Lily porta machinalement la main au retourneur de temps qu’elle portait autour du cou. Elle cherchait à se rassurer, être sûre qu’elle n’avait pas fait d’erreur, que tout était correct dans leur protocole. Elle doutait toujours de ses capacités de sorcière, bien qu’elle n’eût déjà plus rien à prouver à personne malgré son jeune âge. Sauf à elle-même, bien sûr.
Elle sentit les deux bras de James lui entourer doucement les épaules, et posa sa tête contre son torse.
« Allez, fais-toi confiance » murmura-t-il à son oreille. Elle rougit. Il se dégagea et, en lui tapotant le dos et lui faisant un clin d’œil, il lui mit sous les yeux la fameuse lettre de Dumbledore qui aurait pu sceller son destin.
Mademoiselle Evans,
J’ai le vif plaisir d’être commissionné par le Ministre de la Magie en personne pour vous annoncer que votre projet professionnel suscite le plus grand intérêt de la communauté scientifique magique.
En conséquence, la réunion plénière composée de etc. etc. vous accorde à titre dérogatoire et exceptionnel en vertu des articles etc. etc. :
1. L’acception de votre candidature à l’Université de la Communauté Magique de Londres, Département des Aspects Fondamentaux de la Magie, Cursus Sortilèges et Potions, Classe des Théories Spéciales Avancées ;
2. La création d’un pont d’échange avec l’Université de Cambridge, Département des Sciences, ainsi que l’acceptation concomitante de votre candidature en bi-licence de mathématiques avancées et physique fondamentale ;
3. Vues les impossibilités de votre emploi du temps qui en découlera, l’octroi d’un retourneur de temps à des fins strictes de recherches validées par le Comité d’Ethique des Langues de Plomb ;
4. Le droit de demander une allocation de fonds et de matériel sur préavis de la Direction Scientifique du Comité Budgétaire pour mener à bien vos expériences.
Je me permets d’ajouter que je suis moi-même personnellement impressionné par la qualité de votre dossier et de vos aspirations. Vous souhaitez, si j’ose dire, créer une branche nouvelle de la recherche, en associant les avancées scientifiques sorcières et moldues dans l’unique but d’améliorer la connaissance du genre humain dans le domaine de la physique de la matière. Ceci est déjà en soi admirable. Mais dans le contexte politique actuel, c’est une preuve d’un courage calme et déterminé, dont nous avons tous besoin comme exemple.
En vous tirant mon chapeau,
Albus Dumbledore,
Etc.
Lily, perfectionniste, courageuse et désireuse de faire ses preuves auprès du monde sorcier mais aussi du monde moldu, avait tenté l’impossible. Ainsi, à la fin de chacune de ses journées, elle prenait son retourneur de temps, transplanait à Cambridge, y suivait ses cours et faisait ses devoirs, puis retournait, harassée de fatigue, chez les Potter, où elle et James vivaient. Quant à son suivi des cours à Londres, il se faisait plus aléatoire, car elle avait aussi à cœur de travailler pour l’Ordre du Phénix. Toutefois, elle ne manquait aucun devoir à faire, et passait finalement le plus clair de son temps à ne pas en prendre pour elle.
Alors les catastrophes s’étaient accumulées ; le décès de ses parents dans un accident, celui des parents de James des suites de la Dragoncelle, la dépression de James, la loi qui destituait les sorcières d’ascendance moldue du droit à la contraception et à l’avortement, son anorexie à elle dans l’unique but inavoué de ne pas avoir ses règles pour éviter de tomber enceinte, les décès et les disparitions d’inconnus, de connaissances et puis d’amis à cause de la guerre, l’arrivée d’une grossesse que ni elle ni James n’avait désirée, la prophétie, et puis l’interdiction pour les sorciers d’ascendance moldue de s’inscrire dans une université magique, avec en prime l’annulation de l’inscription de ceux qui y étudiaient déjà…
En conséquence, Lily n’avait aussi plus le droit de participer à l’échange avec Cambridge, mais le Comité d’Ethique des Langues de Plomb, arguant qu’il n’était pas mentionné dans le décret que les sorciers d’ascendance moldue n’avaient pas le droit d’étudier par leurs propres moyens, lui avaient laissé le retourneur de temps. Dans un premier temps, elle n’en avait pas vu l’utilité, elle et James avaient déjà fort à faire avec leurs problèmes de santé et l’arrivée de Harry. Ils furent certes obligés de l’accepter, mais ils décidèrent chacun dans le secret du fond de leur cœur de toujours l’aimer, le protéger, l’éduquer patiemment selon leurs valeurs et voir éclore en lui un jeune homme auquel ils pourraient enfin accorder, l’esprit léger et confiant, son indépendance.
