yeux.
Tu voulais la Pierre. Tu m’as décrit en termes enflammés ton rêve d’une Armée d’Inferis. Pas ton rêve : ta vision. Ton don a fait tressauter tes yeux et tu as dit d’une voix autre que la tienne :
- Le monde croulera sous le poids des cadavres.
J’ai fermé les yeux.
J’ai acquiescé. Je croyais encore à nos idées de magie grise. Pas ta magie noire, pas ma magie blanche, une magie plus puissante que tous car elle s’approprierait les deux. Ma magie à moi commençait à sentir le brûlé et les ruines. L’extension de moi-même pourrissait avant moi.
Un avant-goût du reste.
La Pierre était détenue par une très vieille famille sorcière, descendant de Cadmus Peverell lui-même. Tu as fait brûler le splendide manoir des Gaunt, tu as torturé le patriarche jusqu’à ce qu’il nous remette la Pierre. Il la portait à son doigt. Tu avais le dos tourné quand son fils, un pauvre garçon au visage tordu d’une vingtaine d’années, s’est enfui. Je n’ai pas bougé.
Tu m’as tendu la Pierre, rayonnant de triomphe. J’ai pensé à Ariana, à Abelforth, à ma mère. A mon père. J’ai décliné. Je t’ai embrassé à la place, pour me rappeler ma profession de foi. A toi seul, tu étais toutes mes raisons de vivre.
Tu as réuni nos nouveaux partisans autour d’une longue table, dans un château que tu avais fait bâtir pour nous. Pour toi, descendant de nobles autrichiens déshérités, à qui on a retiré la propriété familiale, et pour moi, parce que je t’avais suivi, comme un gage de fidélité. Peut-être comme gage d’amour, j’ai pensé, mais je ne l’ai pas exprimé. Gellert Grindelwald n’aime personne. Tu es insaisissable, et l’amour est une chose dangereuse à dire.
Tu y as fait graver ta devise, celle que je t’ai offerte, notre devise.
Pour le Plus Grand Bien.
Tu as massacré les habitants des environs, pour les faire ensuite sortir de terre, marionnettes macabres.
Auréolé de ton génie, la Pierre au doigt, tu étais magnifique. J’ai suggéré quelques améliorations au sortilège. J’en ai inventé un deuxième, qui supplantait le premier.
J’ai fermé les yeux.
Tu m’as proposé la Sureau. Je n’en ai pas voulu. J’aime ma baguette. Elle ne m’a jamais fait défaut. Tu as hoché les épaules, un geste facile, et tu l’as gardée. Tu m’as montré la vue du haut de notre château. Du haut de Nurmengard, tout est petit et nous sommes grands. Regarde, Albus, tu as dit.
- Nous sommes les maitres du monde.
J’ai hoché la tête. C’était vrai. Dumbledore et Grindelwald, les journaux titraient. Les leaders glorieux de la révolution. Les génies fous. Les amants meurtriers. Les maitres du monde.
J’ai fermé les yeux.
12 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, j’ai fêté mes 30 ans. Nous avons découvert les 12 propriétés du sang de dragon. J’ai publié les travaux. La communauté sorcière les a applaudis. On m’a proposé un poste de professeur de Poudlard. Probablement parce que nos sympathisants progressaient au Ministère. J’ai accepté. J’ai quitté Nurmengard.
Un an après, Octave Rosier, second de Nurmengard, est devenu Ministre de la Magie français, grâce à l’appui de quelques soutiens bien placés. Au même moment, étroitement surveillé par Torque Travers, qui a fait de ta défaite son obsession, Gellert, j’ai abandonné mon poste de professeur. Puisque j’ai été ton ombre, je ne suis pas encore compromis, et les journaux, les politiques, l’opinion publique, m’aiment encore plus que toi. Tu es le beau parleur déjà tâché de sang, et tes exactions en Hongrie et Bulgarie font parler. Je suis le sage professeur, le beau prodige, celui qui a fait s’extasier tous ses professeurs en réapparaissant, je suis Albus Dumbledore, et personne ne se souvient de l’été 1899.
