Après bien des pérégrinations dans toute l'Europe, après avoir parcouru Paris, Madrid et Rome, ses pas l'avaient finalement porté ici, dans cette petite ville où de vieux amis l'invitaient à séjourner.
Et pour la première fois depuis longtemps, il s'était senti revivre pleinement. Bien-sûr, ses voyages depuis plusieurs mois lui avaient permis de se remettre en mouvement. Mais l'animation qu'ils lui procuraient s'estompait bien vite à chaque fois, au moindre moment d'inaction ou même au moindre contretemps.
Göttingen pourtant s'était révélée bien différente de ses autres destinations, sans qu'il ne parvienne bien à comprendre pourquoi mais d'une manière totalement indéniable tout de même.
Qu'avait-il donc trouvé ici de plus qu'ailleurs ? Et surtout, pourquoi cela l'étonnait-il autant ?
Après la frénésie parisienne, aurait-il eu tout simplement besoin de repos ?
Bien sûr, ce n'est pas la Seine,
Ce n'est pas le bois de Vincennes,
Mais c'est bien joli tout de même,
A Göttingen, à Göttingen.
De toute manière, il avait toujours dit que les grandes capitales européennes étaient terriblement surcotées, surtout leurs quartiers sorciers qui, à l'instar du Chemin de Traverses à Londres, suffoquaient entre deux rues et une bonne dizaine de sortilèges de dissimulation.
Cela au moins, les Allemands l'avaient bien compris et ils avaient eu le souci de disséminer leurs institutions un peu partout dans le pays, les rendant accessibles aux uns et aux autres grâce à tout un réseau de cheminée et de portoloins.
Autre trouvaille intéressante : dans certains cas ils ne les avaient pas dissimulées mais simplement camouflées au sein-même du monde moldu, comme par exemple certaines de leurs boutiques ou bon nombre de leurs bibliothèques.
Il n'y avait pas à dire, Ignacius aimait ce pays dans lequel il se sentait plus libre qu'ailleurs, plus anonyme et moins menacé également même si le nom Malefoy était connu du public.
C'est peut-être ici après tout qu'il pourrait s'établir afin de refaire sa vie, loin des histoires de sa puissante mais pesante famille.
Pas de quai et pas de rengaines,
Qui se lamentent et qui se traînent,
Mais l'amour y fleurit quand même,
A Göttingen, à Göttingen.
Une seule question demeurait : avait-il le droit d'imposer cela à Eris ? De l'éloigner de leur famille étant donné qu'il devinait que ses parents ne voyageraient plus très longtemps hors d'Angleterre ?
Eris était si attachée à sa tante et à sa grand-mère qu'il hésitait franchement à sauter le pas. Mais d'un côté, ses absences à lui pesaient lourdement sur le moral de la fillette et il ne pouvait l'ignorer.
Lui-même n'avait juste plus la force de rester en Angleterre, de devoir se plier aux règles de son rang et faire bonne figure en toutes circonstances. Quant-à rester dans l'ombre de son frère, prêt à servir ses sombres intérêts au besoin, l'épisode de la Chambre des Secrets lui en avait fait définitivement passer l'envie.
Le délire ambiant sur la pureté du sang qui prenait toute la place en Angleterre ne s'était pas autant apaisé qu'on le disait depuis la Chute du Seigneur des Ténèbres, encore moins chez les Malefoy qui soutenaient à l'extrême cette idéologie depuis des décennies.
Une prise de position aux antipodes de celles que leurs ancêtres avaient soutenue lors de la mise en place du Secret Magique, époque durant laquelle les Malefoy avaient farouchement lutté contre une séparation des deux mondes, étant donné qu'ils faisaient du profit aussi bien avec les moldus qu'avec les sorciers.
Une époque également où leur Sang n'était sans doute pas aussi pur que ce qu'ils prétendaient aujourd'hui.
