George se trouvait lui-même malsain. Il se dégoûtait de lui-même.
Bien sûr qu’il aimait bien Angelina, qu’ils s’entendaient bien tous les deux. Après le décès de Fred, elle et lui avaient suivi une thérapie, pas pour les mêmes raisons, et pas avec la même fréquence. Il n’existe pas de gradation dans l’amour, bien sûr. Mais on ne peut pas comparer un amour d’adolescence avec ce lien si fort qui unissait Fred et George.
Néanmoins, comme George avait passé un temps absolument conséquent dans le service de psychiatrie de Sainte-Mangouste, il avait bien fini par la croiser alors qu’elle se rendait à une séance.
Leur relation était fondée sur la perte commune d’un être cher. Angelina ne cherchait pas à combler l’absence de Fred ; elle avait même fini par aimer George très sincèrement. Son amour était seulement différent, pour Fred, c’était une passion vive, pour George, c’était quelque chose de certes moins intense, mais de plus grave, peut-être même plus profond.
George, lui, était tombé amoureux d’elle parce qu’elle avait été la seule qui n’avait pas peur d’évoquer Fred devant lui. Elle ne le regardait pas craintivement quand il rentrait dans une pièce, ne murmurait pas avec les autres quand il en sortait, ne lui assénait pas des phrases inutiles comme « il ne reviendra pas » mais ne sombrait pas dans la dévotion non plus.
En fin de compte, personne d’autre n’avait suivi de thérapie et George pensait en son for intérieur qu’ils en auraient tous eu bien besoin, et pas que parce que Fred avait été tué. Angelina n’était pas empesée, compassée dans ses sentiments, elle avait admis qu’elle avait besoin de se faire aider, et George trouvait que c’était très honnête de sa part.
Au début, ils s’étaient inscrits à pas mal d’ateliers ensemble, poterie, peinture sur verre, sortilèges colorés, potions et confettis. Ensuite, quand George avait pu redevenir plus indépendant, ils étaient allés voler, s’étaient rendus à des matchs de Quidditch, elle lui parlait de ses études et lui, qui retrouvait peu à peu goût à la vie, inventait de nouvelles farces et attrapes. Alors, de fil en l’aiguille, ils s’étaient tenus la main, s’étaient embrassés, s’étaient excusés, puis avaient recommencé, malgré tout.
Ce n’est pas parce qu’on est au fond du trou que la vie s’arrête, et on ne choisit pas de qui on tombe amoureux.
Mais, ce soir-là, George et Angelina s’étaient rendus dans un cinéma Moldu, et puis ils avaient mangé une pizza. C’était bon de s’éloigner un peu de la magie parfois. Ca la rendait plus… magique. Ils avaient longuement papoté, et puis Angelina devait rentrer chez elle, c’est-à-dire dans son studio de la banlieue londonienne.
Mais ni elle ni George n’avaient eu envie qu’elle parte, et tous deux avaient fait passer le temps, si bien que les bus ne circulaient plus. Puis, il fut exclu pour elle de prendre le Magicobus – elle rendrait son repas, c’était sûr, et ils étaient tous les deux extrêmement d’accord sur ce point, c’était très risqué.
Alors, ils s’étaient rendus dans l’appartement que George louait juste au-dessus de son magasin. Il avait transformé le canapé en un lit confortable, un t-shirt et un pantalon à lui en un pyjama à sa taille, prêté une serviette de bains. Mais aucun des deux n’avait voulu aller se coucher. Ils avaient discuté encore et encore, longuement, se rapprochant peu à peu. Comme il n’y avait plus de canapé, George s’était assis par terre, puis au bout du lit, puis à côté d’Angelina, et puis…
Et puis il ne saurait trop comment expliquer comme ceci advint, mais ils s’étaient embrassés et enlacés, et pris dans cette sensation enivrante du désir, ils avaient fini par se donner l’un à l’autre. Sur l’instant, ni l’un ni l’autre ne pensa à Fred, ce qui n’est pas égoïste, et même je dois dire que c’était une bonne chose, ils arrivaient à avancer sans cette béquille terrible qui leur manquait si souvent.
