Non, ça ne s’arrange pas avec le temps, tout ça.
George est allé se faire aider.
C’est normal, il a davantage perdu que tout le monde avec Fred. Non ?
Personne d’autre n’est allé se faire aider.
C’est l’exception de George. Exceptionnel en étant jumeau – moins d’un pourcent des naissances, exceptionnel en étant séparé de son jumeau – il est vraiment le seul de la famille à s’être fait aider.
Ça ne veut pas dire que les autres n’en ont pas besoin, finalement.
Ron déteste ça.
Les araignées sont revenues.
Dans ses rêves, hein. Plutôt ses cauchemars, mais bref, on a compris l’idée.
Hermione est retournée à Poudlard. A Poudlard, il y a Luna, il y a Ginny, il y a Cho, il y a Neville. Il y a plein de monde. Ron n’est pas à Poudlard. Comme Harry, comme Seamus.
C’est un choix, bien sûr.
Mais les cauchemars sont revenus.
Hermione va bien. La famille fait son deuil, doucement. Hermione a retrouvé ses parents. Pour Harry, tout va mieux. Pour Ron aussi, bien sûr ! Mais plus doucement, plus patiemment. Saleté de guerre, saleté de temps qui passe trop doucement et trop patiemment.
Donc, les cauchemars.
Par exemple, celui-ci. Il dort, tout va bien. Il se réveille, il veut sortir du lit, il défait pour cela la couverture. Immonde araignée blanche, presque fondue dans le pli du drap, au niveau de ses pieds.
Ron s’est réveillé, crispé, tremblant, trempé de sueur. Ses pieds sont gelés. Il a plié brusquement ses genoux. Vite, fuir ! Ah, ses pieds sont nus ! Vite, lumière !
Faire trois fois le tour de la chambre. Sous l’oreiller : niet. Dans l’armoire : niet. Cloisons, murs, plafonds : nada. Là, sous les chaussures : non plus. Mais quand même, ça bouge, ces chose-là. Si ça part d’un côté pendant qu’il en passe un autre ?
Et l’œil ouvert.
Ou celui-là. Il est chez Zonko, il achète des, euh, choses. Le rêve n’est pas très clair sur ce point, mais le Ron du rêve a l’air satisfait. Le Zonko du rêve est un apothicaire qui vend des potions, ça ne choque pas tellement le Ron du rêve d’ailleurs. Ce genre de détails, c’est important. On discerne bien le rêve et la réalité, comme ça.
Bref, il fouille dans son sac en rentrant chez lui.
Oh ! Epouvante ! Elles sont là !
Est-ce qu’il en a touché une ? Elle s’agrippe à son bras ! Elle monte ! Ron hurle.
Le Ron de la réalité aussi, soit dit en passant.
Problème : il ne se réveille pas. Donc il fouille dans le sac, ça grouille dedans, autour de la fiole. Ça vient de là ! Pouah, saleté !
Ron, le vrai Ron, a un petit pincement de cœur lorsqu’il rentre chez Zonko maintenant. Il regarde deux fois la vitrine plutôt qu’une avant d’y aller. Et aussi, il ouvre son sac très vite, en le tenant loin de lui, à bout de bras ; un peu comme Hermione retire très vite un pansement pour avoir moins mal. Il se dit : au moins, elles ne grimperont pas, je les verrai et je jetterai vite le sac !
Ou celui-là. Il y a Tonks dans ce rêve. Bon, c’est peut-être à cause de l’association Tonks – Maugrey, le vrai – Maugrey, Croupton Jr., n’empêche que dans le rêve, elle parle avec une grosse araignée qui ressemble vite fait à Aragog. Il voit tous les détails, les mandibules, la bave, les pattes velues…
Ron se réveille, cette fois, trop apeuré pour faire quelque chose.
Problème : il a trouvé dans sa pile de vêtements une araignée deux jours plus tard.
C’est trop dur de s’expliquer que c’est une coïncidence.
Les araignées le bouffent de l’intérieur et de l’extérieur. Il est épuisé, dort mal, se retourne, vérifie une fois, deux fois, trois fois le sommier. Tout va bien. Mais ce n’est que partie remise ! Jusqu’à la prochaine !
C’est dur de raconter tout ça à ses parents. Parce qu’ils ont à gérer un deuil inhabituel. Normalement, dans l’ordre des choses, les enfants enterrent les parents, pas l’inverse. Et il faut gérer George aussi. Et si ça se trouve, les soins à la clinique de Sainte-Mangouste sont payants. En plus, ni l’un ni l’autre n’a de dégoût prononcé pour ces bestioles. Ca s’écrase, et c’est tellement petit, Ron, elle a plus peur de toi que toi d’elle.
