1995

– Elle est vraiment étrange, cette fille…, commenta Séraphina.

Avec ses cheveux blonds coupés en un carré élégant, tout chez cette fille, de son uniforme vert et argent sans pli jusqu’à sa manucure, transpirait la noblesse.

– Moi je la trouve mignonne, intervint Warrington en levant les yeux de son livre de stratégie de Quidditch.

Adrian termina de boire son jus de citrouille et sans même la chercher, trouva Lisa Turpin du regard, qui faisait la pitre devant ses amis. Une main posée sur le cœur, le visage ayant une expression fière hautement exagérée, elle chantait l’hymne de Poudlard sur un air de chanson moldue qu’Adrian avait déjà entendu de sa bouche. Il retenu son rire en l’avalant.

Il était compliqué, d’ignorer une fille comme Lisa Turpin. Elle parlait fort, riait avec encore moins de discrétion et attirait l’attention de toutes les personnes se trouvant dans son sillage. Elle était rayonnante et solaire.

– Tu me la présentes ?

Le coup de coude que venait de lui donner Warrington lui fit détacher les yeux de Lisa. Il posa calmement son gobelet sur la table des Serpentard et haussa les épaules, indifférent :

– Elle est étrange.

C’était la vérité. Lisa Turpin était étrange. Elle était imprévisible, spontanée, chantait dans les couloirs de l’école, dansait quand l’envie lui prenait et distribuait des sourires comme Dumbledore distribuait des points aux Gryffondor une fois la fin de l’année arrivée…

– C’est ce que je viens dire, s’amusa Séraphina, satisfaite.

– Tu es ami avec elle, n’est-ce pas ? insista Warrington.

– Oui.

Fût un temps où il aurait sûrement nié connaître Lisa ou être son ami. Aujourd’hui, il n’avait pas honte d’admettre que cette tornade aux cheveux châtains et aux yeux bleus pétillants d’intelligence, était l’une des rares personnes dont il supportait vraiment la présence.

Adrian était populaire, sûr de lui, apprécié par ses camarades et charmeur. Tout le monde l’aimait. Sauf les imbéciles... Pour autant, les personnes qu’il considérait comme de véritables amis se comptaient sur les doigts d’une seule main.

Séraphina Selwyn était une lointaine cousine avec laquelle il avait grandi, une amie et une camarade qu’il avait toujours connu. Cassius Warrington, dont le visage prenait une teinte rouge dès qu’on l’appelait par son prénom, avait été son partenaire en potions lors de leur première année : le hasard les avait fait devenir amis, et si aujourd’hui Adrian ne concevait pas sa vie sans ces deux personnes, il devait s’avouer à lui-même qu’il n’avait rien fait pour les y faire entrer.

Mais Lisa… Lisa était différente. Au départ, elle n’avait été que cette fille de deux ans sa cadette, assez courageuse pour défendre Susan Bones, dont il s’était amusé à tirer les couettes. Alors qu’elle mesurait trois têtes de moins que lui, déjà bien trop grand pour son âge, elle avait essayé de lui tirer les cheveux à son tour sans y parvenir.

Il avait trouvé ça mignon.

Puis le soir-même, il l’avait entendue pleurer dans les couloirs déserts, en tenant dans ses petites mains blanches, une lettre de sa mère. La dernière en date, vieille de trois mois. Il avait ressenti en elle, la même détresse qui l’habitait lui, et la solitude, l’immense trou béant de la solitude et de l’attente d’avoir de l’attention et l’amour d’un parent qui ne se souciait absolument pas de son enfant et de sa vie. Il s’était approché d’elle, l’avait fait rire et c’était avec ses premiers éclats, qu’Adrian avait laissé Lisa Turpin, l’étrange tornade aux yeux bleus, entrer dans sa vie.

– Elle a déjà le béguin pour quelqu’un, se mit à sourire Adrian en pointant du doigt Anthony Goldstein.