C’est sans doute pour cela qu’Archer Evermonde m’a fait appeler. Il est fraichement élu, sympathique, et il est dans la tourmente. Les Moldus se sont déclarés la guerre, et Archer s’est révélé incapable de jouer son rôle diplomatique. Il a publié une loi d’urgence, qui interdit aux sorciers et sorcières d’intervenir dans le conflit, pour ne pas briser le Code du Secret Magique, ce même code que nous haïssons si fort, toi et moi, Gellert. Ce symbole de notre oppression. Je l’ai conforté dans son sentiment, j’ai approuvé la loi. Comme prévu, rapidement, des familles déchirées, des larmes, de la rage, se sont formées à mesure que sur le front, les Moldus s’entre-massacraient, les sorciers coincés entre eux. Des images ont fait les unes mondiales : une Médicomage désespérée, des yeux agrandis par la peur, le visage souillé de fumée, les larmes sur ses joues. Des dragons à l’agonie sur un champ de bataille ravagée. Des cadavres jonchant le sol. Comme prévu, la loi Evermonde ne provoque que l’incompréhension. De toutes parts, on s’interroge. Rester cachés alors qu’ils s’entretuent, rester cachés alors qu’on pourrait mettre fin au carnage, rester cacher alors qu’on meurt aussi.
Par l’intermédiaire du Pacte, toujours à mon cou, tu m’as appelé. Tu souriais. Tu m’as dit que la révolution approchait. Cette guerre mondiale des Moldus n’a fait que renforcer la peur, n’a fait qu’attiser la colère, que creuser le gouffre. Beaucoup, beaucoup, veulent sortir de l’ombre. Ils vont le faire, et nous allons les guider.
J’ai fermé les yeux.
J’ai fait partie des diplomates qui ont signé les accords post-guerre avec le Premier Ministre moldu.
On m’a offert le poste de président du Magenmagot. Torque Travers n’a pas été ravi. Toi, si.
Tu as débuté des meetings clandestins. Comme toujours, tu avais vu juste. Beaucoup, beaucoup de gens voulaient que tu les guides.
26 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, j’ai appuyé l’élection d’Hector Fawley au Ministère de la Magie. Je l’avais croisé dans les couloirs du Ministère, alors que des dirigeants hauts-placés murmuraient à propos de toi et des rumeurs qui te disaient la nouvelle menace du siècle. Hector Fawley a éclaté de rire. J’ai ri aussi, mais pas pour les mêmes raisons.
Bien sûr, Hector Fawley n’a rien vu venir. Pendant ce temps, tu as élargi tes meetings et j’ai eu besoin de plus de gloire que celle de l’ombre, alors je t’y ai rejoint.
Tu avais une nouvelle seconde en chef de Nurmengard. Elle était très belle. C’était la fille d’Octave Rosier, une jeune femme très douée que tu avais pris sous ton aile. Elle s’appelait Vinda. J’ai laissé la jalousie lacérer mes poumons de ses griffes. J’ai déployé au meeting mes derniers sortilèges. Du jamais-vu. De l’impossible. Tu n’as pas regardé Vinda Rosier une seule fois.
Malgré les rumeurs du soutien que je t’accordais, de nombreuses personnalités influentes ont soutenu ma candidature à la Confédération Internationale des sorciers. Dont Hector Fawley. Comment pouvais-je soutenir une chimère ?
40 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, j’ai été élu Manitou Suprême de la Confédération Internationale des Sorciers.
Le soir de mon élection, tu as tenu un meeting en partageant la dernière de tes visions. Particulièrement frappante. Une seconde guerre mondiale des moldus, pire encore que la première. Dans l’assistance, des gens ont hurlé, d’autre ont pleurés, certains se sont évanouis. La première guerre a semé efficacement la peur, et tu l’as faite fleurir.
J’ai entrepris de rédiger une révision du Code International du Secret Magique. Habilement, à la fois pour rassurer l’opinion, et ne pas froisser les dirigeants. Séraphina Picquery s’est opposée fermement à ce projet.
Elle a été assassinée quelques mois après à son domicile. Après cela, peu de voix opposées se sont faites entendre. Plutôt que d’abolir directement le Code, nous avons convenu tous les deux d’y ajouter quelques articles. Les uns après les autres, ils ont progressivement entrepris l’abolition totale.
Comme tu l’avais vu, la seconde guerre des moldus a éclaté. Fidèle à toi, leur voyant, leur prophète, nos sympathisants se sont ralliés en masse à la cause.