Mais Lily, qui se voulait encore de tout réussir, avait fini par reprendre ses livres et ses brouillons, depuis qu’ils n’avaient – presque – plus le droit de sortir, leur maison soumise au Sortilège Fidelitas. Elle était encouragée par Dumbledore, ses amis, James, et Pandora.
Pandora Lovegood était son ancienne professeur d’arithmancie appliquée aux champs physiques et surtout ancienne tutrice à l’Université à Londres, et elles étaient devenues amies. Elle avait quinze ans de plus qu’elle, lui transmettait avec bienveillance toute son expérience d’enseignante-chercheuse, et s’était déjà proposée pour diriger se thèse future et même son assermentation en tant que Langue de Plomb. Et Pandora avait été enceinte à peu près en même temps qu’elle, ce qui les avaient unies davantage.
Lily avait retrouvé la motivation quand Pandora lui avait parlé d’une étude faite par des confrères indiens et australiens sur les paradoxes temporels et les retourneurs de temps. Comment violer les lois de la physique sans violer les lois de la physique ?
Il fallait commencer par faire simple, avec le matériel dont elle disposait chez eux. James lui avait alors suggéré de coopérer. Lui avait fait une année de médecine à Sainte-Mangouste, afin de devenir gynécologue, mais avait décroché à cause de sa dépression. Leur première expérience portait donc sur le métabolisme. Ils voulaient vérifier l’évolution des constantes biologiques chez les deux sujets du même individu utilisant un retourneur de temps, pour savoir ce qui se passait au moment de la réunification en un seul sujet.
Si la règle suivie est celle de la conservation dans le temps, alors les deux sujets doivent présenter des paramètres identiques au moment de la réunification. Si la règle suivie est celle du métabolisme du corps, si les deux sujets font des activités d’intensité distincte sans faire varier d’autres paramètres, alors les résultats devraient être différents au moment de la réunification.
Ils avaient cuisiné des repas scrupuleusement identiques, et ils avaient préparé la chambre d’ami où le deuxième sujet devait passer une journée au calme. James avait expliqué à Lily comment prendre les constantes et comme il y avait beaucoup d’incertitude sur les résultats, il fallait aussi relever la température, la luminosité, etc. Bref, tout était prêt.
Lily s’était proposée pour commencer, car elle ne souhaitait pas que James, qui peinait beaucoup à sortir de la dépression, ait un deuxième sujet qui passe une journée entièrement seul, à se morfondre. Et puis pour l’intérêt de la science, elle allait devoir ingérer un repas normal. James savait qu’elle le ferait car elle portait plus de crédit à ce que son cerveau pouvait produire, des choses tangibles, concrètes, rigoureuses, qu’à son propre corps, objet de conflit dans une guerre sans fin. Elle le ferait avec d’autant moins de culpabilité que son premier sujet avait passé une bonne partie de la journée à pratiquer du sport et que James avait eu un air profondément malheureux en regardant ses constantes, qu’il savait interpréter et qui lui confirmaient sans détour le mauvais état général de son épouse.
James sourit, ils regardèrent leurs montres. Lily se posta dans l’embrasure de la porte de la chambre d’amis. Elle embrassa le nez de James, ils rirent doucement. Il lui lança un assurdatio afin qu’elle n’entende pas les pleurs de Harry, ce qui l’angoisserait nécessairement, puis ferma la porte au moment où elle actionna le retourneur de temps.
Une fois rentrée dans la chambre d’amis, Lily enleva sa montre pour pouvoir faire plus aisément ses relevés. Elle vérifia que l’heure correspondait bien à celle indiquée par la vieille comtoise de chêne qui trônait à côté de la cheminée. Une fois sa tâche faite, elle s’approcha de la bibliothèque à la recherche d’un livre palpitant qui pourrait égayer un peu sa journée. Tueur de Daims de James Fenimore Cooper, par exemple.
