« 22, 23, 24, … »
Vite, une cachette !
Albus monta les marches quatre à quatre. Il marqua un arrêt et déglutit, devant le couloir sombre et exigu se dressant devant lui. Il s’étonnait de sa propre témérité à affronter les ténèbres du dernier étage du 12, Square Grimmaurd. Mais, si du haut de ses 9 ans, il était inquiet, il était convaincu que Lily l’était encore plus et n’oserait pas venir le chercher jusque-là. Cela était peut-être mesquin, mais cette tactique lui offrait sur un plateau la victoire de cette partie de cache-cache. Et puis, au vu de la bravoure qu’il déployait, il la méritait cette victoire !
« 48, 49, 50… »
Lily aurait bientôt fini de compter. Albus prit une forte inspiration, et s’enfonça dans le couloir. Les grincements du parquet sous ses pieds n'étaient pas de nature à le rassurer. Il entreprit d’adopter une démarche plus silencieuse, tout en évaluant la situation. Une grande porte en bois se trouvait devant lui. Elle abritait un large grenier, dont l’usage était « uniquement réservé aux adultes ». Albus se rappelait du jour où, mené par James, il avait pénétré dans le grenier, avant de se faire sermonner par Harry. James avait été privé de goûter, mais Albus s’en était tiré avec un simple avertissement.
Comme toujours.
James lui manquait. Ils avaient beau se chamailler souvent, son départ pour Poudlard avait laissé un grand vide dans la vie d’Albus. D’autant qu’à son retour pour les vacances de Noël, son comportement avait changé. Il avait décrété être trop vieux pour jouer avec Albus et Lily, et avait passé une partie de ses vacances enfermé dans sa chambre, à correspondre par hibou avec ses nouveaux amis rencontrés à l’école. Les rares moment où il avait daigné lui parler, il l’avait menacé de représailles s'il était réparti à Serpentard lorsqu’il entrerait à Poudlard.
“98, 99, 100. Albus Severus Potter, je viens te trouver !”
Albus reprit ses esprits, et devant le peu d’alternative qui lui restait, ouvrit la porte et franchit le palier du grenier. Il referma silencieusement derrière lui, puis s’assit, les yeux clos, aveuglé par les rayons de soleil qui filtrait à travers la lucarne et baignait la pièce d’une lumière chaude.
Albus Severus Potter.
Il avait toujours su que son prénom peu commun portait une symbolique particulière, mais ne l’avait jamais réellement comprise. Ses parents étaient toujours restés vague sur ce point, mais les prénoms d’Albus et Severus revenaient souvent dans les conversations, lors des commémorations du 2 Mai. C’est James qui lui avait révélé l’identité des 2 personnes à qui il devait son patronyme.
“Eh Al’, méfie-toi de pas finir comme cet Albus Dumbledore, il paraît qu’il était fou. Ou encore comme Severus Rogue, un Serpentard de la pire espèce qui soit.”
Du haut de ses 9 ans, ces propos avaient perturbé le jeune Albus. Pourquoi ses parents lui auraient t’ils donné le nom de mauvaises personnes ? L’aimerait t’ils moins que leurs deux autres enfants, qui porte le nom de leurs grands-parents paternels ?
Il n’avait pas osé en parler à son père, de peur que ses craintes soient justifiées. Mais depuis qu’ils avaient raccompagné James sur le quai de la voie 9 ¾ à l’issue des vacances, il s’était légèrement renfermé sur lui-même et ressentait des doutes quant à l’amour de ses parents envers lui.
Des doutes qui avaient refait surface soudainement quand Lily l’avait appelé par son nom complet. Elle l’appelait généralement par son diminutif, Al’, mais elle aimait utiliser son nom complet pour le taquiner ou le provoquer.
S’habituant peu à peu à la lumière, Albus entrouvrit les yeux et laissa son regard se promener autour de lui. De nombreuses toiles d’araignées étaient visibles, preuve de l’usage très occasionnel de cette pièce. La charpente qui soutenait le toit de la bâtisse était fissurée de part et d’autre. Çà et là, de vieux meubles où Harry archivait ses dossiers prenait la poussière. Albus se leva, et décida pour se changer les idées d’explorer cette pièce mystérieuse, en attendant que Lily ne déclare forfait, et qu’il puisse redescendre triomphant.
