Après leur fuite de Marienbad où Ignacius serait pourtant bien resté un peu plus longtemps, ils étaient de retour à Göttingen, chez ses amis Peter et Helga Von Mühlerei.
Très vite, Ignacius avait oublié la contrariété et la peur qui avaient accompagné leur départ de la ville tchèque. Il n'ignorait les dangers de sa position, même si en définitive Lucius était revenu vivant de sa rencontre avec le Seigneur des Ténèbres.
Il était parfaitement conscient également que, le mage noir de retour, d'autres contraintes pèseraient immanquablement sur lui lorsqu'il reviendrait en Angleterre.
Si il revenait en fait. Car pour l'instant ni lui ni Eris n'y songeaient. La fillette qui venait de faire un tas de nouvelles rencontres en arrivait au point où elle l'oubliait presque lui-même, toujours affairée à courir partout et explorer le domaine des Mühlerei avec ses nouveaux amis.
Ignacius voulait avant toute chose rester loin de sa famille ainsi que de leurs démons, et Göttingen était l'endroit parfait pour se sentir en sécurité avec Eris et Jaody. Contrairement à Marienbad, personne ne savait qu'il se trouvait ici. Ses parents ne pouvaient même pas le contacter directement, c'était lui qui les appelait, toujours d'ailleurs et sa jamais leur révéler sa position.
A Göttingen, il se sentait libre. La petite ville flamboyait sous le soleil du début d'été, la compagnie était joyeuse et rien ne pouvait plus vraiment l'inquiéter.
Cet après-midi là, il surveillait une joyeuse petite troupe composée d'Eris et de cinq autres gamins depuis le auvent du jardin des Mühlerei. Son hôtesse, Helga, était assise à côté de lui et la discussion s'était rapidement engagée, dérivant sur des domaines très sérieux dès l'instant où les enfants s'étaient éloignés :
- Vous ne pensez donc pas à vous marier à nouveau, Ignacius ? Lui demandait doucement son hôtesse alors qu'ils venaient d'évoquer Hortense.
- Je n'arrive pas à l'envisager, répondit-il. Ce n'est pas que les femmes ne m'attirent plus... Si vous voyez ce que je veux dire et je dois confesser que j'ai volontiers profité de mes quelques mois de solitude pour m'accorder quelques libertés de ce côté... Mais une épouse, non, je n'arrive pas à y songer sérieusement.
- Est-ce l'engagement qui vous fait peur ?
- Non, répondit Ignacius. C'est avant tout une question de confiance. Voyez Helga... Je suis riche et cela se sait. Toutes les femmes qui m'approchent le font avec une arrière-pensée, ou alors celle-ci naît très vite une fois qu'elles ont conscience de qui je suis. Je voudrais, souvent...
- Et vous laisser conseiller par vos proches ? Contracter une union peut-être moins passionnelle, mais avec une femme qui vous serais dévouée serait peut-être une solution pour vous...
Ignacius la fixa avec surprise, presque scandalisé :
- Est-ce que vous vous y résoudriez, vous, Helga ?
- Je m'y suis déjà résolue une fois, Ignacius.
La vieille femme avait répondu sur un ton grave, et elle ajoutait déjà :
- Vous fuyez toujours on ne sait trop quoi... Mais je crois mon cher ami que vous n'arrivez tout simplement pas à vous attacher, que vous vous interdisez de le faire. Mais vous ne trouverez personne qui égale votre épouse décédée si vous l'avez aimée aussi fort que je le crois.
- Qu'en savez-vous exactement Helga ? Demanda t-il plus étonné que vexé.
- J'en sais que Peter Von Mühlerei n'est pas ma plus belle histoire d'amour. En vérité, on pourrait presque dire que je l'ai épousé dans la perspective d'un arrangement...
Presque choqué, Ignacius inclina la tête, lui demandant de poursuivre, ce qu'elle fit :
- J'avais tout juste seize ans la première fois que je me suis mariée. Mon mari s'appelait Konrad Bleiberg et j'étais follement amoureuse de lui. C'était un sorcier de Sang Pur, très intelligent, pas particulièrement riche mais avec une situation convenable et nous nous étions rencontrés à Durmstrang. Nous avons vécu une relation sans doute aussi passionnée que celle que vous avez eu avec Hortense. Seulement, il a commis l'erreur de servir Grindelwald et il a fini par être tué.
- Oh... Souffla Ignacius confus. Je ne savais pas que vous étiez une veuve de guerre...
Helga le regarda tristement et secoua la tête :
- Une veuve du crime Ignacius, et cela est bien plus infamant, croyez-moi. Je me suis retrouvée seule à même pas vingt-et-un ans. Je n'avais plus de dot car mon mari avait tout dilapidé pour sa cause, ni réputation... Et je n'avais pas d'enfant, j'étais réputée stérile. Le tableau n'était pas brillant.