George se réveilla au beau milieu de la nuit, le cœur palpitant, transpirant sous l’effet de l’angoisse. Au début, il se demanda où il était, et puis il vit Angelina étendue sereinement à ses côtés, et se rappela qu’il n’était pas dans sa chambre mais dans son canapé transformé en lit dans son salon, lit sur lequel Angelina et lui avaient fait l’amour quelques heures auparavant.
Et George se rappela aussi et soudainement qu’avant, quand Angelina passait dans l’appartement, elle allait dans la chambre de Fred pour dormir, et qu’évidemment ils ne faisaient pas que dormir, et que les deux tourtereaux filaient le parfait amour, et que…
George fut pris d’une envie urgente de vomir et se précipita dans les toilettes.
Essoufflé, il se redressa et se rinça la bouche à l’évier. Dans le miroir, son reflet le narguait. Prends Fred et ôte-lui une oreille, c’est la même gueule, avait dit un jour ce connard de Ron à il ne savait plus quel fournisseur d’ingrédients de potions, qui avait dû croiser Fred une fois, probablement.
Ca y est, la colère revenait, la culpabilité revenait, et elles charriaient des idées grises et des idées noires et des idées sombres de nuit et de douleur et de mort.
Tant de thérapie pour se refaire du mal en couchant avec la fille avec laquelle il ne fallait pas coucher, persiffla la voix intérieure de George, désagréable.
« Tais-toi ! hurla-t-il, en se donnant une gifle. »
Puis, il s’effondra sur le sol, en se mordant les poings pour sentir que sa rage et sa tristesse sortaient à l’extérieur de lui – en vain. Et derrière le rideau de larmes qui ruisselait, il vit les deux jambes d’Angelina, probablement réveillée par ses conneries, quel abruti.
« George, murmura-t-elle, d’une voix étranglée par les sanglots, en se penchant vers lui et en tentant tendrement de l’empêcher de se faire du mal, George, je suis là, avec toi. Si tu as besoin de quelqu’un, de quelque chose, je peux appeler quelqu’un, je peux t’emmener quelque part, je peux partir si tu veux, je peux ne plus jamais te revoir si tu le souhaites, mais je t’en prie ne fais pas de bêtises.
— Angelina, je suis un monstre. »
Et il vit à son air doux et compréhensif qu’elle était disposée à le laisser vider son sac. Voilà, elle n’allait pas dire cette phrase creuse et vide de sens « non George, tu n’es pas un monstre » que n’importe qui aurait dite et qui n’aurait strictement rien changé au problème. C’était exactement pour ça qu’il était tombé amoureux d’elle.
« J’ai trahi Fred, tu te rends compte ? Putain, Fred… »
Et il éclata tout d’un coup en sanglots.
Angelina le prit dans ses bras, évaluant d’abord s’il acceptait un contact physique avant d’y aller plus franchement, et lui caressa longuement le dos, le temps qu’il assèche ses larmes et se calme. Quand elle sentit que sa respiration se faisait à nouveau mesurée, elle affirma :
« George, tu n’as trahi personne car tu n’as jamais rien promis à Fred sur ce qu’il se passerait dans ta vie sentimentale. Tu n’as pas piqué sa copine, et même tu n’as piqué la copine de personne puisque, la première fois que nous nous sommes embrassés, j’étais célibataire. Et même, si tu cherches la petite bête et que tu tiens absolument à ce que quelqu’un ait trahi Fred, c’est moi. Normalement, quand on change de petit copain avant de mettre au courant la personne avec qui on est engagé, si on est engagée, ça veut bien dire qu’on la trahit, non ?
— Je ne comprends pas. »
Angelina sourit faiblement.
« J’étais célibataire mais techniquement engagée auprès de Fred puisqu’étant décédé alors qu’il était mon copain, il ne saura jamais que je ne suis plus sa petite amie. »
C’était jouer sur les mots, peut-être. Mais il n’y a rien de niais à dire à quelqu’un qui souffre quand ça lui permet de construire quelque chose.
George et Angelina mirent un certain temps et eurent encore besoin de thérapie pour assumer et afficher leur relation, et George changea d’appartement. Débarrasser la chambre de Fred ne fut pas une épreuve aussi insurmontable qu’il l’aurait pensé. Ils le firent ensemble, lui et Angelina.
Toutefois, George crut être un traître à son frère encore très longtemps, si longtemps qu’il se sentit obligé de prénommer son premiers fils Fred, pour intégrer ce nom dans la famille d’Angelina.