Il s’avança sous la fenêtre, et profita de la douce sensation de chaleur du soleil sur sa nuque. Il resta quelques instants immobile, apaisé par le silence de l’endroit. Il jeta un œil sur sa gauche, et vit une armoire imposante qui se dressait fièrement contre le pignon. Il fut irrémédiablement attiré par le mobilier. Bien qu’encore jeune, il avait déjà manifesté à quelques occasions sa magie, et était capable d’en détecter les signes. Et ce que contenait cette armoire était indéniablement magique. Il pouvait le sentir. Tel un automate, il se rapprocha de l’armoire. Il en avait oublié le cache-cache, la raison de sa présence ici, les avertissements de son père concernant les objets magiques inconnus. L’armoire s’ouvrit devant lui, révélant un unique objet. Une bassine lévitait à quelques centimètres du sol. Elle était remplie d’un liquide argenté dont la surface ne paraissait pas naturelle.
Elle est magnifique. Il n’y a sans doute pas de mal à le toucher.
Albus tendit la main.
Albus…
Le liquide se mouvait à son approche, et des formes familières apparaissaient à sa surface.
Albus…
Il avait maintenant la tête au bord du liquide. Il voulait savoir qui l’appelait.
Albus…
- Papa !? s’exclama Albus. Le reflet lui renvoyait le visage de son père, qui l’appelait.
Albus sentit le contact glacé du liquide sur la peau de sa main. Et soudain, il se sentit happé dans un tourbillon provenant du centre de la bassine. Le souffle coupé pendant un moment qui dura une éternité, il se vit chuter. Il ferma les yeux en attendant la chute…, qui ne vint jamais.
Il ouvrit les yeux, et remarqua qu’il était debout, indemne. Pris de nausée, il inspira un grand coup. La sensation se dissipa un peu. Déboussolé, Albus jeta des coups d’œil paniqués dans toutes les directions. Il devait admettre que la pièce dans laquelle il se trouvait n’était en rien semblable au grenier de la demeure familiale. Convaincu d’avoir fait là une grosse bêtise, il s’en voulut de sa curiosité trop téméraire. Le long couloir sombre où il avait atterri ne laissait entrevoir aucune source de lumière naturelle, et il ne devait la visibilité qu’à quelques dizaines de torches réparties de çà et là du couloir. Sentant une présence derrière lui, il se retourna et sursauta ! Un homme grand, aux cheveux long et gras, et au nez crochu, se tenait, raide, dans l’entrebâillement d’une porte. Il portait une longue cape noire qui accentuait le malaise que ressentait Albus. Son regard mauvais semblait lancer des éclairs, au-dessus de la tête du jeune sorcier, comme s’il ne l’avait pas vu.
Malgré la terreur que lui faisait ressentir cet homme, Albus entrevit l’espoir de rentrer chez lui. Il expliquerait au sorcier qu’il avait été téléporté ici par un moyen inconnu, et lui demanderait s’il pouvait l’aider à retrouver son foyer. Convaincu du bien-fondé de son plan, il se racla la gorge pour se signaler. Après un moment de flottement, l’homme poussa un soupir agacé, se retourna, et pénétra dans la pièce d’où il était sorti, avant de s’asseoir à son bureau. Dérouté par cette réaction, Albus vit au loin un groupe d’écoliers se diriger bruyamment vers lui. Il fit le lien et comprit que l’homme inquiétant devait être un professeur. Et cet endroit… des cachots.
Poudlard
Par quelques opérations qui soient, il était maintenant convaincu qu’il venait d’atterrir à Poudlard. Rassuré par sa déduction, et par la présence d’un groupe d’élèves pas beaucoup plus vieux que lui, il se dirigea vers eux et entrepris de leur demander assistance.
- S’il vous plaît, les gars, quelqu’un pourrait me dire où se trouve James Pott…
Albus s’interrompit devant le manque d’attention que lui portait la bande, habillés aux couleurs de Gryffondor. Ceux-ci ne semblaient pas l’avoir remarqué, et ne ralentissaient pas. Ils allaient lui foncer dessus !
- EH ! ATTENTION ! hurla-t-il, en se recroquevillant pour se préparer à l’impact.
Il ne se passa rien. Les élèves passaient au travers de lui sans même le remarquer.
- Le professeur Rogue, disait un étudiant, terrorise les élèves. Il n’en a que pour la maison Serpentard.
Rogue, pensa Albus, comme Severus Rogue ?