Si Ignacius devait être honnête, il lui fallait reconnaître que durant bien longtemps, les Malefoy avaient eu vis-à-vis des moldus une manière de faire assez similaire à celle des sorciers allemands qu'il côtoyait aujourd'hui :
Un mélange discret et subtil, mais un mélange quand-même.
Un cauchemar pour le Secret Magique. Telle était l'histoire des Malefoy au fond. La sienne comme celle de son frère qui méprisait pourtant les sorciers du continent en général, et les germaniques en particuliers qu'il jugeait « totalement impurs ».
Ils savent mieux que nous, je pense,
L'histoire de nos rois de France,
Hermann, Peter, Helga et Hans,
A Göttingen,
Mais contrairement à ce qu'affirmaient des clichés persistants, les sorciers allemands n'étaient ni incultes, ni arriérés, n'en déplaise à Lucius. En fait il était même très difficile de les décrire tant ils étaient différents les uns des autres.
Bien-sûr, il y avait toujours ce problème d'inégalités entre les uns et les autres, quoique les choses s'arrangent doucement au fil du temps.
La guéguerre existerait encore longtemps entre les sorciers des villes, artisans et intellectuels généralement aisés, et ceux des campagnes et des forêt qui cultivaient plutôt leurs différences avec le reste du monde magique et ne se pliaient à ses règles qu'avec une grande réticence. Une communauté plus rétive et marginalisée qui avait plus d'une fois fait parler d'elle et pas toujours en bien.
Et que personne ne s'offense,
Mais les contes de notre enfance,
"Il était une fois" commencent,
A Göttingen,
Dans cette ville cependant, de nombreux sorciers de tous les milieux s'étaient mélangés au fil des années, créant une culture encore inédite au sein de la société magique.
Les sorciers originaires des campagnes, ou au contraire nés et élevés dans des grandes villes, avaient créé de véritables jardins potagers qui côtoyaient sans problème ceux des moldus dans différents endroits de la périphéries. Cela donnait à ces quartiers des allures de jardins fantastiques entre les gigantesques plants de citrouilles, les radis noirs et les plantes « aromatiques » des uns, et les élevages de botrucs déguisés en vergers des autres.
A Göttingen, chez ses amis les Von Mülherei, Ignacius avait découvert avec un mélange de stupéfaction, d'effroi et de fascination, cette étrange culture clairement sur le fil du Secret magique. Le vieux couple qui l'avait accueilli faisait partie d'une vieille famille allemande de propriétaires terriens, autrefois un peu comme les Malefoy.
Mais si leur fortune demeurait pratiquement intacte, le fait qu'ils n'aient eu que deux filles mariées, l'une à un cadet d'illustre famille et l'autre à un Sang-mêlé, ferait disparaître leur nom à la génération suivante.
Bien dommage lorsque l'on y réfléchissait. Mais bon, Peter et Helga Von Mülherei jouissaient en attendant d'une heureuse vieillesse, entourés de leurs nombreux petits enfants (Ignacius en avait compté au moins huit, ce qui n'était pas rien).
Bien sûr, nous avons la Seine,
Et puis notre bois de Vincennes,
Mais, Dieu, que les roses sont belles,
A Göttingen, à Göttingen.
Oui, s'il s'établissait ici, dans cette ville ou dans sa proximité, il y avait moyen qu'il reconstruise sa vie. Mais comment faire s'il se devait de servir les intérêts des Malefoy avant tout ?
Jamais ses parents n'accepteraient son départ, de cela il en était sûr. Et le risque qu'ils mettent tout en œuvre pour l'empêcher de réaliser ses projets était bien réel. Après-tout, Abraxas Malefoy étant le chef de famille, il était en mesure de s'opposer matériellement aux désirs de ses fils.
Ignacius savait donc qu'il devait impérativement se montrer prudent s'il voulait pouvoir continuer à agir comme il l'entendait.
