Fred avait beau fanfaronner tant qu’il le voulait, il cachait bien au fond de son cœur tout ce que représentait George pour lui. Pour les autres, ils seraient éternellement les copains du Quidditch, les faiseurs d’inventions magiques en tout genre, les créateurs de rires et de bonne humeur. Et il n’y avait donc pas de raison, pour les autres, que les deux frères ne représentent pas autre chose l’un pour l’autre – au fond, ils étaient jumeaux, mais surtout, ils étaient drôles tous les deux.
Pourtant, quand Fred avait vu le visage de George bariolé de sang en arrivant au Terrier, il avait cru qu’il allait s’évanouir. Oh non, la vue du sang, ça ne l’inquiétait ni plus ni moins que d’autre, voir son frère en piteux état aussi – car seuls les vrais mordus de Quidditch savent qu’il est possible d’être maculé de boue à la fin d’un match pluvieux à souhait. Non, là, c’était le tout, le contexte, la menace, il voyait bien que quelque chose n’allait pas. Et il avait compris, bien sûr, que sa mère aille de suite au-devant de son fils, mais il aurait voulu pouvoir exprimer librement à George ce poids qui s’était soudainement formé dans sa poitrine.
Il n’en avait pas eu le courage, comme ça, devant tout le monde, entre ceux qui s’affolaient, ceux qui étaient contents d’arriver, ceux qui commentaient, englouti sous tant de bruit et tant d’empressement. Et puis comme d’autres binômes arrivaient, au fur et à mesure, il avait lâché l’affaire, emmenant avec lui sa nausée dans leur chambre, sans avoir pu partager autre chose avec George qu’une blague si pourrie qu’il lui avait fallu y réfléchir deux fois pour la comprendre.
Il en voulait un petit peu à sa mère d’avoir aménagé un chevet pour George sur le canapé du salon. Elle le privait s’en sans rendre compte d’une retrouvaille avec son frère.
Et toute la nuit, les questions lancinantes.
D’abord, des questions qu’il se forçait à se poser, alors que ce n’étaient que des interrogations subsidiaires, qui n’avaient absolument pas l’âme de retranscrire ce qui lui pesait si fort. La plaie pouvait-elle s’infecter ? Rogue était-il vraiment un agent double ? Ce genre de choses. Mais ce sont des choses qui ne l’occupèrent pas beaucoup, et donc pas assez longtemps.
Alors quand la nuit fut encore plus noire, et pourtant qu’il y voyait assez pour distinguer l’absence de George sur le lit d’à côté, il ne put éviter de se faire tarauder par ce qui comptait vraiment, et avait toujours compté, et compterait toujours. Et si George était tombé de son balai ? Et si ça avait été un sort mortel ? Et s’il y avait un venin fatal dans la plaie ? Et pour finir à l’essentiel, et si la mort de George était advenue ou adviendrait ?
Il avait l’impression très nette que c’était comme une sorte d’entraînement à pour quand ça arriverait. Avec la guerre, il y pensait de plus en plus. Ils restaient alors, si c’était possible, encore plus ensemble que jamais. Vivre ou mourir, mais à deux, toujours. La question de savoir qui partirait en premier était insupportable. Elle rendait presqu’indolore la perspective de mourir ; il suffisait d’être touché en même temps que l’autre. Voilà tout.
Il était donc là, en train de hoqueter dans son lit, à agripper de la paume de sa main son drap-housse, à la recherche désespérée d’un réconfort quelconque. Il avait été séparé de son frère quelques dizaines de minutes tout au plus, et voilà comment ça finissait. Qu’est-ce qui se passerait, alors, le jour où ils devraient partir chacun de leur côté une journée ? Comment savoir ? Comment s’y préparer ?
Et Fred se retournait, dans le sens horaire, puis dans le sens anti-horaire, passait son bras sous l’oreiller, puis au-dessus, gigotait une jambe, puis l’autre, à se battre contre les démons invisibles qui grignotaient son âme et sa nuit. Ils ne lâchèrent guère, les bougres !
Fred fut certain de n’avoir pas encore fermé l’œil lorsqu’il entr’aperçut, par les jours du volet, la couleur grise du ciel. C’était l’aurore. Il n’y tint plus.
Ca faisait plus de six heures qu’ils ne s’étaient pas retrouvés comme il le fallait, qu’ils avaient subis une atteinte sur l’un deux qui les atteignait tous les deux, qu’ils avaient la preuve à vif que leur vie valait si peu seule. Il se leva et descendit l’escalier.
Dans le salon, les volets aussi étaient ouverts. Non, ce n’était pas un oubli.
C’était juste George qui s’était levé, comme lui, toujours, réglés ensemble, comme leurs flèches respectives sur l’horloge de leur mère l’avaient toujours été. Il avait ouvert les volets pour observer un peu le ciel changeant de l’aurore, accoudé à l’une des fenêtres.
« Hey ! »
Ce fut le seul mot que Fred se sentit capable de prononcer lorsqu’il effleura le dos de George, d’une voix étranglée, qu’il ne reconnut pas de prime abord.
« Oh non Fred… »
Ce fut la réponse à peine plus élaborée de George. Il se retourna bien vite et fondit sur la poitrine de Fred, les bras resserrés, le nez fourré dans son cou, la respiration légèrement haletante. Fred cala sa tête contre la sienne, et entreprit de lui caresser le dos, les épaules et le bas de la nuque. George passa ensuite ses mains autour de sa taille afin de se rapprocher encore, et ils sentirent tous les deux qu’ils allaient commencer à pleurer.
A la fin, quand ils furent calmés, ils relevèrent la tête en même temps – toujours en même temps. Il faisait déjà chaud dehors, mais la perte de contact immédiate sur sa joue donna bien plutôt à Fred une impression de fraîcheur.
« J’ai eu si peur.
— Chut, répondit George. C’est fini maintenant.
— Et ça ? fit Fred en désignant le bandage de son menton.
— Rien, je te jure. Je préfère être en pièces à pouvoir encore être avec toi et à te faire des câlins, que dans une cabane en bois séparé de toi. »
Il ponctua sa dernière phrase d’un bisou sur la pommette de Fred.
« En revanche, tu as l’air défoncé.
— Ha, ha, ha, j’ai pas dormi.
— T’es bête. Pour ma part, j’ai eu une potion spéciale petits bobos douloureux de Maman, j’ai dormi un peu trop lourdement pour dire que mon sommeil a été vraiment efficace, mais j’ai dormi, au moins.
— Tu es donc aussi défoncé que moi, mais pour une autre raison.
— T’es bête, Fred.
— T’es bête, George. Bon, je vais me coucher.
— A tout à l’heure.
— A tout à l’heure. »
Et voilà Fred qui remonte le cœur encore tourmenté mais bien plus léger les escaliers, tandis que George se sert une rasade de la potion « spéciale petits bobos douloureux » qui est, en réalité, un très puissant antalgique, mais peu importe, Fred n’est pas aussi bête qu’il se donne l’air de l’être et il aura compris.
Le soleil est maintenant assez haut dans le ciel et chauffe la moitié des murs du salon.
« J’ai raté l’aurore à cause de toi, Fred, murmure George. »
En même temps, il pensait : qui d’autre, à part toi, me connaîtrait assez pour venir me voir à l’aurore, d’un, et m’empêcher de la voir car il aurait plus important à m’offrir, de deux ?