L’homme à qui il devait l’un de ses patronymes. C’était donc lui. Alors que le groupe de jeunes s’installaient dans la salle de classe du professeur Rogue, Albus le scruta attentivement. Son attitude était au mieux antipathique, ce qui renforça les doutes d’Albus sur le choix de ses parents quant à son 2ème prénom.
Soudain, le silence se fit dans la salle. Après quelques banalités d’usage, Rogue interpella très vite un élève, assis auprès d’un jeune garçon dont les cheveux d’un roux flamboyant détonnaient avec l’atmosphère de la pièce. Au vu du regard noir emprunt de dégoût que lançaient le professeur, il semblait le détester.
« Potter ! Qu’est-ce que j’obtiens quand j’ajoute de la racine d’asphodèle en poudre à une infusion d’armoise ? »
Ébahi, Albus contempla son père, la bouche ouverte en un “o” de surprise. Il avait déjà vu des photos de lui à cet âge, mais le voir en chair et en os, à quelques mètres de lui, semblait irréel. Peu à peu, les éléments s’assemblèrent dans l’esprit de Albus, et il comprit que l’objet mystérieux l’ayant conduit ici, devait être une pensine. Bien qu’il n’en ait jamais vu, il en avait déjà entendu parler au détour d’une conversation entre ses parents.
Son père – enfin son futur père, enfin son père mais qui le deviendrait dans le futur, enfin son père dans le futur mais pas encore son père, enfin si son père quand même, mais pas encore, enfin bref…
Son père se faisait malmener par le sombre professeur dont le mépris et la haine n’était que trop visible. Cela rendit Albus perplexe. Pourquoi donner à son fils le nom de quelqu’un qui le détestait ? Il fut tiré de sa réflexion par la sensation qu’un crochet lui agrippait le nombril. Il poussa un cri de surprise, et se sentit tourbillonner une nouvelle fois. Les propos de Severus Rogue, déversant sa haine, émergeaient du vide qui l’entouraient :
“Fainéant, arrogant, ...”
A nouveau, la sensation se dissipa. Ses espoirs d’être rentré chez lui furent vite douchés, quand il se retrouva au beau milieu d’un immense bureau, dont les murs étaient recouverts de tableaux. Il y avait de l’agitation autour de lui, et il reconnut sans peine son père, plus âgé que la dernière fois, même si cela restait toujours aussi perturbant de le voir aussi jeune ! A ces côtés se trouvaient Oncle Ron et Tante Hermione. Les 3 adolescents paraissaient déboussolés. Harry était en nage, et les 3 semblaient tombés du lit, toujours vêtus d’un pyjama. Ils faisaient face à un grand sorcier, à la longue barbe blanche et au nez aquilin.
Albus Dumbledore.
Son premier patronyme. Tout chez lui indiquait sa majestuosité, sa puissance. Albus le contemplait bouche bée, impressionné par sa grandeur. Celui-ci se massait les tempes, visiblement fatigué et contrarié, pendant qu’on lui faisait un rapport. Albus ne surpris que des bribes de conversation, mais l’évocation de Papy Arthur éveilla ses sens. Oncle Ron avait le cœur au bord des lèvres, et Harry était absent, les yeux rivés sur Dumbledore. Il donnait l’air de mener une lutte intérieure particulièrement éprouvante. Soudain, sortant de sa torpeur, il hurla :
- REGARDEZ MOI !
Surpris de cette démonstration d’agressivité de la part de son père, Albus sursauta. Tout se passa en un instant. Alors que Dumbledore s’exécutait et le transperçait du regard, au-delà de ses lunettes en demi-lune, l’expression faciale de Harry se mua en une expression animale, une rage meurtrière. Puis le trio d’adolescents transplana, laissant le vieux sorcier seul, figé en pleine réflexion.
Jamais Albus n’avait vu ces expressions sur le visage de son père. Il l’avait effrayé. Si on lui avait laissé le temps, il se serait jeté sur Dumbledore, Albus en était certain. Groggy, Albus ne réagit même pas lorsque la sensation maintenant familière vint l’envelopper pour le tirer du bureau du Directeur de Poudlard. Il ne comprenait pas comment Harry pouvait ressentir une telle haine pour Dumbledore. Et surtout, pourquoi lui avoir donné le nom des deux personnes qu’il semblait détester le plus au monde.
Lorsqu’il bascula, il constata être de retour dans la salle du professeur Rogue. Rogue pointait sa baguette sur un Harry sensiblement du même âge que celui qu’il venait de quitter. Il cria :
- LEGILIMENS
- PROTEGO
Les deux sorciers furent expulsés de part et d’autre de la salle.