- Comment avez-vous fait alors ?
- Mes parents ont cherché quelqu'un de bien pour essayer de me sortir de cette situation et c'est Peter qui s'est finalement proposé. Il avait une petite-fille, comme vous. Nous n'avions pas les mêmes opinions puisque j'étais encore une partisane de Grindelwald et de toutes ces bêtises mais, comme il venait d'essuyer un divorce dans lequel il avait récolté la plus grande partie des torts pour des raisons que je ne dévoilerai pas, il a demandé ma main et nous nous sommes mariés...
Helga fit une pause et son visage se tordit presque d'une grimace, comme si elle évoquait là des souvenirs très sombres. Puis elle poursuivit :
- Au début ce n'était pas vraiment facile car j'étais en colère, encore follement amoureuse de Konrad et lui ne me faisait guère confiance pour tout dire...
- Comment la situation s'est-elle redressée alors ? Demanda Ignacius intrigué.
- Un jour la fille de Konrad, Margarita, a été mordue par une tentacula vénéneuse alors qu'elle jouait à coté de nous dans la serre et elle a été prise de convulsions. Il s'est trouvé incapable de réagir, il a paniqué mais moi j'ai couru la dégager, j'ai été mordue également mais j'avais comme toujours un bézoar dans ma poche alors je le lui ai enfoncé dans la gorge. J'ai eu le temps de le faire avant de m'effondrer à mon tour et Konrad qui s'était ressaisi en a trouvé un autre dans l'armoire par miracle. Il m'a sauvée également mais je suis restée très longtemps dans un état second, couchée au fond de mon lit.
- C'est un miracle que vous vous en soyez sortie... Souffla Ignacius. La tentacula vénéneuse est une plante terriblement toxique.
- Oh oui ! D'ailleurs vous avez un professeur de Poudlard qui a perdu son mari comme ça si je ne me trompe pas ! Enfin bref, Konrad m'a soignée durant tout ce temps et, à mon réveil, notre relation avait changé, nous étions devenus proches. Je suis tombée enceinte l'année suivante de ma Lena. La mère de Margarita s'était définitivement éloignée alors nous sommes restés nous quatre, comme s'il en avait toujours été ainsi mais ce n'est pas le cas...
Ignacius hocha gravement la tête, secoué malgré tout par ses révélations. Comme quoi, les apparences étaient souvent bien trompeuses... Un peu plus loin dans le jardin, Eris jouait avec Lisa et Jil, les deux petites filles de leurs hôtes.
Elles étaient en train d'imiter quelque-chose qui ressemblait vaguement avec un papillon et sa fille suivait du mieux qu'elle pouvait les instructions des plus grandes.
Ignacius sourit soudain bêtement car il ne l'avait plus vue si épanouie depuis la mort d'Hortense.
- Je ne sais pas, de mon côté, qui est ma plus belle histoire d'amour... Souffla t-il. Était-ce ma femme ? Celle auprès de qui je me sentais plus vivant que je ne l'avais jamais été ? Ou bien est-ce cette petite créature parfois diaboliquement manipulatrice pour laquelle je serais capable de me jeter vivant dans un Feudeymon ? Elle a l'air si heureuse aujourd'hui que je m'aperçoit à quel point la solitude a du être dure pour elle ces dernières années...
- La solitude et l'isolement sont des maux terribles Ignacius. Et si vous continuez sur la dynamique qui est la vôtre aujourd'hui, c'est Eris et vous-même que vous allez y exposer. Vous portez le deuil depuis plus d'un an à présent, et vous n'avez toujours pas repris une existence normale.
- Je...
- Je comprends que votre situation soit compliquée. Mais fuir indéfiniment, vous isoler comme vous le faîtes ne vous sauvera pas à terme. Vous pensez protéger Eris mais, sans appui, elle deviendra une proie et vous le savez.
- Je sais qu'elle a besoin de compagnie et d'autres personnes qui vivent avec elle. Je la vois bien aujourd'hui...
Eris rayonnait en effet littéralement en compagnie des deux fillettes et cela faisait presque une heure qu'elles batifolaient dans le jardin sans se soucier de rien.
Et lui aussi aurait bien voulu être comme elle, inconscient de la réalité de leur situation.
Ignacius réalisait à présent combien la solitude avait hanté et accompagné la fillette, combien elle s'était refermée et isolée durant ces mois d'isolement qu'elle avait passés avec sa grand-mère.
Il savait depuis longtemps bien-sûr que Nephtis Malefoy, la matriarche de la famille, ne reconnaissait guère les bienfaits à mettre les enfants en compagnie de leur semblables. Il s'était bien rendu compte qu'elle l'avait souvent laissée seule avec des personnes plus âgées qu'elles.
