Narcissa se demandait si sa belle-mère ne cherchait pas à la faire souffrir de la façon la plus sournoise qui soit. Il était évident qu’elle savait que sa bru était atteinte d’un « léger mal » qui allait probablement l’empêcher d’engendrer un héritier.
C’était ce que sa propre mère avait dit lors de la signature du contrat, qu’on avait évidemment faite à huis-clos au Ministère – pas question de laisser les autres fouiner dans les comptes et les arrangements, et puis il y aurait la cérémonie publique pour briller. Mais la jeune mariée n’avait pas déjà assez souffert, non ! Les Malefoy avaient entrepris de lui faire visiter dès le lendemain l’intégralité du château, de son jardin et de ses dépendances.
Narcissa marchait, affichant un air hautain, approuvant d’un ou deux mots un commentaire quelconque de sa belle-mère, le cerveau entièrement tourné vers la principale action de son après-midi. Et, bien qu’elle soit au demeurant heureuse d’avoir épousé Lucius, rien ne l’intéressait présentement dans cette présentation. Elle n’avait pas assez de concentration pour écouter, voir, apprécier, parler, et marcher. Marcher était de fait la principale action de son après-midi, aussi incongru que cela puisse paraître pour une jeune femme de dix-huit ans.
Marcher.
Un pas en avant, ne le fais pas trop grand pour ne pas trop tirer dans le pubis, avance, expire. Tiens-toi droite, relâche le ventre quand elle ne te voit pas, une douleur pointe, serre les dents, plie un peu la jambe, allez, continue.
Marche.
Marche.
MARCHE.
Que ton bas-ventre pèse une tonne, que ton sang épais déborde de ta protection, que la douleur irradie sur le pubis, se pique au niveau des ovaires, s’étende jusque dans le dos, descende le long de tes jambes jusque derrière tes genoux, que tous les muscles de ton dos soient raides à en être endoloris pour espérer contrecarrer les convulsions… quoi qu’il advienne, marche, marche, MARCHE.
Ta douleur ne compte pas et ne comptera jamais. Allons voir la fontaine du parc ? Bien sûr. Revenons en passant par le jardin des simples ? Quelle agréable proposition. Voulez-vous voir nos appartements avant les vôtres ? Je vous en sais gré.
Narcissa n’est plus qu’une automate dressée dans l’unique but de marcher. Elle ne sait pas ce qu’elle répond, c’est son éducation rigide, austère et dénuée de compassion qui répond pour elle. Elle ne sait pas si elle est élégante, c’est son éducation rigide, austère et dénuée de compassion qui la rend élégante. Elle ne sait pas si elle respecte le protocole, c’est son éducation rigide, austère et dénuée de compassion qui lui fait respecter le protocole.
Et Narcissa a dû apprendre toute seule à marcher. Pour les autres, être une jeune fille de bonne famille est un apprentissage à plein temps. Pour Narcissa, c’est une couverture, un rôle, qui lui permet de masquer parfaitement à tous ce dont elle a honte. La chose de la vie qui a été la plus dure à apprendre pour elle, ce n’est pas de marcher de façon droite, gracieuse, mesurée. C’est de marcher de cette façon avec des palpitations de douleurs lancinantes dans le ventre.
Alors, quand elle entre enfin dans sa chambre, elle en pleurerait presque de soulagement – oh il ne sera que de courte durée, de toute façon. Bientôt, ce sera de rester allongée qui lui demandera de la concentration.
Ces derniers pas lui semblent d’une longueur interminable. Elle doit marcher jusqu’à la première fenêtre, puis la seconde, puis la troisième, comme si chacune d’elle ouvrait sur un paysage différent, mais non, il faut marcher, c’est la dédication de cet après-midi, tout est prétexte à marcher.
Et alors qu’elle raccompagne sa belle-mère jusque vers la porte, les pieds de plus en plus lourds et traînants, cette dernière lui dit que le souper sera servi à dix-huit heures trente et qu’elle est attendue dans la salle de réception de l’appartement des parents Malefoy, à l’autre bout du manoir.
Elle n’a pas refermé la porte après un échange courtois de politesses, que l’horloge sonne.
Il est dix-huit heures.
Narcissa sent que trente minute ne seront pas de trop pour enchaîner escaliers et couloirs jusque là-bas, et ce d’autant plus qu’elle n’a pas vraiment fait l’effort d’apprendre le chemin.
Alors, elle soupire, réouvre la porte, et se jette dans la bataille contre son supplice.
Marcher quand on est en phase d’inflammation d’une endométriose.