« Assassin ».
Il riait.
« Assassin » - qu’ils continuaient de dire pour mieux l’assassiner.
Et lui, continuait de rire.
Vermine.
Crapule.
Traître.
Là, ses traits se contractaient. Tout mais pas ça. Le mot se déversait jusque dans ses entrailles et la bile menaçait de monter.
Traître.
Il avait envie de gerber.
En à peine trente secondes, le verdict était tombé. Pas eu besoin de procès. C’était clair comme de l’eau de roche, il était le coupable parfait.
« Coupable » disaient les Aurors.
Ça sonnait presque juste, dans sa tête. Comme si depuis l’enfance, on avait construit son avenir autour de cet événement-là, comme s’il avait existé à l’ultime condition de finir dans cette prison sinistre.
Azkaban lui tendait les bras depuis des années ; être conduit là-bas, de gré ou de force, était une délivrance.
« Coupable » disait la justice, le remerciant gentiment pour ses services.
Il ne pouvait que rire.
C’est après, lorsqu’il avait été seul, qu’il avait craqué.
Quand il n’y avait plus eu qu’une cellule froide
et des désolations.
quelques camarades de galère dont il aurait bien aimé se passer
et, pour se consoler, des milliers de regrets.
« Coupable » disaient les journaux.
Coupable d’être né, en somme, dans cette famille de dégénérés. La mère ne le lui avait jamais
pardonné. Son mari, le père, un homme insignifiant, avait été ravi de voir gigoter un membre entre les cuisses de l’héritier, son tout premier, puis il était parti s’occuper d’affaires plus intéressantes.
La société l’avait désigné
Le pouvoir l’avait désigné
Sa famille, ses ennemis et même ses collègues l’avaient désigné
coupable d’être né Black
Et il l’était resté.
Il était jeune alors. Un gibier facile. Du moins, c’était ce que pensait cette femme au cœur tendre qu’il appelait « mère ». Elle avait dû se rendre à l’évidence lorsque, plus grand, il avait foutu en l’air tous ses plans.
*
Et puis, un jour, quitter cet enfer
Et tomber sur sa photo dans les colonnes de la Gazette
juste à côté de celle du président
Et tomber sur sa photo dans la rubrique criminelle
Et tomber sur sa photo sur les murs de la ville
Et, plus tard, se regarder dans un miroir
Et ne pas se reconnaître
Et manquer de vomir
Et découvrir son poids ridicule sur la balance
Et courir
Courir jusqu’à la tombe de James et Lily
Et sentir son cœur flancher
Et demeurer dans sa forme canine
d’abord pour ne pas être démasqué
puis pour atténuer la douleur
et ne pas pleurer
Et puis courir, courir, courir
Et ne pas s’arrêter
Jamais
Et profiter de cette nouvelle liberté
Et voyager
Et s’accorder des vacances, même
De Bagdad à la Havane en passant par la France
Et vivre réellement, pendant deux ans
sans toit ni loi
Et, une nuit, rencontrer son filleul
Et frôler le bonheur
Et puis se retrouver enfermé, à nouveau.
Un enfer pour un autre.
La vie lui lançait un énième coup du sort, et lui, encore une fois, ne pouvait s’empêcher de rire.
Il faut dire que la blague était bonne. C’était la deuxième fois en quinze ans qu’il riait à s’en déboîter la mâchoire.
Lorsqu’il marchait dans les couloirs du 12, square Grimmaurd, il avait toujours l’impression d’aller à la potence, même vingt ans après. Il la sentait, elle, cette chienne - sa mère. Prête à bondir de n’importe où. Les murs tremblaient déjà et la maison absorbait son énergie. Tout était gangréné ici : la putain avait pris possession de tout, même de lui, même après sa mort. Lâche-moi, grognait-il. En vain. Il tombait sur un Doxy oublié qu’il écrasait d’un geste vif, se retrouvait devant les têtes empaillées des elfes qui paraissaient vouloir le dévorer et il s’infligeait tout cela car il était persuadé que c’était le seul chemin vers le repentir. Il devait s’infliger ce supplice pour se laver de la culpabilité d’être né Black.
« Fils de rien ! ».
Il se retourna.
Elle était là, dans son portrait, fidèle à ce qu’elle avait toujours été, portement fièrement un doux sourire.
Elle était là, calme et détendue, une reine en son empire.
C’était une sacrée comédienne, sa mère. Lui seul le savait. Lui seul connaissait l’étendue de vice et de cruauté derrière ce masque de porcelaine.
Lui seul avait déchiré le papier d’emballage pour y découvrir le monstre.
Elle le narguait. Il voulait tant la détruire, c’en était inhumain. C’était surtout inhumain d’avoir engendré Walburga Black. Il la tenait pour responsable de la plupart de ses maux, sa délinquance et sa déchéance. « Ta gueule ».
Dire qu’il avait été grand. Voilà où ça l’avait mené.
Elle avait ri, elle aussi, de ce rire méchant qui l’avait bercé toute sa vie.
Il n’avait pas compris qu’elle s’était insultée elle-même.
Il ferma les rideaux maladroitement et remonta les escaliers en titubant un peu. D’habitude il transplanait pour ne pas avoir à confronter ce spectacle hideux, mais ce soir, il avait besoin de se faire violence en reprenant les pas de son enfance.
Cependant, des cris qui venaient de sa chambre l’amenèrent à faire demi-tour.
Maman ?
Buck avait pris sa place. Buck était comme une mère. Il aimait Buck autant qu’il haïssait Walburga. La créature l’avait une nouvelle fois enfanté. Et il s’était senti vivant à nouveau sur son dos.
