« Ça suffit ! »
Ils pensaient souvent que leur mère s’était trompée en les baptisant Fred et George. Ils avaient, au cours de leur existence, davantage répondu aux « Assez ! », « Arrêtez immédiatement ! », « Bouse de Troll je vais vous égorger ! » ou à une savate jetée au visage. Ils y avaient toujours répondu ; ils n’y avaient évidemment jamais obéi.
— Je vous jure que si vous continuez de laisser vos feux d’artifices détruire la Salle commune et ruiner ma concentration, je vous…
— Fais porter mes tricots, compléta George. Navré, Hermione.
Elle mit un instant à comprendre qu’ils se moquaient des vêtements qu’elle tricotait – sans trop de talent, elle devait le reconnaitre – aux Elfes. Quand elle le comprit, donc, une étincelle rentra dans sa narine droite. Elle éternua un feu d’artifice verdâtre.
Les jumeaux applaudirent.
— Est-ce que vous avez pensé à la personne qui va devoir ranger tout ça ? gronda Hermione, une fois remise de ses émotions. Est-ce que vous avez conscience de tout le travail que vous donnez aux Elfes ?
— Parfaitement.
— D’ailleurs, ils nous en remercient chaque fois qu’on leur rend visite dans les Cuisines.
— Ron, soupira-t-elle d’un ton excédé en se tournant vers son ami qui semblait s’être suffisamment enfoncé dans le fauteuil pour fusionner avec. Tu ne peux pas m’aider, un peu ?
— Oui, Ron, imita Fred avec un sourire immense. Impressionne-nous avec ton pin’s de Préfet.
Il ne bougea pas d’une plume quand l’un de leurs Feuxfous Fuseboom fonça droit sur lui, confiant en les capacités de son jumeau pour le dévier. Et George se servit en effet du dernier numéro de la Gazette comme d’une batte qui renvoya l’étincelle à l’autre bout de la pièce à la vitesse d’un Cognard. Le Harry en photo sur le journal ouvrit la bouche de surprise. (Le véritable Harry - et bien heureusement pour lui - devait quant à lui se trouver en retenue avec Ombrage.)
Les yeux pétillants, Fred et George attendirent ensuite patiemment que Ron se redresse pour leur faire face.
— Vous devriez faire attention, commença le rouquin après s’être raclé la gorge.
— Insolite, ironisa George. Voilà que le garçon devient téméraire !
Pas vraiment insolite, en réalité, car sa remarque dut suffisamment blesser Ron dans son orgueil pour qu’il se lève franchement, les pieds plantés dans le sol et les bras croisés dans une attitude défiante peu banale. Les jumeaux en voulurent plus encore à son fichu insigne de Préfet.
— Vous devriez vraiment faire attention, reprit Ron avec davantage de conviction. Vous savez, la plupart des grands inventeurs ont vu leurs inventions se retourner contre eux.
Hermione lui lança un regard peu assuré. Il croisa pourtant les bras avec aplomb.
— Billiam Velson est mort à bord de sa Bicyclette Volante en 1903, récita-t-il d’un air connaisseur. Fomas Didgley Jr a fabriqué un système de cordes à base de Filet du Diable pour le sortir du lit quand il ne voulait pas se réveiller…
— Brillant, commenta George.
— Le Filet du Diable l’a étranglé dans son sommeil.
Ils froncèrent les sourcils. Hermione sourit. Elle semblait à présent impressionnée. Elle ignorait que le savant puisait son érudition dans la rubrique « Le Saviez-Vous ? que même Vous-Savez-Qui ne sait pas » de la Gazette.
— Polly Abbott, continua Ron d’une voix forte. Étouffée par son Parasol Autorétractable. A peine plus chanceuse que Ratus Domus, créateur de la première religion sorcière et enterré vivant par les membres de sa propre secte.
— Ou Marie Curie, intervint précipitamment sa collègue Préfète. Morte d’une anémie aplasique à cause de son exposition au radium.
Ils hochèrent tous gravement la tête sur cette inconnue au bataillon.