Ils se dévisagèrent en chien de faïence, et Albus crut qu’ils allaient en venir aux mains. Puis Rogue s’avança et expulsa Harry de la salle, empli d’une rage d’une rare intensité.
Alors que Harry était expulsé de la salle, Albus se sentit une nouvelle fois happé vers l’inconnu. Tout s’accélérait, à tel point qu’il avait l’impression d’être engagé dans une course effrénée. Il vit d’abord Harry attaquer Rogue, quelques années en arrière, pour défendre celui qu’il reconnut comme Sirius Black, le parrain de Harry, et celui qui avait donné son 2ème prénom à James.
Puis il entendit Dumbledore et Rogue, dans le bureau du premier, se disputer. Rogue affirmait que Dumbledore cherchait à sacrifier Harry, pour le bien commun.
Nouveau changement.
Harry hurlait à Dumbledore que ses parents avaient été tués par la faute de Rogue.
Crochet sur le nombril.
Chaque nouvelle scène puisait dans l’énergie de Albus, qui se sentait faiblir, écrasé par le poids des révélations qu’il découvrait, et l’esprit embrouillé par les murmures des propos de Rogue, de Dumbledore, de Harry qui sortait des limbes des souvenirs que son fils traversait.
Jet de lumière verte. Hurlement. Rogue a tué Dumbledore. Il sert Voldemort. C’est un traître.
Le bourdonnement était de plus en plus fort, et désagréable. Albus n’arrivait plus à réfléchir. Il tourbillonna encore. Il sanglotait, priant pour que cela s’arrête, se vidant de ses forces.
Il usa de ses maigres forces pour stabiliser le flux de souvenirs qui le traversait, et parvint à reprendre partiellement le contrôle, avant de s’arrêter sur le premier souvenir qui s’ouvrait à lui.
Des motifs de fleurs et de papillons ornaient la tapisserie bleu clair, et un lit de bébé reposait dans un coin. De nombreux jouets étaient éparpillés aux quatre coins de la chambre, qu’il présumait celle d’un enfant.
Albus put enfin reprendre son souffle. Il s’assit, rabattit les jambes sur lui, et éclata en sanglots. La surcharge en émotion avait été trop importante. Il était abattu et désespéré. Et plus que tout, il se sentait rejeté, mal aimé. Il portait le prénom de deux personnes détestables. 2 personnes que son père avait haï au plus profond de son être, et qui avait commis de mauvaises choses. En était-il ainsi de sa destinée ? Ses parents avaient-ils perçu chez lui une noirceur, qui le conduirait, tels que les 2 sorciers à sombrer dans le monde des Ténèbres ? James avait peut-être raison en fin de compte…
Et Lily ? Allait-il lui faire du mal ?
A cette pensée, Albus sécha ses larmes. Jamais il ne pourrait se pardonner de faire du mal à sa famille. Il décida d’abord de trouver coûte que coûte un moyen de sortir de la pensine. Puis, lorsque que ce serait fait, il partirait. Il renoncerait à sa famille pour les protéger de sa malédiction. Les larmes lui brouillèrent la vue à l’idée de ne plus revoir ses parents, mais c’était la seule solution. Il renfila, se leva et entreprit de sortir d’ici.
Soudain, un rire enfantin se fit entendre par l‘entrebâillement de la porte. Suivi de très près d’exclamations joyeuses de la part d’un adulte. Il repéra visuellement sur sa droite, au fond du couloir, l’escalier menant à l’étage inférieur, d’où provenaient les rires et les cris. A mesure qu’il traversait le couloir, une sensation familière l’enveloppa, sans qu’il puisse mettre la main dessus. Sur les murs qui l’entouraient, étaient accrochés de nombreux cadres représentant un couple heureux, dont certaines avec un enfant en bas-âge. Une des photos particulièrement l’intrigua, à tel point qu’il s’interrompit pour la regarder en détail. Un enfant trônant fièrement sur un balai miniature, riait aux éclats, couvé du regard par sa mère. Bien que la photo soit en noir et blanc, comme il est d’usage sur les photos sorcières, on devinait aisément une jeune femme très jolie, avec un côté rassurant dans ses expressions. Un homme se tenait non loin d’elle, absorbé par la trajectoire de son fils sur le balai. Cette famille retenait l’attention d’Albus. Il aurait juré les connaître.