Il n’a pas semblé incongru, alors, malgré une légère résistance, de te nommer chef de l’incarcération de la Convention Internationale à la place de Rudolph Spielman.
Tu as incarcéré en masse les opposants à la cause à Nurmengard.
J’ai fermé les yeux.
Le nouveau Ministre anglais, Leonard Spencer Moon, était un homme sensé. Il voulait simplement calmer l’agitation ambiante. Et conserver son poste, au passage. Il a suffi de quelques persuasions pour qu’il accepte, entrainant avec lui d’autres chefs de gouvernement étrangers, de mettre en place notre dernière trouvaille. Les milices.
Elles ont réprimé toute opposition dans le plus grand silence.
Tu étais le visage pour nos troupes, j’étais le visage pour le peuple. Nous rassurions, chacun à notre manière. Tu étais sauvage, j’étais poli et maniéré.
J’ai développé un gout pour les bonbons au citron.
J’ai fermé les yeux.
Tremblant sous la guillotine de tes cils.
Il y a eu des attentats. Contre moi. Ils ont échoué. Contre toi. Ils ont échoué. J’étais un génie, tu avais la Sureau. Comme tu l’avais prédit, nous étions invincibles. En pleine guerre moldue, nous avons aboli totalement le Code. Dans l’agitation, les gens ont enfin pu laisser libre court à leur fureur, à leur peur. Ils ont enfin pu se jeter à leur tour sur les champs de bataille, sauver leurs proches, leur empêcher la mort. Ils ont pu sortir à l’air libre et laisser éclater leur magie. Leur don.
J’ai repensé à Ariana.
J’ai fermé les yeux.
La guerre s’est terminée rapidement. Nous avons capturé les dirigeants moldus, nous leur avons imposé nos conditions. Nos milices se sont déployées dans la rue. Il n’était plus temps pour eux de crier « Sorcières » et de dresser des buchers. Pas lorsqu’ils avaient la baguette sous la gorge, et que nous n’étions plus les traqués, les terrorisés.
J’ai suggéré de leur montrer les bienfaits qu’ils retireraient de l’oppression, j’ai suggéré de leur montrer à quel point la magie est puissance, à quel point elle est merveille.
Il y a eu des résistances. Les moldus ont pris les armes. L’un d’eux m’a mis en joue alors que nous étions en visite officielle. Tu l’as tué avant même que je sorte ma baguette. La Sureau a brillé dans les airs, insolente, terrifiante. Le moldu s’est écroulé à mes pieds.
47 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, j’ai regardé le cadavre à mes pieds et j’ai songé à ces lettres que nous nous envoyions toute la nuit durant. Je t’avais écrit, alors :
- Nous prenons le pouvoir POUR LE PLUS GRAND BIEN. Il en découle que lorsque nous nous heurtons à une résistance, nous ne devons utiliser que la force nécessaire et pas plus.
A l’instant où, en pensée, je revoyais les mots tracés sur ce papier, tu jetais à Nurmengard une douzaine de hauts-dirigeants, et les milices appuyaient contre le mur des otages moldus pris pour exemple.
Les éclairs verts ont jailli.
J’ai fermé les yeux.
J’ai reçu beaucoup de lettres anonymes. On me suppliait de mettre fin à cette folie. J’ai brûlé les lettres.
L’horreur était pour l’amour. Qui pouvait comprendre ?
J’allais toujours suivre le seul être au monde qui pouvait me comprendre. On ne perd pas un trésor pareil. Je préférais le sang à la solitude éternelle.
Une vie sans toi aurait été la solitude éternelle.
J’ai fermé les yeux.
J’ai fait beaucoup de conférences. J’ai fait des démonstrations des plus beaux sorts connus, et d’autres que je venais d’inventer. Les moldus ont retrouvé des yeux d’enfants, leur bouche pourtant tordue de dégout.
J’étais fatigué.