Elle ne l’avait encore jamais lu, mais James le lui avait conseillé : cela parlait d’amour, d’aventures, d’amitié, d’entraides, sur la trame historique de l’extermination des Indiens d’Amérique par les colons, Indiens qui étaient réhabilités à l’égal des autres humains dans ce livre. Ceci ne pouvait manquer d’être rafraichissant quand Lily ne pouvait s’empêcher de faire le parallèle avec les exactions menés par les partisans de Lord Voldemort.
Elle se cala dans le vaste fauteuil moelleux et entama sa lecture. Elle ne s’interrompit que pour noter les divers paramètres prévus et l’heure exacte à laquelle elle le faisait, indiquée par le rassurant tic-tac de la comtoise. Elle mangea entièrement les repas, doucement, doucement, si doucement. Elle savait que ce qu’elle faisait n’était pas bon pour sa santé, mais elle ne voulait pas tomber enceinte à nouveau.
James et elle ne désiraient pas d’enfants pour le moment : d’abord, ils étaient trop jeunes, ils avaient des études à finir, ils n’avaient pas encore passé le cap douloureux du deuil de leurs parents respectifs. Et puis ils étaient des cibles privilégiés de Lord Voldemort à cause de leurs capacités magiques, de leurs actions notables pour le compte de l’Ordre du Phénix, et pour ce que leur couple représentait, une alliance entre une « Sang-de-Bourbe » et un « Traître à son Sang » qui venait des surcroît d’une des familles les plus illustres et puissantes du monde sorcier anglais, si ce n’était européen.
Après le repas du soir, elle décida de plier du linge, action répétitive qui lui permettrait probablement de calmer ses angoisses. Elle avait peur, surtout le soir. Elle se doutait bien qu’on ne pouvait pas vraiment déjouer une prophétie, simplement jouer avec le temps, croire en gagner pour finalement davantage orienter le cours des choses vers le dénouement implacablement prédit.
Puisqu’elle avait eu Harry, sa méthode n’était même pas vraiment infaillible, mais elle et James avaient longuement discuté et s’étaient beaucoup disputés. Elle était ferme sur ses résolutions, sa relation avec James était l’une des dernières choses qui lui restaient et elle ne voulait rien sacrifier pour lui. Si leurs désirs s’accordaient dans l’absolu, elle ne voulait pas qu’ils tiennent compte d’une législation ségrégative pour ne pas laisser libre cours à ce que leur spontanéité et leur imagination leur donnaient envie de faire.
Est-ce que Peter serait suffisamment fort et courageux pour tenir sa parole ? Il avait été réparti à Gryffondor, et le Choixpeau ne se trompait jamais. Mais la prophétie ne pouvait pas ne pas se tromper. S’ils décidaient de changer encore de Gardien du Secret, n’iraient-ils pas encore plus vite au-devant de leur destinée ? Et d’ailleurs, qui choisir ? Remus ? Le pauvre… Il était déjà épuisé de sa condition de loup-garou, et Greyback avait placé une cible sur son dos puisqu’aux dernières nouvelles, il collaborait activement avec les Mangemorts. Pandora ? Elle avait une petite fille à protéger, et cela serait malvenu de lui forcer la main. D’ailleurs son mari publiait sous le manteau un journal résistant, parfois assez loufoque, parfois lucide et profond, et ils prenaient donc déjà beaucoup de risques.
Elle pensait à tout cela dans le désordre au fur et à mesure qu’elle pliait le linge. Et puis, à force de fatigue et de confusion, elle finit par trouver un certain apaisement dans le fait d’empiler les torchons bien rectangulairement, de passer sa main sur les robes pour lisser les plis, et de trier par couleur les layettes de Harry qui dégageaient une douce odeur de lessive et de laine.
Elle regardait de temp en temps la comtoise, dix heures, dix heures trente-cinq, dix heures quarante-deux.
Elle avait encore du temps, nul intérêt de se stresser, d’autant qu’elle n’était pas si loin, elle n’avait qu’à ouvrir la porte.
Elle se débattit quelque peu avec des draps, elle pourrait tout aussi bien demander à James de l’aider une fois sortie de là, mais elle avait à cœur de finir ce qu’elle commençait. Certes, elle pourrait tout aussi bien se servir de sa baguette magique. Cependant, cet instrument était pour elle quasiment un objet d’études, elle s’en servait extrêmement peu dans sa vie de tous les jours.