Il savait aussi que ses rares tentatives s'étaient soldées par des échecs, Eris se retrouvant toujours à l'écart durant les rencontres plus ou moins familiales que les Sang-Pur organisaient toujours entre leurs enfants.
Alors la vieille femme avait abandonné. Et il n'arrivait même pas à le lui reprocher.
Pourtant, Eris n'avait souvent rien laissé paraître, restant simplement muette et en retrait du groupe, mangeant peu mais toujours avec des bonnes manières...
Une enfant bien peu contrariante, mais dont Ignacius mesurait à présent le mal-être profond. Quelle adulte pourrait-elle devenir dans ces conditions ? Surtout avec la situation qu'il pressentait pour elle dans le futur ?
Si seulement Hortense avait été là, pensa t-il. Elle aurait su quoi faire.
« Tu lui redonneras une mère, tu me le promets ? »
C'était presque les derniers mots de son épouse, il s'en souvenait... Mais il n'arrivait tout simplement pas à l'envisager.
Il n'y avait aucun égoïsme chez Hortense, elle n'avait jamais tiré la couverture à elle et sa simplicité doublée d'un désintéressement total lui avait valu l'amitié de tous chez les Malefoy. Ignacius savait pourtant qu'elle avait craint en silence qu'on ne le pousse à la répudier lorsqu'il était devenu évident qu'ils auraient difficilement des enfants.
Il savait qu'elle s'était sentie coupable de sa malédiction un nombre incalculable de fois.
Elle souffrait toujours aussi silencieusement que possible et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Eris avait vraisemblablement hérité d'elle.
Ici, à Göttingen, Eris ne parlait pas non plus beaucoup pour le moment, étant donné qu'elle ne connaissait pas la langue...
Mais c'était presque comme si elle n'en avait pas eu besoin, le jeu était naturel avec les petites filles d'Helga qui, pour manquer quelque-peu de manières, n'en étaient pas moins de gentilles gamines qui ne dédaignaient pas les enfants plus petits.
Eris s'était rapidement retrouvée comme un poisson dans l'eau, en adoration devant Lisa et Jil. Elle ne vivait plus que pour les suivre depuis qu'elle les avait rencontrées, Ignacius le voyait bien.
Avec Helga, ils ne parlèrent pas plus, conscients que la discussion n'irait pas plus loin pour aujourd'hui, qu'aucun des deux ne pourrait le supporter. Ils se contentèrent de regarder les enfants jouer durant un bon moment.
Et lorsque le goûter fut servi et que les petits-enfants se regroupèrent sous la venelle de l'avant-toit, Eris n'eut même pas son réflexe habituel de toujours chercher à se placer près de lui. Au contraire, elle s'assit entre les deux sœurs, le visage plein d'un énorme sourire.
Ignacius sourit aussi.
Eris semblait surexcitée, ce qui ne lui arrivait pourtant jamais ou presque. L'elfe de maison s'avançant avec le goûter, elle se prit même à l'imiter :
- « Madame est servie », récita t-elle cérémonieusement au moment où il posait le plateau de biscuits sur la table, le coupant net dans son cérémonial habituel.
Madame, Helga Von Mühlerei pour être précis, suspendit son mouvement alors qu'elle s'apprêtait à faire le service et lui lança un regard stupéfait avant qu'un sourire mal maîtrisé ne vienne déformer son visage qu'elle semblait vouloir garder impassible. Tout le monde éclata de rire et l'elfe un peu confus se contenta de s'incliner devant sa maîtresse qui lui fit signe de disposer en le remerciant.
C'était encore une chose qu'Ignacius appréciait chez les Von Mühlerei.
Eris de son côté ne comprenait ni le français ni l'allemand, et il était probable qu'elle ne saisisse pas un traître mot de ce qu'elle venait de répéter, mais l'effet n'en était que plus hilarant encore, d'autant qu'elle fixait les deux autres petites filles d'un regard entre la fierté et la recherche désespérée d'approbation.
Avait-elle bien fait ? Il semblait bien qu'elle se le demande en tout cas même si ses compagnes avaient éclaté de rire.
Ignacius riait aussi, il s'était rendu compte quelques jours plus tôt que sa fille commençait à répéter avec assurance les mots et les phrases qu'elle entendait le plus souvent. Généralement, elle le faisait pour signifier à une de ses amies qu'elle pensait avoir compris ce qui lui était dit, ou alors par jeu et parce qu'elle voyait bien que ses tirades à l'accentuation quelque-peu improbable faisaient rire leur monde.
Toute maladroite dans ses relations qu'elle soit, son statut d'étrangère lui accordait encore l'indulgence des autres.
Mais, songea plus sombrement Ignacius, que se passerait-il lorsqu'elle perdrait aux yeux des autres l'attrait de la nouveauté ?