Severus mettait sur sa table tous les ingrédients dont il aurait besoin pour fabriquer la potion Tue-Loup. Aconit, poudre de pieuvre, yeux de scarabée, armoise… Les trois quarts de ce qu’il sortait de son armoire n’appartenaient qu’à sa réserve personnelle ; ce n’était pas des ingrédients qu’il mettait à disposition des élèves. Et avec raison. Quelques feuilles d’aconit dans de mauvaises mains, glissées dans un bol de soupe…
Albus lui avait demandé, au début de l’année, de faire cette potion Tue-Loup tous les mois, pour un nouveau professeur. « Qui donc ? » avait-il demandé, trop flatté par la confiance du directeur en ses talents de maître des potions pour se douter de la réponse.
« Remus Lupin », avait-il répondu.
Depuis, Severus avait gentiment préparé cinquante-six portions – pour huit mois. Il voyait ses stocks d’ingrédients rares baisser à vue d’œil, voyait les Galions qui sortaient des coffres de l'école – qui déjà ne débordaient pas – et grommelait intérieurement. Intérieurement seulement, car il faisait ce qu’il avait à faire. C’était Albus qui lui avait demandé, et il lui était loyal. Toujours.
Alors il versa tous les ingrédients dans le chaudron bouillant et mélangea le tout. Trois tours vers la gauche, quatre vers la droite, puis un coup de baguette magique pour terminer le tout. Il éteignit le feu et, quand la potion cessa de bouillir, une dizaine de minutes plus tard, il la versa dans une grande tasse et sortit de son laboratoire. Il grimpa les marches qui le séparaient du bureau de Lupin, ravi de n’y croiser personne – ni élève, ni professeur, ni fantôme – et arriva devant une porte fermée. Quand il cogna à la porte, une voix fatiguée lui répondit aussitôt :
— Entre, Severus.
Avant de faire comme on le priait, le maître des potions sortit de sa poche une petite fiole noire, sans étiquette, et en versa exactement trois gouttes dans le verre de Tue-Loup. Il fit un petit geste du poignet pour bien mélanger le liquide, diluer le dernier ingrédient qu’il venait d’y ajouter, puis tourna la poignée. Lupin était seul dans son bureau devant une montagne de paperasse – sans doute des devoirs de ces ignares qu’on appelle des étudiants.
— Merci beaucoup, dit le loup-garou en s’emparant de la tasse. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
— Ne tarde pas à la boire, répondit Severus d’une voix ennuyée. Elle sera encore moins bonne si elle est froide.
Sans en dire plus, il ressortit du bureau et ferma la porte derrière lui. Mais, contrairement à son habitude, il ne redescendit pas tout de suite vers ses cachots mais resta sur le palier, tentant de deviner ce qui se passait derrière la porte.
Au début, il n’entendit rien. Puis vinrent les bruits distincts de quelqu’un en train de boire quelque chose de dégoûtant.
Une petite toux.
Un raclement de gorge.
Une grosse toux.
Un râle.
Un cri.
Un fracas.
Silence.
Severus attendit quelques minutes pour être absolument sûr que plus aucun bruit ne sortait du bureau de Lupin avant de tourner à nouveau la porte du bureau.
Le professeur était couché sur le dos par terre, son visage blanc et fatigué tordu par un rictus de douleur. Severus sourit en s’emparant de la tasse pour la jeter dans le feu.
Oui, c’était Albus qui lui avait demandé de préparer la potion Tue-Loup. Pour quelqu’un qu’il haïssait.
Il ne fallait pas trop lui en demander, quand même.