James avait appris à son contact comment résoudre les petits problèmes du quotidien sans magie, ce qui lui avait beaucoup plu car c’est en faisant de petites choses que l’on se plaît à construire sa vie et son chez-soi à petits pas, que l’on apprend à commettre des erreurs et qu’on fait travailler son ingéniosité et son intelligence manuelle.
Elle ne se rendit pas tout de suite compte du temps qu’elle y avait passé, une dizaine de minutes, peut-être. La comtoise indiquait onze heures moins sept. C’était donc à peu près ça. Elle sourit car pour certains de ses camarades de classe, elle aurait perdu du temps. Elle pensa à la chance qu’elle avait d’avoir un amour réciproque avec un homme aussi curieux, inventif et ouvert que James.
Elle rangea soigneusement les piles dans la corbeille et la plaça à côté de la porte. Elle devait prendre ses mesures une dernière fois avant de sortir.
« Flûte ! » s’écria-t-elle.
Elle avait fait tomber la seringue en voulant se dépêcher, alors qu’elle avait parfaitement le temps. Elle le savait, inutile de regarder la comtoise, cela ne l’aiderait pas à se calmer. Elle souffla un bon coup, attrapa fébrilement son matériel. Ses mains tremblaient tellement qu’elle maniait tout d’un coup l’aiguille et les tubes de sang avec beaucoup moins de dextérité que tout à l’heure. Elle allait faire une crise d’angoisse, ce qu’elle voulait à tout prix éviter.
Elle ferma les yeux pendant une minute en inspirant profondément.
Du moins le croyait-elle.
Elle jeta un coup d’œil furtif à la comtoise, qui indiquait à peu près cinquante-cinq, au jugé d’après la rapidité de son regard.
Parfait.
Elle se détendit suffisamment pour finir correctement sa manœuvre, et rangea tout soigneusement. Maintenant, il ne fallait pas se tromper. Elle regarda la comtoise, persuadée d’y trouver qu’il ne manquait qu’une minute ou deux et qu’elle devait ainsi la fixer pour ne pas rater son rendez-vous.
Moins sept ? Elle avait donc regardé trop vite tout à l’heure ? Ce qui la contrariait le plus, c’est qu’une bonne notion du temps ne suffirait pas pour être précisément ponctuelle, et qu’on ne joue pas avec le temps et encore moins un retourneur de temps.
Elle se précipita en conséquence sur sa montre qu’elle avait posée sur la table de chevet.
Elle aurait dû être sortie depuis trois minutes et environ vingt secondes.
Elle ouvrit très vivement la porte. Elle savait que cela ne se rattraperait jamais. Elle avait violé les lois de la physique sans violer les lois de la physique.
Elle mit un certain temps à réaliser ce qu’elle vit. Elle fit un pas vers le palier de l’escalier, et vit en bas James allongé sur le dos. Il aurait très bien pu jouer avec Harry, mais de là à faire le pitre en se roulant par terre... il n’aurait jamais fait ça à cette heure-là. Ses jambes avaient en outre une position bizarre, comme s’il s’était affaissé, comme s’il n’était pas allé au sol de lui-même, comme s’il était…
Elle recula, chancelante, et alla vers leur chambre. Elle vit sa baguette posée sur sa coiffeuse, mais il n’y avait personne.
Elle se dirigea vers la chambre de Harry, telle une automate, sans savoir ni ce qu’elle devait faire ni ce qu’elle devait penser. Elle ouvrit la porte et vit une silhouette longiligne vêtue d’une cape noire, qui brandissait une baguette qu’elle aurait reconnue entre mille.
Son instinct de survie se raccrocha alors à des détails futiles. La cape en question était en mousseline et il y avait un revers en satin vert dans les plis inférieurs. Une pile de boîtes avait été renversée de telle sorte qu’elle se demanda qui avait pu monter de façon aussi peu logique des grosses boîtes sur des petites boîtes. L’horloge de la chambre indiquait vingt-trois heures deux, ce qui signifiait que décidément elle aurait vraiment dû se fier uniquement à sa montre et qu’on devrait peut-être demander à Peter d’aller commander un horloger moldu pour la semaine prochaine.