Nous, nous avons nos matins blêmes,
Et l'âme grise de Verlaine,
Eux, c'est la mélancolie même,
A Göttingen, à Göttingen.
Mais retourner définitivement en Angleterre ? Non, hors de question.
Cela Ignacius ne pouvait tout simplement pas s'y résoudre. Et tout son entourage en avait conscience, il voulait le croire.
Son père savait qu'il avait hérité de son besoin de bouger, d'explorer et de découvrir. Il était conscient également qu'il avait un caractère à la fois passionné et entier, pratiquement impossible à contraindre aux convenances, dispositions doublées d'une détermination frisant souvent l'opiniâtreté.
Alors l'imaginer rentrer et se recaser sagement en renonçant à ses désirs... Il fallait être fou pour concevoir une chose pareille. Même sa mère qui brillait par sa propre détermination à lui imposer ce qu'il n'avait pas envie qu'on lui impose avait fini par le comprendre.
Et lorsqu'il imaginait Eris épanouie ici avec des amis comme les petits enfants des Von Mühlerei, Ignacius était prêt à braver la vindicte de ses parents.
Oui, il agirait comme bon lui semblerait.
Quand ils ne savent rien nous dire,
Ils restent là à, nous sourire,
Mais nous les comprenons quand même,
Les enfants blonds de Göttingen,
Après-tout, c'était naturellement qu'il s'était intégré ici, servi par son don pour apprendre les langues. Il se voyait à présent pleinement s'établir ici avec sa fille, reconstruire sa vie...
Et peut-être un jour rencontrer quelqu'un, mais rien n'était pressé. Il pouvait attendre, il se suffisait à lui-même pour le moment.
Il n'y avait que loin des siens qu'il éprouvait ce sentiment malheureusement.
Et tant pis pour ceux qui s'étonnent,
Et que les autres me pardonnent,
Mais les enfants se sont les mêmes,
A Paris ou à Göttingen,
Non, à Hastings et à Battle il n'y en avait pratiquement pas en fait. Et pour trouver des gens de l'âge d'Eris qui soit fréquentables, Ingacius aurait du fouiller toute l'Angleterre et soumettre chaque candidature au bon-vouloir de sa mère.
Merci, mais il avait donné. Et lorsqu'il voyait Helga Von Mühlerei accueillir tous ses petits-enfants sans se soucier le moins du monde de leur pedigree, il en venait à se dire avec douleur que lui et son frère avaient bel et bien manqué quelque-chose durant leur enfance.
Et si ce n'était que dans leur enfance... Ignacius se sentait un peu plus carencé de relations chaque jour.
Ô faites que jamais ne revienne,
Le temps du sang et de la haine,
Car il y a des gens que j'aime,
A Göttingen, à Göttingen.
Pourquoi fallait-il qu'il soit enfermé dans un milieu aussi hermétiquement clôt sur lui-même ? Pourquoi devait-il se plier à ses codes depuis autant de temps ?
Mais surtout, que faire pour éviter à Eris de subir la même chose que lui ? Pour lui permettre de vivre une vie plus libre et épanouie, en empêchant l'Histoire de se répéter chez les Malefoy ?
Il craignait de connaître la réponse : il fallait qu'il l'éloigne de leur famille et de ses projets de grandeur, qu'il évite à tout prix qu'elle ne devienne un enjeu dans leurs plans.
Et après-tout, n'en avait-il pas les moyens, maintenant que le Seigneur des Ténèbres n'était plus et que Lucius s'efforçait de sauvegarder les apparences auprès de tous ?
Mais si tout devait recommencer un jour ? Si cette paix et cette liberté qu'il avait acquise était brusquement mise en péril ?
Mieux valait qu'il fuie l'Angleterre.
Et lorsque sonnerait l'alarme,
S'il fallait reprendre les armes,
Mon cœur verserait une larme,
Pour Göttingen, Pour Göttingen ...