Lisa le tuerait, si elle savait qu’il avait vendu son secret à ses deux meilleurs amis…  Il s’était moqué d’elle depuis le début de l’année, lorsqu’il l’avait vue rougir et entendu bafouiller comme une maladroite devant lui. Il l’avait même observé papillonner des cils, espérant charmer le Serdaigle, et avait perfectionné sa technique devant lui. La première fois, il avait eu tellement mal aux cotes à force de rire …

Mais l’idée même que Warrington invite Lisa à sortir avec lui, lui donnait étrangement envie de fracasser son gobelet contre la table des Gyffondor et de viser la tête d’un des frères Weasley. Si au passage, sa petite colère pouvait les avantager pour le prochain match, Adrian ne se gênerait pas…

– Ce n’est pas parce qu’il y a un gardien que tu ne peux pas lancer le souaffle en plein milieu de l’anneau…

Adrian rit de bon cœur et passa pourtant le reste de la journée à ruminer. L’entraînement de Quidditch des Serpentard, qui lui permettait toujours de se détendre et de dépenser toute l’énergie qu’il gardait en lui, n’était pas parvenu à éteindre sa frustration dont il ne connaissait même pas l’origine.  Il était rentré au château sous la pluie, tout courbaturé et les muscles endoloris.

Dans le hall d’entrée, il aperçut Lisa, plantée devant tous les décrets que la nouvelle Grande Inquisitrice de Poudlard avait édictés. Adrian laissa ses camarades rejoindre le dortoir des Serpentard, et s’approcha d’elle, son balai dans les mains.

Lisa était toujours positive et souriante. Lorsqu’elle ne l’était pas, c’était soit dû à sa mère, soit parce que Padma Patil avait mangé tout le pudding à la table des Serdaigle. Dans le premier cas, Adrian lui prêtait son épaule pour se lamenter quelques instants et une oreille attentive. Dans le second, il allait voler le dessert tant désiré à la table des Gryffondor pour le lui donner. Incapable de savoir ce qui minait aujourd’hui la bonne humeur de Lisa, Adrian se contenta d’effleurer sa main, pour lui signaler sa présence.

– Je déteste cette femme, murmura-t-elle.  C’est ridicule. Les garçons et les filles, qui ne peuvent pas se tenir près les uns des autres… Tu ne vas pas rejoindre la brigade inquisitoriale, Adrian ? N’est-ce pas ?

Il mordilla ses lèvres et secoua la tête. En faire partie rapporterait des points aux Serpentard,  et lui assurerait un bon avenir … Cependant, pour Lisa, il se savait capable de fracasser lui-même le sablier remplis d’émeraudes et renoncer à son rêve d’intégrer le département des Sports et jeux magiques du Ministère de la magie.

Adrian était quelqu’un de rusé et d’ambitieux mais rejoindre la brigade inquisitoriale était une mauvaise idée : cette femme, cette Ombrage, était une imbécile qui partirait très vite de Poudlard… L’intuition d’Adrian ne le trompait jamais. Cette opportunité n’était pas un bon investissement et en plus de cela, il trouvait la plupart de ces décrets d’éducation complètement idiots.

– C’est ridicule, tout ça, fit tristement Lisa en désignant l’un des décrets.

« Les garçons et les filles ne sont pas autorisés à être à moins de quinze centimètres les uns des autres. »

— Décret d'éducation numéro vingt-six.

Les doigts d’Adrian se nouèrent à ceux de Lisa. Elle verbalisait rarement ses sentiments et ne les exprimait qu’à travers des gestes. Lisa en colère, fendait l’air de ses mains avec véhémence et énergie. Lisa triste, tortillait ses mains dans son dos. Lisa mal-à-l’aise, se balançait d’avant en arrière sur ses deux pieds. Lisa joyeuse, sautait dans les bras de la personne la plus proche et la couvrait de gestes tendres et affectueux.

Adrian s’arrangeait souvent pour être près, très près de Lisa chaque fois qu’il le pouvait.