Ces pensées accaparèrent son esprit à une telle vitesse qu’il ne s’écoula que quelques dixièmes de secondes entre le moment où elle avait appuyé sur le panneau de la porte et l’éclair vert qu’elle vit. Elle sentit une grande douleur traverser tout son être et le sol se déroba sous ses pieds. Le vacarme lui apprit que le sortilège assurdatio venait d’être rompu, sans doute par les distorsions de champs magiques créées par le phénomène unique qu’elle venait d’avoir sous ses yeux.
Pendant sa chute, elle comprit que la prophétie venait de se réaliser, et que Voldemort avait subi quelque chose qui devait être proche de la mort, bien qu’elle n’en fût pas tout à fait certaine à cause de la noirceur du personnage. Fugacement elle se rappela que Severus lui avait parlé des Horcruxes un jour et que cela l’avait terrifiée.
Elle heurta assez violemment le sol.
Quand elle recouvra ses esprits, elle était allongée parmi les décombres. Elle leva instinctivement ses yeux en l’air. Une partie des marches de l’escalier semblait fonctionnelle, elle les emprunta précautionneusement et vit alors que par chance, une partie de la chambre de Harry n’avait pas volé en éclats. Le cœur battant, elle attendit quelques instants, et malgré le vent qui sifflait à ses oreilles, les tambourinements de son cœur, sa respiration haletante, elle entendit le son qu’elle désirait à présent entendre le plus au monde, et qui devait se produire si la prophétie disait vrai.
Harry était en train de pleurer. Alors Lily sentit un douloureux mélange d’émotions fendre son cœur. James était mort à n’en pas douter, mais Harry était vivant et le monde délivré de Voldemort. Elle pensa à ses amis qui étaient encore de ce monde et à ceux qu’elle avait perdus, à l’Ordre du Phénix qui n’avait pas lutté en vain, à Sirius que tout le monde allait prendre pour un traître sauf elle et Dumbledore, à Peter qui les avait vendus, à Euphémia et Fleamont qui avaient quitté un monde en guerre et n’avaient pu être correctement pris en charge à cause de l’afflux de patients torturés par les Mangemorts, à l’accident de ses parents qui avait été causé par une explosion violente, œuvre démiurge des partisans de Voldemort lors de la prise du Ministère.
Elle se demanda enfin si elle pouvait récupérer son fils sans violer une bonne centaine de lois de la physique, de la magie et de l’éthique.
La réponse fut assez rapide à trouver. Elle enjamba quelques pierres et souleva doucement une poutre de la charpente, pour découvrir son petit corps. Elle glissa sa main sur le cœur de son cadavre homologue et ne le sentit plus battre. Elle sentait le sien dans sa poitrine.
Alors, un abattement profond l’atteignit. Elle était vivante à ses yeux mais morte aux yeux des lois de la société, de la physique et de la magie. C’était elle qui avait joué avec le temps et ce qu’elle venait de faire, sans en avoir l’intention, relevait de principes déontologiquement douteux pour quelqu’un qui avait la réputation de travailler sur le temps de manière éthique.
Elle ne pouvait pas récupérer Harry, car cela serait le soustraire au monde des vivants sans qu’il soit mort. Il en souffrirait encore plus que d’être orphelin, et les derniers doutes qu’elle avait s’envolèrent quand elle comprit que la voie du bien pour Harry, du bien pour elle-même et du bien pour les valeurs de la société n’étaient que des chemins parallèles qui arrivaient au même endroit. Elle avait vu avec Voldemort combien le mal nourrissait le mal et comment perturber le cours d’une vie ne pouvait pas se solder autrement que par perturber le cours de la vie universelle.
Alors, la sidération prit le pas sur la stupéfaction. Grâce à ses entraînements à l’Ordre du Phénix et aux nombreuses épreuves qu’elle avait déjà traversées, elle agit comme une machine pour ne pas se laisser submerger par les émotions.
Tout d’abord, Lily étant considérée comme morte, elle serait enterrée avec sa baguette : elle ne pouvait pas utiliser le doublon qu’elle avait malencontreusement créé sans que cela n’apparaisse comme une anomalie sur le registre des baguettes tenu au Ministère. Elle la cassa donc en plusieurs petits morceaux, qu’elle mit dans sa poche, pour qu’on ne les retrouve pas ici. Elle fit de même avec le retourneur de temps.
