J’ai connu une mort violente. Une mort brutale et ensanglantée, dans les bras de celui qui disait m’aimer.
Je suis morte dans l’amertume et la colère, et ce sont les regrets qui m’ont fait rester. Je n’ai pas eu le courage de continuer, j’ai été trop lâche. Et si, de cet autre côté, j’avais été confrontée à ma mère ? Elle aurait pu me poursuivre dans l’au-delà, ça aurait été son genre.
Tout le monde admirait Rowena Serdaigle. Belle, intelligente, talentueuse, elle était toujours adulée. Et moi j’étais dans son ombre, tel un vilain petit canard. Je la regardais parader et j’étais rongée par une jalousie qui me dévorait.
J’avais envie de leur hurler, à tous, la vérité. Qu’elle était froide, sévère, presque cruelle dans l’intimité. Que je n’étais qu’un pion, qu’elle tentait de manipuler, dont elle avait honte. Je n’étais qu’un jouet qu’elle souhaitait façonner à son image, sans pour autant que je puisse l’égaler.
Si elle n’était pas si têtue, si je n’étais pas si rebelle, peut-être que les choses ne se seraient pas déroulées ainsi...
Peut-être.
On peut refaire l’histoire, avec des peut-être. La réalité est pourtant celle-ci : ma mère est morte, dans ce château qu’elle a bâti en partie et qu’elle aimait tant, entourée de tous ces admirateurs naïfs et aveugles. Tandis que moi, je mourais sous les coups de couteau d’un homme qui ne savait pas entendre un « non », seule et terrifiée dans une forêt noire à des centaines de kilomètres de chez moi.
J’ai erré longtemps, dans tous ces endroits que j’ai connus.
Cette forêt en Albanie, non loin de ce maudit diadème pour lequel j’étais morte, dissimulé aux yeux de tous.
Ce satané château de Poudlard, la clé de toutes nos discordes.
Je suis restée un long moment, là-bas. Je discutais beaucoup avec Helga. J’aimais bien Helga. Elle était douce, bienveillante, à l’écoute. Elle me comprenait, me conseillait avec gentillesse. Enfin, ça, c’est quand j’étais vivante.
Après ma mort, elle n’a fait que me mépriser. Elle ignorait ma présence fantomatique, détournait la tête, faisait mine de ne pas me reconnaître.
Elle m’en veut, pour ce qui s’est passé. Ma mère était sa meilleure amie après tout, et il faut toujours un coupable.
Pourtant, malgré son attitude déplorable, après sa mort, j’ai gardé un œil sur sa fille. Mabel. Un œil lointain, car Mabel me détestait plus encore que sa mère. Je l’avais abandonnée, je l’avais laissée seule dans ce nid de vipères, et je pense que si les situations avaient été inversées, j’aurais été tout aussi rancunière.
C’est long et triste, une existence de fantôme. Je n’avais pas grand-chose à faire, à part flotter dans des couloirs sinistres et essayer de rester le plus loin possible du Baron, qui avait eu la bonne idée de rester lui aussi sur Terre pour expier ses pêchés.
Alors après Mabel, j’ai suivi sa fille, son petit-fils, son arrière-petite-fille. Ça tuait le temps. Ça me donnait l’impression d’être importante, d’agir comme un ange gardien que je n’étais pas. Ça apaisait ma culpabilité.
Jusqu’à un beau jour d’été, de l’année 1582.
Isabel, dernière descendante directe d’Helga Poufsouffle, est morte sur le bûcher. Condamnée par la chasse aux sorcières qui ravageait le pays.
Je crois que je n’ai jamais ressenti autant de dégoût de toute ma vie de fantôme. Dégoût, haine, mépris. Pour ces humains ignares et ignorants, rongés par la peur et l’ignorance, qui condamnait des centaines, des milliers de femmes, à mourir de la plus horrible des façons. Tout ça parce qu’elles étaient des femmes. Elles avaient fait l’erreur de naître avec un vagin, et elles en payaient le prix.
Isabel était une de mes préférées. Je la suivais depuis quelques années. Elle était une Cracmolle, rejetée par son haut lignage, mais elle n’avait pas baissé les bras. Elle était devenue guérisseuse, et elle avait sauvé des dizaines et des dizaines de personnes, dans son village, avec des pommades, des onguents et de douces paroles.
Elle n’avait rien d’une sorcière, mais elle avait des mains magiques.
Elle me fascinait. J’avais tant à apprendre d’elle. Elle était persévérante, tenace, déterminée. Tout ce que je n’étais pas. Le rejet de ma mère avait fait de moi une femme vaine et jalouse, alors que elle, ça n’avait fait que la sublimer. Elle était née une deuxième fois, toute seule, à la force de sa volonté.
Et elle était morte, dévorée par les flammes, car on la disait possédée par le diable.
Je n’ai pas regardé son exécution. Je n’en ai pas eu la force.
Mais c’était la première fois, depuis toutes ces années, que j’avais une telle envie de redevenir matérielle. De leur faire regretter leurs actes, d’arrêter le feu, de la libérer. Alors même qu’elle ne savait pas qui j’étais.
Alors je suis retournée à Poudlard, amère et triste. C’était plus facile de se détacher des humains qui continuaient à vivre, en restant entre quatre murs silencieux.
J’ai quitté le prénom d’Helena pour me faire appeler la Dame Grise. C’était bien plus approprié. Je portais mon deuil, où que j’allais. Tout le monde attribuait ma mine froide à mon histoire tragique, mais en réalité, je portais le deuil d’Isabel.
Une innocente qui avait péri, comme tant d’autres, avec violence et mépris, alors qu’elle ne faisait qu’aider comme elle pouvait. Tuée par des êtres lâches et dénués de morale.
Peut-être bien au fond, que Salazar avait eu raison.