“Ploc, ploc, ...”. Absorbé par ses réflexions, Albus sursauta au crépitement de la pluie contre les fenêtres de l’étage. Le crépuscule laissait place à une nuit noire et froide, où les rayons de la lune peinaient à franchir la barrière opaque des nuages s’amoncelant de manière menaçante. Il décela un changement d’atmosphère, et ne put retenir un frisson qui lui parcouru l’échine. Visiblement, il n’était pas le seul à avoir compris que quelque chose se tramait. La maison était subitement devenue silencieuse. Il se rapprocha de l’escalier et, alors qu’un hurlement se faisait entendre, la scène se déroulant à l’étage inférieure lui glaça le sang.
Un être qui avait dû un jour lointain ressembler à un homme, se tenait dans l’entrée, un sourire carnassier sur un visage dépourvu de nez, à l’exception de deux fentes.
Albus était tétanisé, devant l’horreur de la situation. Il avait l’impression d’être coincé dans un cauchemar sans fin, et n’avait plus la force de bouger, de détourner le regard, d’aider ces pauvres gens. Il allait les regarder se faire agresser, sans pouvoir réagir. De toute manière, que pouvait-il du haut de ses 9 printemps, face à un monstre ?
La femme sortit de sa torpeur, pris l’enfant et s’élança vers les escaliers, pendant que l’homme faisait rempart de son corps, sa baguette trop éloignée pour être utilisé. Le Serpent éclata d’un rire froid et aigu.
Albus, amorphe, n’eut pas même la force de fermer les yeux. Ils n’avaient aucune chance.
Le Serpent brandit sa baguette :
- Avada …
« Non. »
La scène s’évapora. Le souvenir se disloqua.
Albus sentit une main se glisser dans la sienne, et la scène tourbillonna une nouvelle fois. Mais cette fois, la sensation se fit légère. Les murmures avaient disparu, et il sentit son corps se réchauffer subitement. Sans le regarder, Albus sut. Son père était venu le chercher. Il n'avait qu’une hâte, celle de sortir de cet objet de malheur, quitter cette pièce, et ne plus jamais revenir.
Il ne pouvait regarder son père dans les yeux, trop abattu et désespéré, mais aussi en colère contre lui. Sa main était molle dans celle de Harry.
Celui-ci s’approcha de son oreille, et lui chuchota d’une voix douce :
- Fais-moi confiance.
Alors, il fit défiler ses souvenirs devant Albus, s’arrêtant devant des morceaux choisis. Il maitrisait pleinement l’exercice, et Albus ne put s’empêcher de constater que cette pensine était un objet merveilleux, dès lors qu’on savait le maîtriser. Il vit Dumbledore, assis sur le lit du jeune Harry, piochant dans une boîte de Bertie Crochu lors de sa première année. Il vit ses larmes d’émotion, après qu’Harry ait déclaré être l’homme de Dumbledore jusqu’au bout, en 2ème année. Il vit le clin d’œil complice lorsqu’Harry et Tante Hermione portèrent un pendentif les faisant disparaître, en 3ème année. Il le vit consoler Harry, lorsque celui-ci annonçait le retour de Voldemort, en fin de 4ème année. Il vit Harry prendre la direction de l’Armée de Dumbledore, en 5ème année.
Puis, Harry orienta ses souvenirs. Il vit alors Severus Rogue, tout jeune mais reconnaissable à ses longs cheveux, allongé dans l’herbe auprès d’une jeune fille rousse. Les deux jeunes gens se tenaient la main et regardaient le ciel, dans un moment de plénitude heureuse.
- C’est ma mère, indiqua Harry, voyant Albus froncer les sourcils.
Curieux, il la détailla du regard. Effectivement, il y avait un air de ressemblance. C’était dans les yeux.
- Papa, tu as …, commença Albus.
- … les yeux de ta mère.
Albus fut interrompu par la voix de Severus Rogue. Celui-ci fixait maintenant Harry avec une grande intensité.
L’émotion était palpable dans sa voix, bien loin de l’image de professeur froid et haineux qu’il avait renvoyé dans les souvenirs qu’Albus avait exploré seul.
Le souvenir se déforma, et une biche surgit.
La suivant des yeux, Harry expliqua :
- Severus Rogue avait le même patronus que ma mère, Lily. Sais-tu pourquoi ?
- Non, répondit Albus, fasciné par l’animal.