Au début, il détestait ça… Il vivait ses étreintes comme une intrusion dans son espace personnel, il se crispait, attendait qu’elle se sente mieux et qu’elle défasse leur embrassade. Il les subissait sans rien dire, pour lui faire plaisir. Maintenant, elles les aidaient à se détendre, lui procuraient un sentiment de quiétude et Adrian se surprenait même à les attendre, comme des trésors, des récompenses qu’il méritait amplement. C’était à lui, que ça faisait le plus plaisir désormais.

Lorsque Lisa prenait Adrian dans ses bras, tout était mieux.

– Je n’ai pas pu prendre Wayne dans mes bras tout à l’heure. Ombrage était là, et elle nous a menacé de nous mettre une retenue.

Une retenue, pour Lisa, c’était la fin du monde. Il y aurait eu un monstre assoiffé de sang en liberté dans l’école, qu’elle aurait continué de marcher dans les couloirs pour respecter l’interdiction d’y courir de peur d’avoir une retenue.

– Un bouffon de Serpentard m’a même donné un mètre et a entouré l’endroit marquant les 15 centimètres…

– Qui ?

– Je ne sais plus…

– Qui ?

– Goyle.

– Il sait compter, lui ?

Adrian savait qu’interdire à Lisa de prendre Wayne, Justin, ou Terry dans ses bras, alors qu’ils étaient ses amis, était un véritable supplice pour elle, qui ne s’exprimait que par le touché.

Lorsqu’elle défit les nœuds de leurs doigts, Adrian en fût contrarié. Il serra et desserra les poings pour y chasser les fourmis qui engourdissaient sa main.

Lisa fronça le nez et afficha un petit sourire :

– Tu pues la transpiration, c’est dégoûtant !

Lisa détournait toujours la conversation lorsqu’elle était tournée vers ses pensées tristes. Adrian croisa les bras sur sa poitrine et se pencha vers Lisa avec un air de défi :

– Pas de câlin ce soir ?

– Décret 26, Adrian, s’amusa-t-elle, un sourire en coin. Je respecte les règles. Et tu pues vraiment trop.

Ils se mirent à marcher dans les couloirs. Quand elle souhaita l’aider et prendre son balai pour le soulager de son poids, il refusa net.

Adrian adorait Lisa, mais il adorait son balai, son précieux et merveilleux balai, tout autant, si ce n’était plus : Lisa, avec ses deux pieds gauches, était la dernière personne à qui il aurait confié son bien le plus précieux.

Et il savait qu’en cas de chute, il la rattraperait elle, plutôt que son précieux et merveilleux balai. Adrian détestait cette certitude.

– Tes révisions pour les ASPICS avancent bien ?

Adrian haussa ses épaules endolories.

– Pas vraiment.

– Il faut que tu te concentres, gros bêta ! C’est très sérieux ! Le poste que tu vises est très prisé, et tu dois l’obtenir ! C’est ton rêve, Adrian !

– Et toi ? Les BUSES ?

– Les notes que tu m’as donnée en arithmancie sont nulles. Tu as une écriture de goret, Adrian.

– Je vais les reprendre alors…

– Et ta correspondance avec Warrington sur les stratégies de jeux pour le Quidditch en marge sont bien plus intéressantes ! Vous ne parlez donc que de ça ?

– Mes notes en Histoire de la magie t’apprendraient que nous parlons aussi d’autres choses…

– Comme ?

Les oreilles d’Adrian se mirent à rougir furieusement. Avouer à son amie qu’il passait son temps à écrire à Warrington  qu’Angélina Johnson n’était pas « si terrible que ça et même très belle, pour une Gryffondor », était la dernière chose qu’il souhaitait faire. Il ne répondit pas, et comme à chaque fois, Lisa respecta son silence, à son grand soulagement.

Il roula les épaules, cette fois-ci, pour les détendre, et regretta que Lisa se tienne si loin de lui. Il se rapprocha d’elle, mais elle le repoussa :

– Tu veux aller en prison ? s’offusqua-t-elle.

