1963.
- Pousse-toi donc de là, Greyback ! Y a pas idée d’être aussi énorme.
Fenrir serre ses poings et ses dents, imaginant avec délice mettre sa grosse main sur la tête de son patron et l’éclater à plusieurs reprises dans le mur. Mais comme tout bon sorcier ayant réussi ses buses de justesse, et n’étant pas allé jusqu’aux aspics, Fenrir doit payer ses factures. Il souffle alors entre ses dents, et le sang du petit sorcier exécrable qui l’emploie cesse de poisser ses doigts. Il s’efface et le laisse passer, tout en se répétant qu’il a besoin de ce travail à la boucherie pour se nourrir. Peu de sorciers travaillent ici par choix.
Austin passe alors, traînant une demi carcasse d’hippogriffe derrière lui. Austin n’a pas réussi ses buses et n’est pas censé avoir de baguette magique, et celle qu’il a achetée sur le Chemin de Traverse, il ne sait pas vraiment s’en servir. Pour le faire rager, Fenrir lui fait un croche-pied qui le fait s’étaler dans le couloir, écrasé par la carcasse dans un ouf qu’il exhale péniblement.
- Un coup de main, Austin ?
D’un air goguenard, il saisit la carcasse et la jette sur son épaule avant d’esquiver la main tendue par Austin et de le laisser se relever tout seul. Accablé de jurons, Fenrir s’éloigne en riant.
Fenrir aurait mieux fait de transplaner, ce soir-là. Ou pas, justement. Il a toujours aimé rentrer en marchant le soir, le long de la route serpentant dans la forêt. Il fait un temps de gueux, à ne pas mettre un chat dehors, des écharpes de brumes, une pluie fine et persistante, un froid mordant. Mais Fenrir s’en moque, il aime bien sa petite demi-heure de marche le soir, ses longues foulées.
Peut-être que s’il avait eu les doigts moins engourdis par le froid, aurait-il eu le temps de saisir sa baguette.
La bête lui a presque pris sa vie, mais lui en a offert une autre. Une à la mesure de cette rage qui l’a toujours habité, et pouvait enfin s’exprimer pleinement.
Toujours est-il qu’il marche sur cette petite route déserte, pensant au bon feu qui l’attend. Un frisson le saisit mais il l’attribue au froid. Une seconde trop tard. Une seule seconde, il lève la tête et regarde autour de lui en entendant le hurlement à la lune. Qui est pleine. Et il n’y a plus de loups depuis belle lurette en Angleterre. Sa main fourrage la poche de son pantalon avec peine, parce que son long manteau le recouvre, et avant d’avoir pu lancer son poing massif dans la gueule de la bête qui lui saute dessus, Fenrir fait un gros plat sur le dos sur l’asphalte, ce qui lui fait voir quelques étoiles et crisser les dents. Il grogne de douleur quand il a l’impression que la bête lui arrache l’épaule, et ferme de nouveau son poing pour l’expédier avec le plus de force possible dans la tête du loup-garou.
Fenrir arrive à le déloger au second coup de poing dans la tempe, et il roule sur le côté. Avant que le jeune sorcier n’ait le temps de se relever, le loup-garou s’est déjà ébroué, lui a lancé un regard, semblant soupeser sa dangerosité, avant de partir en courant vers la forêt. Fenrir ôte son manteau en grimaçant, tâte son épaule, il lui manque un bout de muscle. Puis il grince des dents et reprend sa marche.
Arrivé chez lui, après des soins sommaires, il pèse rapidement le pour et le contre. Aller à Sainte-Mangouste, être obligé de s’inscrire sur leur liste des loup-garous pour être surveillé ? Non.
Fenrir va libérer toute sa rage, mais ce sera toujours le loup-garou le coupable.