Elle farfouilla ensuite dans les ruines pour trouver sa besace fourre-tout, qui pouvait vraiment contenir tout étant donné qu’elle lui avait lancé dans le temps un sortilège d’extension. C’était illégal mais cela ne causait de mal à personne, contrairement aux lois racistes dont elle était victime, et James lui avait donné un certain goût pour respecter non pas les règlements mais plutôt l’intuition que ses valeurs étaient justes et fondées.
Elle devait y mettre suffisamment d’objets nécessaires sans que cela ne devienne soupçonneux si jamais la police menait une enquête approfondie dans la maison. Elle mit donc quelques vêtements, chaussures, sacs, des livres parmi ceux qui n’étaient pas sérieusement endommagés, de l’argent moldu et de l’argent sorcier, du matériel pour préparer des potions et quelques ingrédients supplémentaires, des ustensiles divers et elle s’arrêta lorsqu’elle trouva le flacon intact de sa version hermaphrodite du Polynectar.
Elle réalisa alors qu’elle devait changer d’identité au plus vite. Non seulement ses cheveux et ses yeux n’avaient pas des couleurs ordinaires, mais elle était aussi extrêmement belle, bien que ce trait fût moins marqué depuis son amaigrissement, ce qui ne manquait pas d’attirer les regards.
Des phares éblouirent tout d’un coup son champ de vision et elle reconnut le vrombissement de la moto de Sirius. Il s’arrêta sur le parking de la mairie qui jouxtait l’église. Il était à quelques dizaines de mètres, éclairé par la lumière blafarde des candélabres. Elle vit son ami enfouir sa tête dans ses mains.
Il ne l’avait pas remarquée. La jeune mère se glissa doucement vers le berceau de Harry et ne put résister, elle le prit dans ses bras, lui caressant les cheveux, lui murmurant des mots d’amour, des mots tendres de maman, et l’embrassant doucement. Il s’endormit. Elle lui embrassa le front, et le reposa sur son matelas, ramenant bien haute la couverture pour qu’il ne prenne pas froid par cette nuit venteuse d’automne avant que les secours n’arrivent.
Elle descendit l’escalier et se cacha un instant sous la soupente. Sirius s’était relevé et marchait à présent vers la maison. A mi-chemin, il fut arrêté par Bathilda Tourdesac qui sortait de chez elle. Ils parlèrent quelques instants et Bathilda se retourna vers le perron. Rubeus Hagrid apparut alors et étreignit vigoureusement Sirius. Il avait manifestement été commissionné par Dumbledore et avait emprunté le réseau des cheminettes car il n’avait pas le droit de transplaner.
Encore une sombre histoire, que Lily avait cru comprendre comme liée étroitement avec l’ascension de la puissance de Jedusor, bien qu’il fût très avare de paroles sur le sujet. Cela lui réchauffa le cœur que Hagrid manifeste encore de la sympathie pour Sirius. Peut-être bien que Dumbledore l’eût convaincu de ne pas le mésestimer sans dévoiler les motivations d’une telle demande.
A présent, ils restaient devant la demeure de Bathilda. Lily osa alors s’extirper de sa cachette. Elle alla doucement vers James.
Minuit, les réverbères s’éteignirent. Seule la lumière de la lune baignait désormais le village. Les yeux de Lily finirent par s’y habituer, tandis que là-bas Bathilda était rentrée et que Sirius avait allumé sa baguette.
Elle y vit alors suffisamment pour se rapprocher de son mari. Elle passa sa main sur sa joue. Son corps commençait déjà à devenir froid, et elle surmonta sa répugnance à ne pas respecter la dignité des morts pour lui prendre quelques cheveux. Elle avait un plan en tête, et était à peu près sûre que James l’approuverait d’un air bravache.
Elle murmura « adieu », posa une dernière fois ses lèvres sur celle de son bien-aimé, se leva, embrassa d’un coup d’œil toute la scène – les décombres, le berceau de Harry en haut de l’escalier, le visage de James de marbre à ses pieds, les silhouettes de Sirius et d’Hagrid qui enfin se rapprochaient.
Alors, elle sortit de son sac une cape de gros velours et un cache-nez de laine écrue, rabattit la capuche, se retourna, et quitta les lieux.