Un soir, je me suis réveillé en sursaut. Tu dormais. C’était comme un miracle étrange. Tu ne dormais jamais. Après l’amour, je savais que tu allais à ton bureau écrire et réfléchir. Mais tu étais là, tu dormais, pas un pli sur ton visage parfait. Peut-être que le sommeil finit un jour par atteindre même les dieux. Je me suis redressé prudemment, je t’ai fixé. Je n’avais pas perdu une once de mon adoration pour toi. En revanche, j’avais perdu toute l’admiration que je me destinais à moi-même. J’ai fixé ensuite la Sureau que tu tenais dans ta main. Il suffirait de te la prendre, et tu ne serais plus invincible. J’ai ignoré la voix dans ma tête qui disait que tu n’as jamais été invincible, et qu’il n’y avait que le collier que je portais en permanence qui te rendait ainsi.
J’ai fermé les yeux.
Un jour, tu m’avais avoué, dans le secret de cet été à Godric’s Hollow : C’est toi qui me vaincras. Je ne pourrais jamais te tuer.
Je croyais que tu te moquais de moi. Tu t’étais toujours moqué de mes faiblesses, de mes maladresses face à toi, de l’amour à demi-mot que je te portais. Et puis, toi, le dieu si orgueilleux, comment aurait-tu pu admettre une chose pareille ? Et pourtant tu l’as dit de ta voix de voyant, avec un air amusé, comme si ça venait de t’échapper.
Je ne pourrais jamais te tuer.
50 ans après ce murmure glissé à mon oreille, je portais dans mon cœur le secret pour t’abattre. Je n’ai rien fait. Ce secret, gardé égoïstement dans les recoins de ma mémoire, c’était la seule chose qui s’apparentait à un espoir. L’espoir que peut-être, je n’étais pas seul dans l’amour. L’espoir ridicule et fou que tu m’aimais aussi. Je savais bien que c’était impossible. Tu étais de marbre et de glace. Tu ne ressentais rien de plus fort pour moi qu’une immense admiration, que le respect que tu n’avais jamais accordé et n’accorderai jamais à personne d’autre. Je le savais. Mais j’étais une créature avide, égoïste, et je voulais plus. Alors j’ai gardé cet espoir bien enfoui. Et je n’ai rien fait de ton secret.
J’ai fermé les yeux.
Au fond, je savais bien, que si tu ne pourrais jamais me tuer, ce n’était pas parce que tu m’aimais mais parce que moi aussi, j’étais le seul à te comprendre. Même les dieux aiment être vus. Même les dieux veulent être écoutés. Même les dieux désirent être compris.
J’ai fermé les yeux.
Ariana a commencé à chanter. Elle chantait beaucoup, avant que ces Moldus ne l’agressent et ne rongent sa voix pour qu’elle n’exprime plus que de la terreur. Elle chantait beaucoup. C’était un détail, mais ça m’a chaviré le cœur. Je n’avais pas repensé de cette manière à elle depuis que je l’avais estimé un sacrifice nécessaire pour notre liberté.
Je me suis penché vers toi, toujours assoupi, et je t’ai chuchoté à mon tour mon secret :
- Je ne peux pas vivre avec toi. Je ne peux pas vivre sans.
J’ai fermé les yeux.
54 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, je me suis regardé dans le miroir et j’y ai vu un monstre.
J’ai fermé les yeux.
Je les ai rouverts.
Tu avais vu juste, dans ta vision, des années auparavant : le monde croulait sous le poids des cadavres.
Et ce n’était plus supportable.
Les yeux ouverts de force, j’ai t’ai regardé pour la première fois depuis 54 ans, et j’ai vu ce que je savais.
Tu étais fabuleusement fou.
Et l’horreur s’écœurait elle-même de se justifier par l’amour.
Le Plus Grand Bien était un mensonge. Le rêve d’un malade.
Le rêve de deux malades.
Je n’ai rien dit, rien laissé paraitre. Je ne pouvais pas le faire devant toi. Je ne pourrais plus si je te voyais. J’ai attendu que tu partes à Nurmengard visiter Vinda et ses derniers prisonniers, et j’ai détaché le collier qui ne m’avait jamais quitté.
C’était la chose la plus simple et compliquée au monde. Il fallait vouloir l’affrontement. J’ai laissé la nausée m’envahir. J’ai voulu que ça s’arrête. Le Pacte de Sang s’est brisé.
Et quelque chose en moi, aussi.