Lisa, l’art d’exagérer tout… Une retenue devenait une peine privative de liberté.

– Parce que je t’assure que c’est pas du tout drôle !

– T’y es déjà allée ? ricana Adrian.

Lisa sans perdre son sérieux, répondit immédiatement :

– Une fois. Au Monopoly.

– Au Monoquoi ?

– On y jouera cet été !

Il adorait lorsqu’elle lui faisait de telles promesses.

Adrian prit le mètre que Lisa tenait dans ses mains dans les siennes, qui n’avait cessé de jouer avec. Il détestait cet objet de malheur. Malefoy passa devant eux, son badge de membre de la brigade inquisitoriale rutilant sur sa poitrine.

– 15 centimètres, Turpin. Je sais que tu te jettes dans les bras de n’importe qui mais essaie de te contenir…

Lisa pâlit et son visage devint même transparent, lorsqu’elle aperçut Ombrage juste derrière Malefoy. Comme pour se protéger, elle se rapprocha d’Adrian, oubliant cette histoire de décret stupide.

Adrian, qui savait que si Lisa venait à recevoir une retenue ne s’en remettrait pas avant des semaines, elle qui tenait à son dossier scolaire impeccable et remarquable, déroula le mètre et s’éloigna de la Serdaigle.

Son sourire insolent et provocant avait le don de faire bouillir le sang de n’importe qui.

Lisa lui fit de gros yeux, dans un premier temps. Puis amusée, elle se prêta au jeu avec une insolence égale à celle d’Adrian et qui lui renversa le cœur. Elle fit naître un nouveau sourire, espiègle cette fois-ci, sur ses lèvres. Merlin, qu’elle était géniale…

Se moquer ainsi du règlement avait un prix et Adrian le payait sans sourciller.

Empêchés d’avancer par le faux mètre qu’Adrian avait à présent déroulé jusqu’à pouvoir s’appuyer contre le muret, Ombrage commençait à perdre patience.

Lui, il s’amusait comme un petit fou.

– Oh et puis zut hein ! s’exclama finalement Lisa. MORT AU DÉCRET NUMÉRO 26 !

Mais son rire se perdit au fond de sa gorge, quand Lisa traversa la largueur du couloir et se jeta dans ses bras. Elle plaqua ses deux mains sur joues, et posa ses lèvres sur les siennes.

Il avait déjà embrassé et été embrassé. Mais Merlin… La bouche de Lisa devait avoir quelque chose de magique, en plus de son goût de soleil. Elle épousait la sienne avec une douceur et une simplicité évidente.

Lisa avait déjà embrassé sa joue, ses tempes et ses cheveux, même. C’était comme ça qu’elle le consolait lorsqu’il était triste. Et il adorait ça… Il ne l'aurait jamais avoué à personne mais il adorait ça ! Mais ses lèvres sur les siennes… Merlin et Morgane réunis, c’était tout autre chose.

Adrian eut l’impression de faire un plongeon dans le vide. Il lâcha son balai et s’empêcha de retenir Lisa contre lui, ne souhaitant plus la lâcher.

Le grognement enragé d’Ombrage cassa la magie du moment, qui se rompit lorsque Lisa s’éloigna.

Adrian aurait souhaité avoir eu le temps de fermer les yeux pour mieux se concentrer et retenir dans sa mémoire, la sensation des lèvres de Lisa sur les siennes. La pression qu’elle avait exercée, la douceur qu’elle lui avait donnée et cette impression d’avoir embrassé le soleil.

Il était définitivement hors de question que Warrington invite Lisa à sortir avec lui. 

Ce fût à partir de ce premier baiser, qu’Adrian commença à se dire que son cœur était anormalement beaucoup trop à la fête, lorsque Lisa le prenait dans ses bras.

Le baiser de soleil de Lisa avait été le début d’une grande averse.

Il ne grogna plus pendant au moins trois mois.

Ce qui était un exploit, pour un homme tel que lui...