Buck et lui se devaient mutuellement la vie, ce n’était pas rien. Depuis, ils ne s’étaient jamais plus quittés. Buck était sa porte vers la liberté. Buck aussi souffrait ici, la pourriture le rongeait. C’était dire le pouvoir du monstre.
Au diable le monstre.
Il se précipita au chevet de l’hippogriffe.
Un cauchemar, encore.
A force de moisir ici, l’esprit s’embourbait dans l’atmosphère malsaine et putride, ne pouvait que se fondre dans le décor. C’était presque pire qu’Azkaban.
Il songeait parfois que s’il était réellement une bonne personne, une personne digne et charitable, il l’aurait laissé sortir de cette prison. Or, il avait besoin de Buck.
Plutôt que de le sauver, il l’avait condamné à subir cet enfer avec lui.
Non, Sirius n’était pas un gars bien.
Il n’était ni généreux, ni altruiste, ni attentionné, il était une espèce de voyou ingrat qui entraînait avec lui son voisin dans sa chute.
(Il était né Black, après tout).
Buck Black.
Sirius Buck.
Buck était comme son double.
Il n’était pas foutu de le libérer
car, sans lui, il aurait été malheureux
ce qui le rendait terriblement égoïste.
Il posa sa tête contre l’épaule de la bête.
« Merci Buck ».
Buck lui souriait.
Ils étaient l’un et l’autre leur unique compagnie.
Deux animaux sauvages qui n’aiment que la vie dehors, deux bêtes qui s’embêtent dans un zoo, les visiteurs en moins.
Ils se ressemblaient tristement.
« Pardon, Buck »
*
Ne pouvant supporter plus longtemps ce spectacle tragique dont il était la cause, Sirius avait finit par fuir dans la cuisine.
Rien de mieux qu’un verre de whisky-pur-feu pour lui faire passer le goût de la frustration et de l’auto-apitoiement. Sur le frigo, le même autocollant : « Fais attention à ne pas trop consommer ». Courtoisie de Remus Lupin. Il le lui pardonnerait bien.
La liqueur réchauffa et sa gorge et son cœur. C’était si bon qu’une larme coula de son œil droit.
Il posa les pieds sur la table. Personne n’était là pour le réprimander. « Tout va bien. Je suis en contrôle ».
Un rire résonna dans sa tête, il le noya avec une nouvelle gorgée.
« C’est une belle journée ».
Mets-y un peu de vigueur.
Les effluves du whisky lui rappelaient son enfance, sans le son ni l’image. L’enfance à l’état brut, en somme. Sentir était plus violent.
Rien qu’à l’odeur, tout revenait comme hier.
Et, sans prévenir, une crise d’angoisse le saisit.
Il n’y avait plus de futur envisageable pour lui
ça n’avait pas de sens
se retrouver ici
dans les jupons de sa mère
à nouveau
et ne rien faire.
Il tripotait ses cheveux, machinalement, maladivement, enfonçait ses ongles dans son scalp. Il se rassurait en se disant qu’ils étaient soyeux à nouveau, qu’il avait pris du poids et avait eu la force de revivre après Azkaban, il trouverait celle de revivre après ça. Pour Harry, pour Remus, pour James, pour Lily, pour Buck.
Alors tant pis pour la modération prescrite par Lunard, tant pis pour l’objectif d’une meilleure vie que chaque jour il n’arrivait pas à atteindre, tant pis pour toutes les personnes qu’il décevrait, lui le premier : il buvait.
Et grâce à l’alcool, reprendre petit à petit le contrôle.
Et sentir le sang battre dans ses veines.
Et retrouver un semblant d’espoir.
Et retrouver un semblant d’équilibre.
Et y voir plus clair.
Et faire une dernière prière.
Je vous déteste. Vous, si petite, si mauvaise. Vous. Vous avez volé ma jeunesse et mon avenir, votre nom maudit me poursuit, mais vous ne m’avez pas pris mon amour. Et je gagnerai toujours cela sur vous, horrible bique, ce sentiment si pathétique et si salvateur d’aimer qui me rend misérable à vos yeux. J’aurais fauté tant de fois mais, au moins, j’aurais aimé. C’est de cela dont vous me jugez coupable. Avoir trop aimé. Trop aimé les Moldus et ces satanés « Sang-de-bourbes », trop aimé la vie, le risque et mes amis. C’est pour cela que vous me haïssiez. Ce sentiment d’amour qui vous faisait horreur, parce que vous ne pouviez pas le comprendre. Et que m’importe votre regard ? votre présence ? Vous avez fait votre temps, votre vie est finie, mais la mienne commence à peine. Tout s’éclaire, ce soir, Mère.
J’aimerais que le reste de ma vie soit semblable à ce moment.
J’aimerais que ce que je ressens actuellement ne me quitte jamais.
J’aimerais que tu ailles te faire foutre, Walburga.
Que tu disparaisses.
Pas de pardon.
Pas de pardon pour les monstres.
Bref, pas de pardon pour toi.
*
Et peut-être qu’il s’était réveillé
Et peut-être que tout cela, ce n’était pas vrai
Et peut-être qu’il était encore en prison, que le Détraqueur l’avait détraqué
Et peut-être qu’il était dans son lit à Poudlard, après un de ses traditionnels cauchemars
Et pire encore, peut-être qu’il n’était pas encore né
Ou mieux, qu’il était mort.
Et peut-être que, sur l’écran de cinéma, s’était étalé le mot : « Fin ».