En une seconde, tu avais transplané devant moi, haletant, les yeux encore brillants d’une vision que tu n’avais pas pu empêcher. Tu m’as regardé avec incrédulité, et intérieurement, je me suis recroquevillé et j’ai pleuré. Extérieurement, j’ai brandi les débris du Pacte, et je t’ai dit que c’était fini.
Tu as souri, mais c’était un sourire laid.
Jamais tes sourires n’avaient été laids, avant.
Tu as dit que j’étais lâche, que j’étais un traître, et qu’il était trop tard. Que je ne pouvais pas partir alors que nous avions réussi, triomphé au-delà de toute espérance. Que je ne pouvais pas partir maintenant que les sorciers étaient enfin libres et que nous dominions enfin les moldus. Justice.
Je t’ai dit que c’était fini. Je l’ai dit encore et encore, comme un rempart à ce flot vénéneux que tu déversais sur moi.
Tu as dit :
- Pas ici.
Tu as toujours été théâtral.
Deux heures après, j’ai démissionné de mon poste de Manitou Suprême, et la résistance, qui était moribonde, y a vu un signe. Ils ont mené une action aussitôt contre Nurmengard. Peut-être qu’une source anonyme leur avait donné les failles du château. Peut-être. J’ai fait des déclarations publiques à la presse. J’ai dit que tu étais fou. Je l’ai dit encore et encore, comme anesthésié. Il y a eu des appels au soulèvement. Soudain, toute cette résistance éparpillée a retrouvé des forces, s’est rassemblée. J’ai dit que j’allais t’affronter. Des gens se sont jetés à mes pieds, pleurant, me suppliant de te vaincre, me remerciant.
Cinq heures après, nous nous sommes retrouvés sur un champ immense et dévasté.
35 heures après, nous nous battions encore. La Sureau brillait plus fort que jamais, mais de nous deux, le vrai prodige, c’était moi. Et je savais ton secret, et je l’ai retourné contre toi. Au passage, j’ai massacré mon propre secret.
54 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, je t’ai vaincu. La Sureau a volé à travers les airs, elle a atterri dans ma main. Ta propre prophétie avait été ta fin. Je t’avais vaincu, et tu n’avais pas pu me tuer.
Je ne t’ai pas tué non plus. Si je l’avais fait, le monde aurait vu l’avènement d’un nouveau tyran. Là, ils y ont vu la clémence d’un grand homme.
Après ces années d’horreur, les gens avaient besoin d’une légende. Ils avaient besoin d’un héros. Il s’est avéré que malgré le sang sur mes mains, j’avais toujours l’envergure d’un héros. Alors ils ont fait de moi leur héros. Ils t’ont enfermé à Nurmengard, ta propre prison, à perpétuité, pour tes crimes de guerre. Ils ont exécuté Vinda Rosier et son vieux père au terme d’un procès retentissant. Nos sympathisants ont fui ou se sont battus jusqu’à la mort. Les milices ont été dissoutes.
Vicência Santos a été désignée Manitou Suprême. C’était une femme intelligente. Elle a rapidement compris qu’aucun sortilège d’Oubliettes ne pouvait effacer la mémoire de tous ces moldus. En revanche, elle a compris qu’il était facile de réécrire l’histoire. Il y a eu des sommets, des réunions d’urgence. Il a été convenu d’une coopération moldus-sorciers. Le Code n’a plus imposé aux sorciers de se cacher. Il leur a imposé la coopération et la libre entente avec les moldus. Il leur a imposé l’aide aux moldus. Leur technologie et notre magie se sont spectaculairement bien entendues. Des années de paix et de prospérité ont débuté. Cela ressemblait à mon rêve d’adolescent, mais tu n’étais plus là, alors c’était un rêve doux-amer aux allures de cauchemar.
Je suis retourné enseigner à Poudlard. Personne n’ignorait mon rôle, mais ils l’ont tous ignoré quand même. J’étais beau, une belle figure de carte à jouer, une figure de statue, d’illustration de livre, de tableau. J’étais le héros.
60 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, je suis devenu directeur de Poudlard.
60 ans après notre fuite de Godric’s Hollow, j’ai engagé un très beau jeune homme de 33 ans au poste de Professeur de Défense contre les Forces du Mal.
C’était le petit-fils de ce jeune homme de 20 ans que j’avais laissé s’enfuir du manoir Gaunt en feu.