- Il était amoureux d’elle. Très fort. Il a fait une erreur avec elle, mais il a consacré le restant de sa vie à essayer de se racheter. Il a tout sacrifié par Amour. C’était l’un des hommes les plus courageux que je connaisse, dit-il, plantant ses yeux dans ceux de son fils.
Par ce regard, chargé d’émotion, il voulait transmettre à son fils tout son amour, mais aussi ses excuses pour ne pas avoir pris le temps de lui expliquer avant. Albus comprenait maintenant, et en fut soulagé. Les prénoms qu’on lui avait attribués n’était en aucun cas un poids qu’il se devait d’assumer, mais un hommage à l’Amour, et qui symbolisait celui de ses parents envers lui.
Enfin, ils se matérialisèrent dans une cour, au centre de laquelle trônait une fontaine où l’eau coulait abondamment. Il faisait beau, on devinait la chaleur aux tenues légères des étudiants qui flânaient sur des bancs. Sans un mot, Harry guida Albus vers une des arcades ombragées bordant la cour.
Dumbledore s’y trouvait. Accoudé contre un pilier, ses yeux brillants et quelques peu humides rayonnaient de fierté. A quelques dizaines de mètres il observait en toute discrétion un jeune couple, se prélassant à l’ombre de la fontaine. Albus s’exclama :
- C’est maman et toi !
- Oui, répondit Harry, soudain très ému. Nous étions en couple depuis quelques semaines seulement à cette époque.
Un instant, le temps fut comme figé. Le couple, amoureux et heureux, riait en s’enlaçant. Plus rien ne semblait compter autour d’eux. Harry et Dumbledore, côte à côte, les regardaient, avec la même émotion.
Les yeux toujours rivés sur la touchante scène, Harry reprit :
- Je suis désolé que tu aies dû affronter ça tout seul. Parfois, les souvenirs peuvent être influencés par l’état d’esprit dans lequel tu t’y plonges. Mais souviens toi toujours que…
- …” On peut trouver du bonheur même dans les endroits les plus sombres, il suffit de se souvenir d’allumer la lumière”, compléta Dumbledore, dans un murmure pour lui-même.
Harry sourit avec nostalgie.
A la vue de son père près de son mentor, Albus ressentit une bouffée d’affection pour lui. Ils n’avaient jamais vraiment discuté de l’enfance de Harry, et ignorait donc beaucoup de choses sur son passé. Les souvenirs, pilotés par Harry, lui faisait entrevoir un autre Albus Dumbledore, complice, affectueux et protecteur envers son père. Le véritable Albus Dumbledore. Un homme non exempt de défauts, mais qui aura aimé son père tout comme son père l’aura aimé.
Alors, Albus fit la chose la plus naturelle du monde. Il serra son papa dans ses bras, en essayant de lui transmettre tout l’amour qu’il avait pour lui, pour sa maman, pour Lily et même pour James.
- Il est temps de rentrer maintenant, murmura Harry, après un long moment.
- Oui, répondit son fils, blottit contre lui.
Alors, Harry tendit sa main et Albus la saisit. L’instant d’après, ils étaient de retour dans le grenier du 12, Square Grimmaurd.
Albus se sentit immédiatement soulagé, et la boule qu’il avait dans le ventre disparut totalement. Il était chez lui.
A sa place.
Tout en savourant son bonheur, il fut interrompu par une petite boule de nerf aux longs cheveux roux, qui déboula sur le palier et manqua de le percuter.
“AL’ !! C’est bon j’abandonne, tu as gagné, criait Lily.
Albus et Harry se regardèrent, complices.
- Allez, va retrouver ta sœur. Elle mérite une seconde chance, je ne crois pas que se cacher dans une bassine soit conventionnel.
Albus éclata de rire, se précipita vers la sortie, et dévala les escaliers quatre à quatre.
- J’ai gagné Lily ! Encore une fois, rajouta-t-il, un air triomphant sur le visage.
- Tu étais où Al’ ? Je t’ai cherché partout.
Albus la prit dans ses bras, les yeux clos, le sourire aux lèvres et lui répondit :
- Dans des souvenirs.
Il desserra son étreinte.
- A moi de compter.
Il se dirigea vers le mur leur servant de repère pour compter lors des parties de cache-cache. Sans se retourner, il reprit d’un air fier :
- Et au fait, je préfère quand tu m’appelles Albus Severus.
FIN