— Ou Bertie Crochue, ajouta Fred après un temps.
— Bertie Crochue ? répéta Ron comme pour se souvenir de ce « Le Saviez-Vous ? » qu’il ne savait visiblement pas.
— La malheureuse est tombée sur une dragée goût crotte de nez, dit George en essuyant une larme imaginaire.
Les jumeaux sourirent ensuite largement devant l’expression déconfite des deux Préfets. Légers, ils admirèrent tranquillement leurs derniers feux d’artifice pétiller dans les oreilles et encriers des élèves.
Car pourquoi s’inquiéter ? La Salle Commune de Gryffondor était rarement aussi joyeuse que quand ils y semaient le chaos. Les tentures roussies n’avaient jamais été si flamboyantes. Même les victimes collatérales souriaient béatement.
Hermione soupira lourdement. Puis, brusquement, comme piquée par une idée - ou un pétard -, elle tourna les talons. Elle monta en trombe dans les dortoirs des filles et en revint presque aussitôt avec un grimoire de la taille d’un dragonneau de huit mois sous le bras.
Fred et George firent trois pas en arrière quand elle le leur tendit.
— Merci mais…
— …sans façon, compléta George.
Elle le leur mit cependant férocement entre les mains sous le regard dubitatif de Ron.
— Lire un livre ? grimaça encore George. La punition me semble un peu brutale.
— C’est un Grimoire de Pandore, expliqua patiemment la jeune fille. Il recense toutes les inventions qui ont causé la perte d’une personne ou d’une civilisation.
— Cinq Galions qu’on les a déjà toutes imaginées, s’amusa Fred.
— Quant à celles qui nous auraient échappées, ajouta George par souci de modestie, il suffit d’aller parler à Peeves pour les connaître. Je salue ta pédagogie, Hermione, mais ton grimoire sera plus pratique comme tabouret.
— Ou presse-papier.
Fred et George n’avaient jamais trouvé les livres très utiles. Tout leur savoir provenait d’expériences plus ou moins heureuses, réalisées eux-mêmes ou des autres. Leur père avait par exemple toujours été une inépuisable source d’inspiration dans ce domaine. Et puis il y avait Bill et ses récits fantastiques tout droit sortis d’une pyramide, temple et autres curiosités Moldues. Même les monologues de Percy avaient contribué à leurs affaires.
Les jumeaux n’avaient jamais douté de leurs talents à tirer de leur quotidien les ingrédients qui feraient d’eux – ils le savaient – de brillants inventeurs et commerçants.
L’expérience leur ayant également appris qu’Hermione Granger pouvait être plus butée qu’un Hippogriffe, ils finirent par emporter avec eux le grimoire scellé dans leur dortoir.
Deux petites heures plus tard, assis sur ledit grimoire, Fred se coupait les ongles de doigts de pieds.
— Parle, dit-il à George qui, de toute évidence, avait quelque chose à dire.
Ce dernier interrompit son rangement fébrile des divers produits qu’ils stockaient dans leur chambre pour le plus grand malheur de tous les garçons qui n’étaient ni Lee, ni eux-mêmes.
Il fallait bien reconnaître qu’il y avait là quantité d’inventions plus ou moins dangereuses. Le sable du désert de Chalbi, tout droit importé du Kenya et dont les propriétés étaient (selon Ding’ - mais ils commençaient à comprendre qu’ils s’étaient fait arnaquer) aussi mystérieuses que formidables, côtoyait la poudre d’obscurité du Pérou et la Poudre Super Sorcière. Ils avaient également commencé une ligne de Chaussures Danseuses capables de faire valser son chausseur, du bambin encore rampant au vieillard boiteux.
— Ron m’a donné une idée, déclara enfin George en reposant une fiole volée au professeur Rogue.
Fred releva immédiatement la tête. L’incongruité de la phrase aurait pu la discréditer, mais il savait qu’il pouvait compter sur son jumeau pour trouver des éclairs de génie jusque dans le cerveau de Gregory Goyle.
— Il a raison, poursuivit George. Je te jure, Ron a raison ! Nos inventions vont forcément nous retomber dessus.