Percy a même osé un « fais connaissance ».
Oui, il faut la regarder avant de la tuer.
Mais pas comme Ron le fait, en se cachant un œil pour ne pas la voir et en gardant l’autre éveillé pour surveiller qu’elle ne bouge pas, en avançant plus à reculons qu’autre chose, en approchant doucement le bras avec un mouchoir au bout, la bouche déformée, le cœur au bord des lèvres, et abattre la main, et sentir une décharge électrique jusque dans l’épaule.
Non, il faut la regarder avec intérêt, apprendre à la connaître pour apprivoiser ses peurs, s’approcher en mode « tigre ». On est des Gryffondors dans la famille, faut le savoir. Percy aussi a confondu lionne, lion, et tigre, chacun ses associations d’idées.
Hermione, à Noël, ne s’est pas moquée.
C’est bizarre. Ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’ils dormaient dans la même pièce, mais là, c’est différent. En plus, c’est dans le même lit. Ron en est rouge jusqu’aux oreilles. Au début, Hermione a fait comme d’habitude – lire. Elle commente des choses qu’elle lit, Ron aime bien ça, elle ne parle de ses lectures qu’à lui. A Luna peut-être, pour les trucs plus compliqués sur l’arithmancie et tout, mais pour la littérature, elle l’a choisi lui.
Sauf que Ron ne peut pas écouter entièrement Hermione. Il est tendu par autre chose, il les attend, les coquines. Hermione a senti plutôt vite qu’il a envie de changer d’ambiance, parce que sinon, elle n’aurait pas écourté à quatre pages de lecture seulement sa pause du soir.
Mais Ron ne peut pas, physiquement, éteindre la lumière.
Il faut vérifier les araignées.
Et si Hermione allait aux toilettes avant de dormir ?
Bah non.
Raté.
Elle s’étend.
Il faut vérifier les araignées devant elle.
La honte, Fred, t’entends ça, dis ? La honte intersidérale.
Bref, Ron a vérifié les araignées. Hermione a compris en deux secondes quand il a commencé à soulever les rideaux, plis après plis – quand il avait treize ans, quelque chose comme ça, il y en avait une de coincée derrière le tissu. Il voulait vérifier la fenêtre, et la chose lui est plus ou moins tombée dessus du rideau. Alors depuis, Ron vérifie doctement les rideaux, puis la fenêtre, et dans cet ordre.
(Heureusement qu’il n’a jamais vu une seule araignée dans le dortoir de Poudlard, sinon il aurait été obligé de vérifier là-bas aussi. Un enfer. La honte, sérieux.)
« Il y a beaucoup d’araignées ?
— J’en ai vu une l’autre jour. C’était la seule de l’automne. »
Hermione hoche la tête. Il y a un tout petit pli au creux de son menton. Elle réfléchit.
« Tu fais encore des cauchemars. »
Elle suppose juste. D’ailleurs elle n’a pas posé de question, elle a affirmé qu’il faisait des cauchemars.
« Euh… Attends, murmure Ron. Faut vérifier sous ton oreiller. »
Hermione s’exécute patiemment.
« Non, mais montre-moi, fais pas ça quand je regarde ailleurs… s’il te plaît.
— Fais-moi confiance, dit-elle d’une voix apaisante. »
Chaque soir, Hermione a écourté la vérification des araignées.
D’un tout petit peu.
Son oreiller.
L’armoire.
Les rideaux.
D’abord elle vérifie avec lui, puis elle arrête de vérifier certaines parties.
« Fais-moi confiance, il n’y en a probablement pas. »
Elle a quand même raison de rajouter « probablement ». Une de tout l’automne, ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas « rien ». Pour gagner la confiance des gens, il ne faut pas mentir. Jamais.
C’est dur, quand même.
Pas sûr que Hermione soit arrivée en quinze jours à l’aider de façon pérenne – quand elle va retourner à Poudlard, il va tenir maximum une semaine, il n’a pas plus confiance en lui que ça. Mais il a quand même rudement mieux dormi.
En plus, s’il vit avec Hermione un jour, elle pourra écraser les araignées dans sa chambre – euh, leur chambre ? – à sa place.
Un peu la honte quand même, mais ça se gère bien quand c’est avec Hermione, finalement.
Putain, Fred, tu fais chier, même mort, tu me fais flipper avec les araignées.