Hermione était pétrifiée de tristesse et d’angoisse.
« Ce sera donc ça ma vie… Tous les jours… Tous les jours ! »
Hermione n’avait jamais eu d’amis – on l’appelait « intello » parce qu’elle aimait les livres, parce qu’elle était sage, parce que les professeurs l’aimaient bien. Et pourtant, Hermione n’avait pas l’impression que les professeurs l’aimaient vraiment. Par exemple, John et Paul avaient de moins bonnes notes qu’elle, étaient turbulents, se faisaient parfois reprendre en cours, et l’institutrice disait qu’ils étaient brillants. Quant à elle, elle était seulement travailleuse, et elle devait peut-être prendre exemple sur eux pour s’intégrer au groupe. C’était ce qu’on lui disait. Ses parents étaient contents, elle aussi était contente bien sûr, mais… elle aimait autant l’école en tant qu’études qu’elle détestait l’école en tant que lieu de sociabilisation. Et de ça, elle n’en parlait jamais à ses parents.
Elle avait espéré, depuis qu’elle savait qu’elle allait à Poudlard, que ce mauvais sort se briserait, qu’elle croiserait d’autres enfants de son âge, auxquels elle ne dirait évidemment pas ses anciennes mésaventures. Elle avait cru qu’elle serait enfin acceptée, qu’elle rencontrerait des personnes comme elle, calmes, studieuses, qui aimaient passionnément les livres.
Le revers était très, très douloureux.
Séparée de ses parents – pas de câlins après dîner, pas le documentaire du samedi sur les dinosaures ou la paléontologie, pas les jeux de sudoku avec son père, pas les livres de collégienne de sa mère.
Moldue – elle venait de comprendre, indiciblement, qu’avant même de connaître son caractère, ses goûts, ses aspirations, et donc, qu’avant même qu’elle pût se présenter aux autres, elle avait déjà été cataloguée. D’une façon différente, mais tout aussi déplaisante.
Intello – ça lui collait à la peau, comme étiquette. Ici, comme ailleurs, toujours. Il n’y avait rien de mal à aimer faire ses devoirs, en quoi cela pouvait-il donc déranger les autres ? Elle ne comprenait pas.
Elle ne disait rien aux adultes.
D’abord, parce que, à l’école, aucun adulte ne lui était jamais venu en aide. « Il a une enfance difficile, il faut le comprendre ». « La bave du corbeau n’atteint pas la blanche colombe ». « C’est à toi de te blinder, tu fais trop attention aux commentaires des autres, alors que tu ne fais aucun effort pour t’intégrer ». Même sur des aspects plus évidents, comme une gifle en fin d’année dernière, ou sa trousse volée : « ça n'arrive qu’une fois, c’est donc exceptionnel », « bon, ça suffit, ça arrive à tout le monde de perdre des stylos ».
Ensuite, les pions d’ici n’étaient pas des adultes. C’étaient des élèves, et très vite, Hermione eut ce sentiment indistinct que la plupart des préfets étaient populaires, et ça lui fit très peur. Dans son cerveau de petite fille, où se combattaient beaucoup de choses, elle essayait de faire le vide en rendant tout binaire : elle était seule, pas jolie, première de la classe, les personnes populaires étaient jolies, intégrées et a fortiori pas premières de la classe. En plus de la défiance, en grandissant, Hermione se protégeait en arguant qu’elle ne voulait pas être comme eux.
Quitte à manquer de boucher par trois ou quatre fois le trou de ses boucles d’oreille, tant elle négligeait de s’en attacher. Quitte à continuer à porter ses jeans même lorsqu’ils étaient troués, pour montrer qu’elle n’était pas ce genre de fille superficielle qui juge sur l’apparence. Quitte à redoubler d’efforts pour s’assurer qu’elle serait effectivement la meilleure.
« Tu ne t’es pas brossé les cheveux, Granger, gloussa Lavande.
— Tu as des boutons sur le front, renchérit Parvati. Dépêche-toi d’enlever tout ça, tu vas être en retard en cours ! »
Elles quittèrent le dortoir.
« Je m’en moque de mon apparence, je m’en moque de mon apparence, je ne suis pas comme elles, je ne suis pas comme elles, je m’en moque… »
Elle se répétait cela, se matraquant le crâne de phrases toutes faites tout au long de la journée. Il y avait quelque chose d’indicible au fond de tout cela. « Il faut tenir ». Mais combien de temps ? En parallèle de cela, y pensant finalement toute la journée, elle finit par développer tout un tas de complexes sur son corps : ses cheveux trop ébouriffés, ses dents trop longue, son front trop grand « d’intello », ses petits boutons.
Au fond d’elle, c’était un abîme de tristesse qui s’ouvrait.
Elle se demandait déjà si elle allait tenir sept ans – sept ans, comme c’est long ! Quelle perspective effrayante ! Est-ce qu’ils n’avaient pas raison, les autres qui disaient qu’elle n’avait rien à faire à Poudlard ? Est-ce qu’elle aurait dû aller au collège… Et en même temps, est-ce qu’elle n’avait pas un gros doute sur l’acceptation de la différence d’autrui du collégien moyen ?
Elle méritait sa place ici. Oui, elle allait travailler, leur prouver à tous qu’elle existait, qu’elle avait sa place, qu’elle réussirait à tracer sa voie, mieux qu’eux tous réunis, qu’elle aurait ce choix-là dans son existence, elle.
Lorsqu’elle travaillait, tous ses soucis s’envolaient. Elle apprenait des choses dans les livres, elle les lisait, les relisait, les connaissait déjà par cœur, allait en emprunter de nouveaux, apprenant encore et encore. Elle complétait tous ses devoirs, bien en avance, pour pouvoir les pousser jusqu’au plus grand degré de perfection possible. Elle voyait dans ses notes qu’au moins, les professeurs aimaient son niveau, à défaut de l’aimer suffisamment pour la défendre lorsqu’elle se faisait alpaguer devant eux.
Plus elle travaillait, plus les professeurs pensaient qu’elle était suffisamment mature pour se défendre seule et plus les élèves pensaient qu’il fallait pousser les remarques pour l’atteindre un jour. Plus elle travaillait, plus elle naviguait seule au milieu de la mer démontée des insultes.
Cela ne faisait pas deux mois que Hermione était entrée à Poudlard, que déjà elle avait la nausée en se levant le matin et en se couchant le soir. Elle promenait ainsi son parpaing dans l’estomac – le poids de sa peine – du matin au soir ; car les heures avec les professeurs n’étaient pas suffisantes, non ! Il fallait encore passer les heures d’études, les heures de repas, les heures dans la salle commune, les heures dans le dortoir… Comment survivre lorsqu’on est irrémédiablement seule et pourtant sans cesse entourée de personnes hostiles ?
Il ne lui restait plus qu’une seule cachette, et ce n’était ni son lit, puisqu’il y avait toujours quelqu’un dans le dortoir, ni la salle de bains, puisque si elle y passait trop de temps, on toquait : « Hé Granger, ça sert à rien pour les filles comme toi ce que tu fais ! ».
Elle avait trouvé une cachette pour y déverser en paix toutes ses larmes. Un endroit qui n’était fréquenté par personne une fois les cours finis. Un endroit où elle pouvait enfin se laisser aller, se décharger de tout ce que la journée avait pu emmagasiner en elle. Un endroit où elle se disait que « si ça se passe comme ça pendant sept ans, ça reste encore tenable ».
Les toilettes des filles.