— Et alors ?
— Alors, répondit-il avec excitation, il faut s’en servir ! Jouer avec !
— Simuler notre meurtre par une de nos inventions ? ricana Fred. C’est faisable… et ça marcherait très bien sur Maman.
George secoua la tête en souriant. À Fred l’humour noir, à lui l’humour absurde. Et justement. Il développa donc :
— Je veux inventer un Bouclier à farces et attrapes.
Cruelle désillusion. L’enthousiasme de Fred retomba.
— C’est sûrement ta pire idée depuis les hors-d'œuvre en or.
Les « Or d’œuvre », avait-il voulu les appeler. Un set d’aliments exclusivement en or. Coûteux, frustrant, et pas franchement marrant.
— Non, non, écoute, dit George avec sérieux. Il n’y a rien de plus drôle qu’une blague qui ne marche pas. Souviens-toi de la fois où Percy a essayé de se venger en nous…
— Oui.
Son visage s’était illuminé. Et quand il rit, George sut qu’il avait la même image à l’esprit.
— Un bouclier qui neutralise les farces.
— Un bouclier qui les dévie, corrigea Fred en se levant.
— Un bouclier qui les fait rebondir.
George laissa son frère s’incliner pour lui baiser la main. Puis il leva les bras en l’air comme pour dessiner un tableau imaginaire.
— Je demande à Percy de me jeter un sort et il lui revient dessus.
— C’est hilarant.
Ils ne pouvaient acquérir la conviction du futur succès de leurs inventions qu’une fois qu’ils avaient considéré leur utilisation sur leur lèche-botte de frère aîné.
— Alors on fait quoi ? reprit George. On mobilise Peeves pour piquer les boucliers des armures du château ?
L’esprit pratique de Fred prit alors la relève.
— Non, pas des vrais boucliers, dit-il rapidement, désormais debout en équilibre sur le Grimoire d’Hermione. Des chapeaux. Des chapeaux de sorcier - plus personne n’en porte mais tout le monde trouve ça prodigieusement magique. Pas cher, on peut reprendre le fonctionnement des Chapeaux-sans-Tête et appliquer un sortilège de…
« Bouse de Troll je vais vous égorger ! »
Ils échangèrent un regard.
— Angelina, dirent-ils en même temps.
Fred eut tout juste le temps de ramasser le Grimoire de Pandore pour s’en servir comme protection ; Angelina Johnson venait d’ouvrir la porte de leur dortoir, leur offrant le spectacle effrayant de ses tresses à moitié carbonisées.
— Quel est le plus stupide de vous deux qui a eu l’idée de mettre un feu d’artifice dans mon Comète 290 ? rugit-elle.
— George pensait que ça te ferait gagner en vitesse, déclara immédiatement Fred.
La jeune fille haussa les sourcils. Elle fit trois pas en avant, juste assez pour se retrouver à quelques centimètres de George. Ce dernier fit de son mieux pour paraître sûr de lui et ignorer la menace d’une Angelina Johnson furieuse, si proche de lui que leurs nez se frôlaient.
— L’espace personnel, Angie, l’esp…
— Tu détruis mon balai et tu insultes mes talents de Poursuiveuse, l’interrompit-elle d’une voix basse et lente qui les fit frémir légèrement. George Weasley, je vais te faire manger tes foutus pétards et regarder tout ton corps exploser.
Il jeta un coup d’œil à Fred. Fred acquiesça. La conclusion de cette conversation muette fut que cette idée de Chapeau Bouclier était aussi merveilleuse que nécessaire.
Ce ne serait assurément pas leur meilleure invention. C’était loin d’être à la hauteur de la Boîte à Flemme dont ils étaient persuadés qu’elle les rendrait si riche qu’ils pourraient bientôt racheter Honeydukes (doux rêve d’enfants). C’était, comme toutes leurs trouvailles, léger, espiègle, joyeux.
C’était loin d’être destiné à servir d’arme dans une guerre qui entraînerait l’un d’eux dans la mort.